RDC : Le dircab de Kabila récupère 27 millions de $ en cash à Lubumbashi


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Le retour à la tête du gouvernorat du Haut-Katanga de Jean-Claude Kazembe, destitué il y a quelques semaines sur fond de soupçons de détournement de 27 millions de dollars, révèle en creux les graves dysfonctionnements en matière de gouvernance et d’Etat de droit en République Démocratique du Congo.

Ces 27 millions de dollars, Jean-Claude Kazembe avait demandé à ce qu’ils soient versés non pas sur le compte bancaire de la province mais sur un compte personnel ouvert à cet effet.

L’origine des fonds : « d’où viennent les 27 millions de dollars ? »

Ils proviennent de la vente, en février 2017, à Glencore, le géant suisse des mines et du négoce, des parts du groupe Fleurette, contrôlé par le magna israélien Dan Gertler, partenaire en affaires de Joseph Kabila, dans la société Mutanda Mining. Une vente conclue pour un montant de 922 millions de dollars au terme d’une opération qui « soulève de sérieuses questions », selon l’ONG Global Witness.

Moïse Katumbi, du temps où il était gouverneur de l’ex-province du Katanga, avait en effet instauré une taxe sur toutes les cessions de parts dans les sociétés minières dont le siège social se situait dans sa province. Une taxe qui s’applique en l’espèce, Mutanda Mining étant juridiquement domiciliée à Lubumbashi. Sauf que, depuis que le Katanga, à l’instar des autres provinces du pays, a été redécoupé, la société a désormais son siège social dans une autre province (le Haut-Katanga) que celle où elle exploite ses minerais (le Lualaba).

Et dans le cas présent, Richard Muyej Mangeze, le gouverneur du Lualaba, avait émis le souhait – en vain – que le produit de cette taxe soit versé à sa province. Certes depuis cette affaire, les autorités, via une circulaire prise par le ministre des mines, Martin Kabwelulu, ont demandé à ce que toutes les sociétés minières disposent désormais d’un siège social dans la province du lieu d’exploitation. Mais en attendant, les fonds issus de la taxe appliquée à la cession des parts dans Mutanda Mining ont bien été versés sur le compte de Jean-Claude Kazembe à Lubumbashi.

La destination des fonds : « où sont partis les 27 millions de dollars ? »

Mais rapidement Kinshasa demande des comptes au Gouverneur. Cet argent est-il en tout ou partie destiné à un usage privé ? Afin de faire le clair dans cette affaire, une délégation de haut niveau est mise sur pied. Elle est composée de Néhémie Mwilanya, le directeur de cabinet du chef de l’Etat, d’Emmanuel Shadary Ramazany, le Vice-premier ministre chargé de l’Intérieur et de la Sécurité, d’Aubin Minaku, le président de l’Assemblée nationale, et de Kalev Mutond, le patron de l’Agence national de renseignements.

Ces quatre hauts responsables du régime sont dépêchés sur place, à Lubumbashi, pour faire plier Kazembe. Ils comptent, pour ce faire, sur un moyen de pression imparable : « demander » aux députés provinciaux d’introduire une motion de défiance à l’encontre de l’actuel Gouverneur afin de le destituer. Les députés provinciaux s’exécutent. Le 18 avril 2017, la motion de défiance est adoptée à l’unanimité. Kazembe est destitué.

Mais l’homme, réputé tenace, ne s’en laisse pas compter. Il part à Kinshasa plaider sa cause, promettant de rendre l’argent instamment. En dépit d’une certaine opposition au sein de la majorité présidentielle, il lui est conseillé d’introduire un recours devant la Cour Constitutionnelle avec la garantie que l’arrêt rendu lui sera favorable. La décision intervient le vendredi 26 mai. La destitution de Kazembe est annulée. Le Gouverneur est rétabli dans ses fonctions.

Néhémie Mwilanya en première ligne pour récupérer le cash

Mais avant que la décision de la Cour n’intervienne, le chef de l’Etat, Joseph Kabila envoie le 3 mai 2017 à Lubumbashi son propre directeur de cabinet, Néhémie Mwilanya afin de récupérer l’argent (en cash). Officiellement, ce dernier se rend dans la capitale de l’ex-Katanga, accompagné d’une impressionnante délégation (le ministre des Finances, le ministre des Mines, le ministre de l’Environnement et l’incontournable Kalev Mutond), sous le prétexte d’éteindre une polémique née de l’exploitation illicite du bois rouge (un « business » dans lequel est, au passage, impliqué la famille du président).

Pour parfaire l’illusion, les directeurs provinciaux de la Direction générale des douanes et accises (DGDA) et de la Direction générale de la migration (DGM), ainsi que le coordonnateur provincial de l’Environnement, sont ce jour-là suspendus de leurs fonctions. En attendant – et c’était bel et bien le but de ce déplacement –, l’argent (en cash) est récupéré et confié à Néhémie Mwilanya pour être aussitôt remis au chef de l’Etat, Joseph Kabila.

Mais la Cour constitutionnelle n’a pas encore rendu son arrêt (elle ne le fera que le 26 mai). Dans l’intervalle, Jean-Claude Kazembe est fébrile. Rien ne lui garantit de retrouver son poste, si ce n’est une assurance verbale du pouvoir à Kinshasa en qui il a une confiance toute relative… D’autant qu’entre temps, Il a été remplacé par un Gouverneur par intérim, Célestin Pande Kapopo, un ex-chef adjoint du protocole d’Etat au Katanga qui fut également député provincial avant de devenir ministre provincial de l’Economie, de l’Industrialisation et du Commerce.

Face à l’incertitude, Jean-Claude Kazembe menace de révéler le pot aux roses s’il n’est pas rétabli dans ses fonctions. Il promet de tout dire à la fois sur la destination réelle des 27 millions de dollars et sur la mission qui lui a été confiée de déstabiliser l’ex-gouverneur de la province, Moïse Katumbi, ainsi que ses proches. C’est alors qu’intervient – fort opportunément – l’arrêt de la Cour constitutionnelle qui coupe court à ces velléités vengeresses.

Kazembe également déstabilisé par une guerre d’influence tribale

Officiellement, Kazembe retrouve donc son poste. Problème : celui-ci est toujours occupé par Célestin Pande Kapopo. Et pour ajouter à la confusion, plusieurs des ministres du gouvernement provincial refusent désormais d’obéir aux ordres de Kazembe. C’est le cas notamment de Nazem Nazembe, le ministre provincial des Infrastructures et de l’Energie, et surtout des ministres issus du nord de la province, qui sont de la même tribu que le chef de l’Etat, celle des Balubakats, implantés dans le Tanganyika et dans le Haut-Lomami, au nord de l’ex-Katanga.

Or ce sont justement ces ministres originaires du septentrion qui ont mené la fronde contre Jean-Claude Kazembe, qui lui vient du Haut-Katanga, donc du sud. Et celui-ci avait clairement fait savoir qu’il ne souhaitait plus avoir dans son gouvernement de ministres originaires du nord. Dans cette affaire, vient donc se greffer, en toile de fond, un règlement de comptes aux relents tribaux. Une lutte d’influence à laquelle sont également mêlés deux ministres nationaux, eux aussi originaires du nord de l’ex-province du Katanga : Félix Kabange Numbi, le ministre national de l’Aménagement du territoire, et Aimé Ngoy Mukena, le ministre national des Hydrocarbures (c’est, au passage, cet ex-gouverneur du Katanga qui s’attribue la paternité de la « création » de l’identité katangaise de Joseph Kabila).

Ces deux personnalités avaient d’ailleurs fait le déplacement il y a quelques mois à Lubumbashi pour plaider la cause des ministres et des fonctionnaires du nord auprès de Kazembe. Celui-ci les avait alors éconduits. « Allez faire votre loi ailleurs », leur avait-il sèchement rétorqué. Or, « ce sont ces ministres nationaux originaires du nord de l’ex-Katanga qui pilotent à distance les ministres provinciaux. L’affaire Kazembe est pour eux du pain béni, l’occasion de purger un conflit tribal dans la province », explique un haut-fonctionnaire du Haut-Katanga.

L’affaire Kazembe réglée (ou presque), Kinshasa n’en a toujours pas fini avec ses provinces. La boîte de Pandore, en effet, est désormais ouverte. La réforme controversée décidée par le pouvoir début 2016, et motivée en réalité par la volonté d’anéantir Moïse Katumbi, leader incontesté au Katanga, a considérablement affaibli le fonctionnement des entités provinciales, dont le nombre est passé de 11 à 26. Elles sont depuis pour la plupart à l’arrêt avec, à leur tête, des gouverneurs qui ont une fâcheuse tendance à confondre le budget provincial avec leur cassette personnelle…

Compte tenu de la gravité de cette situation et encouragés par « l’effet Kazembe », nombre de députés provinciaux se sont donc mis en tête de destituer, à leur tour, leurs gouverneurs. C’est le cas en particulier dans le Haut-Lomami, ou encore dans le Bas-Uele et le Tshopo. Une hémorragie qui inquiète au plus haut point la majorité présidentielle. La plupart de ces gouverneurs sont en effet des hommes liges du pouvoir, installés pour tenter de contrôler le vaste territoire du Congo-Kinshasa sur toute son étendue.

C’est alors qu’Emmanuel Shadary Ramazani tape du poing sur la table et enjoint les bureaux des assemblées provinciales séditieuses de ne pas tenir compte des motions de défiance qui sont déposées par les députés. Quant à celles qui ont été adoptées, elles sont conduites toute séance tenante devant la Cour constitutionnelle qui a pour mission de les retoquer. Dans ces affaires, l’attitude du Vice-premier ministre de l’Intérieur et de la Sécurité est particulièrement fustigée. Celui-ci n’est en effet pas habilité à s’immiscer dans le fonctionnement politique des provinces qui jouissent, en vertu de la Constitution, d’une personnalité juridique à part entière et sont régies par le principe de libre administration. Seules les assemblées provinciales sont par conséquent aptes à maintenir en fonction ou à destituer un gouverneur.

D’une manière générale, cette affaire Kazembe est symptomatique du mode de gouvernance publique qui prévaut aujourd’hui en RDC. Un pays où la Constitution et le droit sont, de fait et dans une large mesure, suspendus. «Le Congo-Kinshasa est gouverné comme une République bananière. Le pouvoir central s’ingère, en violation de la Constitution et de la Loi, dans l’administration des provinces. La séparation des pouvoirs n’existe plus, le chef de l’Etat les concentrant tous entre ses mains. La Justice, comme le montre l’attitude de la Cour constitutionnelle, a perdu le peu d’indépendance qu’elle avait. L’Etat de droit, avec les arrestations d’opposants, l’interdiction des manifestations ou les atteintes graves à la liberté des médias, est lui considérablement affecté », s’inquiète un professeur de droit public de l’UniKin qui se félicite cependant « de l’intense activité diplomatique et des sanctions internationales prises contre les caciques du régime, seule solution efficace », selon lui, « pour tempérer les ardeurs d’un pouvoir qui s’affranchit, avec de moins en moins de retenue, du respect des règles. » Il espère d’ailleurs que ces sanctions « seront rapidement étendues à d’autres responsables et ce, jusqu’au plus haut sommet, sans oublier au passage Alexis Thambwe Mwamba, le Garde des Sceaux, principal artisan de l’instrumentalisation de la Justice en RDC ».

En attendant, la RDC continue de s’enfoncer inexorablement dans une crise multiforme et dont les responsabilités sont d’autant plus diluées que le pouvoir central paraît dépassé par les répercussions de ses propres interventions -dont l’inconstitutionnalité fait paradoxalement école.

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