RDC : l’opposition rassemblée, malgré des « taupes » dans ses rangs


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Félix Tshisekedi et Pierre Lumbi ont été désignés, ce jeudi 2 mars, pour diriger le Rassemblement à l’issue d’un vote interne. La puissante plateforme, qui réunit la quasi-totalité de l’opposition en RDC, parvient ainsi à faire la preuve de son unité, en dépit des tentatives de déstabilisation de la part du pouvoir en place, qui s’appuie sur des complicités intérieures.

Un choix de bon sens et de raison. C’est ainsi que l’on peut qualifier la désignation de Pierre Lumbi et de Felix Tshisekedi à la tête du Rassemblement. Le premier, nommé Président du comité des sages, l’a emporté avec cinq voix sur neuf, dont celles des principales plateformes (le G7, l’UDPS et l’Alternance pour la République [AR]). Il devance largement Martin Fayulu, le Président de l’ECiDé (deux voix, dont celle d’une des composantes de la Dynamique de l’opposition) et Eugène Diomi Ndongala (une voix). La neuvième et dernière voix est, quant à elle, allée à l’abstention.

Pierre Lumbi Okongo jouit d’une solide réputation de démocrate. Issu de la société civile, il a très tôt tenté de la structurer pour lui donner une véritable ossature (aux côtés, à l’époque, de syndicalistes, de professeurs d’université, de médecins, etc.). C’est d’ailleurs à ce titre qu’il a pris part, en 1990, à la Conférence nationale souveraine. En 1991, il est nommé ministre des Affaires étrangères au sein du premier gouvernement post-conférence nationale, dirigé par un certain… Etienne Tshisekedi, auquel il succède aujourd’hui. Nommé conseiller spécial auprès du Président Joseph Kabila, chargé de la sécurité, il démissionnera avec fracas pour protester contre la volonté du chef de l’Etat de modifier la Constitution afin de briguer un troisième mandat. Depuis lors, lui et son parti, le Mouvement Social pour le Renouveau (MSR), le premier à avoir quitté la majorité présidentielle, ont rejoint les rangs de l’opposition.

« Il y a beaucoup de points communs entre Etienne Tshisekedi et Pierre Lumbi », nous explique l’un de ses proches. « Le Sphinx a longtemps accompagné Mobutu. Pierre Lumbi a, lui, des années durant conseillé Joseph Kabila. Ces deux hommes ont cependant fini par claquer la porte lorsqu’ils ont acquis la conviction qu’une dérive dictatoriale se mettait en place ». Mais la comparaison à ses limites. Tshisekedi est un monument de la vie politique RD congolaise et l’un des pionniers de la lutte pour la démocratie. Sa notoriété dépasse largement les frontières du vaste Congo. On peut quasiment parler à son sujet d’icône politique, de mythe. Pierre Lumbi, lui, a jusqu’à présent bénéficié d’une moindre exposition mais il est loué pour ses qualités humaines. Calme et conciliant, il est réputé rassembleur, ouvert au dialogue mais en même temps ferme et constant dans ses positions. Des qualités qui lui seront utiles pour tenter de parvenir à la mise en œuvre de l’accord de la Saint Sylvestre, retardée en raison des manœuvres dilatoires du clan Kabila.

Si le choix de Pierre Lumbi apparaît logique, celui de Félix Tshisekedi, désigné Président du Rassemblement, semble, lui, naturel. Depuis plusieurs mois, il apparaissait comme le dauphin de son père à la tête de l’UDPS. « Il a pour lui le patronyme mais aussi la force et le tempérament », nous dit un vieux compagnon du Sphinx de Limete, qui connait de longue date Félix et sa passion pour la politique. « Le duo qu’il forme avec Moïse Katumbi est bien perçu par la population congolaise », analyse, quant à lui, un fin connaisseur de la vie publique kinoise. « A eux deux, ils incarnent le renouveau de la classe politique en RD Congo, orpheline depuis le décès d’Etienne Tshisekedi », conclut-il. Un duo dont la puissance est redoutée par le pouvoir de Kinshasa, qui tente désespérément de le diviser. Les manœuvres du régime pour y parvenir sont quasi-quotidiennes mais restent vaines.

Une unité préservée malgré les taupes

Si le Rassemblement est parvenu à faire la preuve de son unité, cela n’a pas été de tout repos. Depuis plusieurs semaines, la plateforme de référence de l’opposition en RDC fait l’objet de tentatives de déstabilisation tous azimuts de la part du régime de Joseph Kabila. L’objectif : tenter de faire imploser le mouvement en s’appuyant sur des complicités à l’intérieur. Ce n’est donc ni un hasard, ni une surprise de voir certains contester aujourd’hui, à grands bruits, la désignation de Pierre Lumbi et de Félix Tshisekedi.

Parmi ces « taupes », figure tout d’abord Joseph Olenghankoy. Le Président des FONUS, qui s’est auto-proclamé héritier d’Etienne Tshisekedi, est lourdement soupçonné d’avoir perçu une très forte somme d’argent (des sources concordantes parlent de 100.000 dollars) de la part de Raphaël Katebe Katoto afin de soutenir la candidature de ce dernier au poste de Premier ministre et torpiller, par la même occasion, celle de Félix Tshisekedi, pourtant choix officiel du Rassemblement et – surtout – de son frère cadet Moïse Katumbi.

Autre membre du Rassemblement soupçonné d’être un « agent infiltré à la solde du régime de Kabila », Lisanga Bonganga. Lui aussi conteste le double choix de Pierre Lumbi et de Félix Tshisekedi, alors même qu’il se présente comme un allié de l’UDPS. « Je me demande de quel genre d’allié il s’agit car il vote toujours à l’inverse de ce qu’a décidé l’UDPS », indique un membre du parti, qui raille le fait qu’il ne soit « jamais parvenu à remporter la moindre élection ». Beaucoup se rappellent aujourd’hui, avec amertume, de ses « positions divisionnistes » au moment de la création du Rassemblement, en juin dernier, qui faillirent faire capoter la signature de l’accord de Genval, à l’origine de la création de cette plateforme d’union de l’opposition. De sources sûres, Lisanga serait de mèche avec le Gouverneur de la ville province de Kinshasa, André Kimbuta, un intime du Président Kabila, qu’il pousse à prolonger son bail à la tête de l’Etat.

Même si son cas n’est pas du même ordre que ceux d’Olenghankoy et de Lisanga, nombreux sont ceux à scruter la réaction de Martin Fayulu, qui est apparu amer à l’issue du vote de ce jeudi 3 mars. Il s’est d’ailleurs, peu après, fendu d’un tweet aussi assassin qu’énigmatique : « Feu le Président Tshisekedi privilégiait toujours la volonté du peuple, et se départir de ce comportement est une trahison… inacceptable. ». Des propos obscures et… incohérents : évoquer Tshisekedi alors qu’on refuse de se plier au verdict d’un vote démocratique semble pour le moins paradoxal… « Je connais bien Martin Fayulu », nous confie l’un de ses proches. « J’ai bon espoir qu’une fois la déception passée, il reviendra à la raison. La démocratie s’est exprimée. Il faut se plier au verdict des urnes. On ne peut pas prêcher en faveur des principes démocratiques au Congo et refuser qu’ils s’appliquent à soi-même », lâche-t-il.

Déstabiliser le Rassemblement pour pouvoir organiser un referendum

Mais pourquoi, diable, le régime de Joseph Kabila chercherait-il à déstabiliser le Rassemblement, à rechercher son implosion ou, à tout le moins, sa scission ? La raison en est, en réalité, simple. L’accord de la Saint Sylvestre a été conclu entre le Rassemblement de l’opposition d’une part et les signataires de l’accord de la Cité de l’UA d’autre part (MP, UNC, etc.). Il s’agit donc d’un « contrat » entre deux parties, qui – pour mémoire – proscrit l’organisation d’un referendum pour changer la Constitution, interdit la possibilité d’un troisième mandat pour Joseph Kabila et impose la tenue d’une élection présidentielle dans des délais rapprochés. Sa signature, le soir du 31 décembre 2016, a d’ailleurs coûté à Alexis Thambwe Mwamba, l’actuel ministre de la Justice, son poste de chef de la délégation chargée de négocier, pour le compte de la majorité présidentielle, l’application de l’accord. Kabila lui a reproché, en effet, d’avoir lâché trop de lest le jour de la Saint Sylvestre. Or si le Rassemblement éclatait, l’accord deviendrait caduc. En ce cas, le régime en place ne manquerait pas, face au risque d’instabilité politique et institutionnel, d’en appeler au « souverain primaire », autrement dit au peuple. On retomberait ainsi sur l’idée du referendum, dont la majorité présidentielle n’a toujours pas fait son deuil et dont les résultats risquent fort d’être connus d’avance…

Preuve que la majorité présidentielle n’a toujours pas renoncé à son projet de referendum en vue de modifier la Constitution, une délégation conduite par le vice-Premier ministre, chargé de l’Intérieur, et secrétaire général adjoint du PPRD, Emmanuel Ramazani Shadary, a été dépêchée cette semaine à Lubumbashi, dans l’ex-Katanga. L’objectif : débarquer le Gouverneur actuel, Jean-Claude Kazembe, et lui trouver un remplaçant. Le motif : celui ne tiendrait pas suffisamment sa province. Ce qui constitue un handicap pour le pouvoir dans la perspective de l’organisation prochaine d’un… référendum, une hypothèse clairement évoquée cette semaine lors d’une réunion par Emmanuel Ramazani Shadary.

Deux noms sont évoqués pour remplacer le Gouverneur Kazembe. Celui de Fridolin Kasweshi, tout d’abord, l’ex-ministre des infrastructures du gouvernement provincial du Katanga, puis du gouvernement central. Et celui de Jean-Marie Dikanga Kazadi, universitaire, professeur de lettres modernes, qui fut ministre de l’Intérieur et porte-parole du gouvernement provincial de l’ex-Katanga sous Moïse Katumbi. Kasweshi et Kazadi sont tous deux membres du PPRD.

La délégation conduite par Emmanuel Ramazani Shadary devrait, ce vendredi 3 mars, être rejointe par Aubin Minaku, président de l’Assemblée nationale et secrétaire générale de la majorité présidentielle. A l’issue de cette mission, une motion de défiance devrait être adoptée à l’encontre du Gouverneur Kazembe. Joint par téléphone, l’un de ses proches nous assure que celui-ci ne se laissera pas faire. « Il a eu le sentiment d’être utilisé et désormais on voudrait se débarrasser de lui ? », fait-il mine de s’interroger, avant de menacer : « si le pouvoir veut jouer à ce jeu-là, le Gouverneur Kazembe révèlera toutes les manipulations auxquelles il a dû se livrer pour salir l’image de Moïse Katumbi [devenu la bête noire du régime] ». Une chose est sûre : Jean-Claude Kazembe, réputé combatif, vendra chèrement sa peau.

La vie politique en RD Congo n’est jamais un long fleuve tranquille. En dépit des tentatives de déstabilisation et des tiraillements, le Rassemblement est de nouveau en ordre de bataille pour tenter d’obtenir la mise en œuvre de l’accord de la Saint-Sylvestre face à un Joseph Kabila qui reste déterminé à jouer la montre. Une question désormais brûle toutes les lèvres : quelle sera la position de Moïse Katumbi, la figure tutélaire du Rassemblement, à l’égard de cette double désignation, et en particulier celle de Felix Tshisekedi ? A ce stade, le très populaire dernier gouverneur de l’ex-Katanga ne s’est toujours pas prononcé publiquement et son compte Twitter est resté muet. En attendant d’être fixé, une chose semble claire : son leadership au sein de l’opposition ne semble plus pouvoir être contesté. Depuis le décès de feu Etienne Tshisekedi, Moïse Katumbi est, avec Joseph Kabila, l’un des deux seuls poids lourd de la vie politique au Congo-Kinshasa.

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