Francophonie : qui succèdera à Abdou Diouf ?


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Au fur et à mesure que son rôle économique marquait, l’Organisation Internationale de la Francophonie se démarquait de son apparente neutralité politique originelle. La Francophonie n’est plus seulement « culturelle », elle se pique aujourd’hui d’environnement, de valeurs humaines et démocratiques, bref elle s’arrime aux défis de son époque. Elle n’a certes résolu aucun conflit armé, démonté aucune dictature, sauvé aucun mausolée, rétabli aucun régime démocratique… Jusqu’ici en fait elle n’a pas pu se poser autrement que comme une instance de moulage du verbe et de la parole écrite.

Seule une nouvelle forme de colonisation pouvait tuer l’ancienne culture coloniale française ; c’est donc à partir des structures et des schémas qui avaient naguère présidé aux relations de la France avec les « indigènes » que les bases techniques et conceptuelles de la Francophonie moderne se sont progressivement élaborées et améliorées. Les critiques sévères et brillamment argumentées des nouvelles générations d’intellectuels africains qui n’ ont vu dans le rêve des pères de la Francophonie (Senghor, Bourguiba, Diori, etc.) qu’une édulcoration des termes de la colonisation n’ont pas fait école.

Peut-être parce que ceux qui la dénonçaient au grand jour allaient dans des démarches paradoxales négocier des postes ou concourir pour des fonctions une fois hors champ. Qui du reste peut franchement croire que le Canada, la Suisse, et le Viêtnam par exemple sont de nouvelles colonies françaises ? Ce qu’il y a donc eu, ce sont des attitudes de rejet tenant du réflexe conditionné davantage que d’allégations sincères et constructives.

La Francophonie, la France l’a officiellement envisagée comme une chambre d’écho, un outil du « rayonnement culturel de la France » et une « composante majeure de son influence dans le monde ». Ce qui en fait une organisation très ethnocentrée, quoique (ou surtout que) désormais on lui assigne les rôles de dénationalisation de la langue française et de promotion de « la diversité des parlers francophones ».
Le parti pris d’assimilation ne va pas sans rappeler à la fois la politique d’inculturation dans l’Eglise catholique romaine et les plus grands théoriciens de la méthode scientifique dite de l’observation participante (« le premier moyen pour bien connaître les sauvages est de devenir un d’eux »). Résultat des courses, le joual ou le créole haïtien, au même titre que le wolof, le lingala, le bamiléké, ou le fulfuldé seraient donc des langues francophones, et les bantous un groupe ethnique français. Les ethnographes coloniaux ont fait leurs classifications, la Francophonie d’Abdou Diouf a pu imaginer les siennes : toujours, évidemment, en toute bonne foi.

Dakar 2014 : qui la France a-t-elle short-listé ?

Abdou Diouf, après s’être retiré du Sénégal dont il a été le président de la république, se retirera, en 2014, de la Francophonie, après 11 ans de règne : un homme qui sait durer ! Son mandat court jusqu’en décembre 2013 et, selon les usages, à cette échéance, son successeur devrait être connu même s’il (ou elle) ne sera confirmé qu’à Dakar, au cours du XVème sommet. Cette instance aux allures de conclave laissera échapper sa petite fumée blanche. Ce n’est pas dans le site de l’OIF en tout cas que l’on verra un appel à candidatures pour ce poste si convoité. Après Boutros-Boutros Ghali, Abdou Diouf, s’achemine-t-on vers le choix d’un dirigeant de la francophonie totalement apolitisé, reflétant les préoccupations de genre, et, mieux que ses prédecesseurs, proche des gens et de toutes les cultures francophones ?

Le titulaire du poste a rang et privilèges de chef d’Etat (de chef d’Etat africain), « gère » un budget bien supérieur à celui de l’Union Africaine, c’est un véritable monarque dans son royaume. C’est tout naturel donc si par le passé il a fait rêver l’internationale Calixthe Beyala. En 2013, après une « intercandidature » où elle a « dechiqueté » sa chère France, défendu l’indéfendable Ggbagbo, est-elle encore candidate à son propre rêve ? Calixthe Beyala est imprévisible et clivante, ses chances sont à peu près nulles. Pourtant une femme à cette fonction donnerait de l’allure à cette organisation qui chapeaute des opérateurs (AUF, TV5, etc.) tous dirigés par des Français.

Voici trois suggestions que Laurent Fabius devrait selon moi transmettre à son président de la république :

  Nahal Tajadod : elle est d’origine iranienne, c’est peut-être un handicap, mais c’est une grande francophone devant l’éternel, d’une culture voire d’une érudition rares, sa relative jeunesse (54 ans) et son genre sont des atouts appréciables.

  Nadia Benjelloun : Marocaine, c’est une femme de culture reconnue

  Abdourahman Waberi : c’est le seul nom d’Afrique de l’Est qui me vienne à l’esprit, alors par souci d’alternance géographique, on pourrait très bien faire appel à lui.

Abdou Diouf qui a été primé en 1996 par l’Académie française, et a une âme de successeur de Senghor, pourrait peut-être prendre la direction de cette institution et devenir lui aussi immortel… Mais un(e ) vrai(e ) retrait(e ) ne lui fera aucun mal, à bientôt 80 ans, il ne manque plus rien à son exceptionnel parcours, et tous les octogénaires d’aujourd’hui devraient s’inspirer de la renonciation du pape Benoit XVI, pour donner assez tôt leur chance aux nouvelles générations.

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