Procès Thomas Sankara : le témoignage poignant du professeur Serge Théophile Balima


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L'ancien Président du Burkina Faso, Thomas Sankara
Thomas Sankara

L’audition des témoins dans le procès de l’assassinat de Thomas Sankara s’est poursuivie dans la journée du mercredi 1er décembre 2021, à la salle des banquets de Ouaga 2000. Retour sur le témoignage poignant de Serge Théophile Balima.

Le passage du professeur Serge Théophile Balima, ancien journaliste à la radiodiffusion du Burkina Faso et chargé de communication, section presse internationale à la Présidence du Faso sous Thomas Sankara, a été riche en détails intéressants. Premier élément important : l’absence quasi-totale du service de sécurité de Thomas Sankara à la présidence en début d’après-midi, le 15 octobre 1987. « J’ai constaté le caractère désertique ce jour-là, de la présidence. À 15 h 55, je reçois l’appel de Thomas Sankara. Je monte. Arrivé, je constate avec lui que la quasi-totalité de son service de sécurité était absente ».

Deuxième élément important : Thomas Sankara reçoit un appel qui, vraisemblablement, selon le témoin, venait de son épouse qui le met en garde. « Thomas, tu es où ? Sauve-toi, ils vont te tuer », a dit la voix au bout du fil, et le capitaine Sankara aurait répondu en lui demandant de garder son calme et qu’ils en discuteraient une fois qu’il sera chez lui. Ensuite, le Président du Faso reçoit un deuxième coup de fil qui aurait été émis par Alouna Traoré : « Camarade Président, nous sommes tous réunis. On n’attend plus que toi », fit la voix au téléphone. Ce à quoi Thomas Sankara répondit : « J’arrive de suite ».

Troisième élément important : le coup de feu d’alerte. Selon Serge Théophile Balima, moins de deux minutes après le départ de Thomas Sankara de la Présidence pour le Conseil de l’entente situé juste à quelques dizaines de mètres, un coup de feu retentit. Pour le témoin, il s’agissait tout simplement d’un signe d’alerte pour signifier que le Président avait démarré. Quatre à cinq minutes après cette alerte, la fusillade commença. « Je suis resté à la présidence trois à quatre heures. Et après, j’ai décidé de sortir les mains en l’air et jongler pour arriver chez moi. C’est là que ma femme me demande où j’étais, que feu Arba Diallo a appelé disant qu’on avait informé tout le personnel civil de la présidence de ne pas aller au service ce jour », ajoute le témoin.

L’homme Sankara, un parangon de vertu qui gênait plus d’un

Dans sa déposition, le témoin Serge Théophile Balima est longuement revenu sur les qualités intrinsèques de Thomas Sankara qui d’ailleurs, lors des rencontres internationales, ravissait la vedette à tous les chefs d’État, en se positionnant toujours clairement du côté des peuples, et indisposait plus d’un. Pour montrer la rigueur morale du capitaine, l’ancien chargé de communication à la présidence évoque un épisode particulièrement croustillant. Alors qu’il avait un tête-à-tête avec son homologue ivoirien, Félix Houphouët-Boigny, Thomas Sankara a interrompu les échanges, est sorti pour aller appeler le témoin et son collègue qui patientaient dans une salle à côté. Il voulait les prendre à témoin et leur montrer la mallette bourrée de billets que le Président ivoirien voulait lui offrir. Et dans une langue nationale burkinabè, il leur dit que Houphouët-Boigny pensait l’avoir ainsi, mais qu’il ne pourra pas. Ensuite, les deux journalistes sont ressortis, laissant les deux chefs d’État poursuivre leur entretien.

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À en croire le témoin, Houphouët-Boigny n’a pas digéré cet affront. De ces différentes situations entre le fringant capitaine, Président du Faso et le vieux Houphouët-Boigny, seraient nées les piques que se lançaient les deux hommes. À Sankara qui parlait des « vieux crocodiles aux yeux gluants », Houphouët-Boigny répliquait que « les vieux crocodiles se nourrissent de capitaines ». Les divergences étaient si profondes entre les deux hommes que Félix Houphouët-Boigny a fini par dire à Thomas Sankara un jour : « Si vous ne changez pas, on va vous changer. Thomas Sankara avait compris cela au sens figuré ; il m’a dit : “tu vois, il veut me convertir, mais il ne pourra pas”. Je lui ai dit que moi, je comprenais sa déclaration au sens propre ; c’est-à-dire que si vous ne changez pas, il va vous remplacer », a confié Serge Théophile Balima à la Cour.

Le témoin a multiplié les exemples pour montrer le peu de cas que Thomas Sankara faisait des privilèges liés à la fonction de président de la République. « Le tempérament était différent entre ces deux hommes (Sankara et Compaoré, ndlr). Thomas Sankara était pour moi un ancêtre, un moine. Les attributs du pouvoir ne l’intéressaient pas. Il n’a pas donné une noblesse particulière au pouvoir, mais Blaise, lui, vivait normalement ». La rigueur du Président Sankara ne souffre d’aucune ambiguïté selon le témoin. Au sujet des heures de travail, par exemple, il indique : « Si vous arrivez trois minutes après l’heure, vous êtes sanctionné. Il (Thomas Sankara, ndlr) ne tolérait pas les retards au service ». Convaincu de son action révolutionnaire, le Président du Faso disait à qui voulait l’entendre, rappelle le témoin : « Tuez-moi, ils en naîtront des milliers de Sankara ». Et Serge Théophile Balima de soupirer : « On attend toujours ces milliers de Sankara ».

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Historien, Journaliste, spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne
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