Pourquoi la gestion des fonds du Covid-19 suscite-t-elle autant de suspicions en Afrique ?


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Coronavirus en Afrique 28 mars 2020
Coronavirus en Afrique 28 mars 2020

Soupçons de détournements des fonds destinés à la gestion de la pandémie de Covid-19. De la RDC au Cameroun, le problème demeure le même. Des personnalités montent au créneau pour accuser les ministres de la Santé de gestion opaque. Pourquoi ce climat de suspicion qui embrase de plus en plus de pays, concernant la gestion des fonds mobilisés pour financer la riposte contre le Covid-19 ?

La pandémie du Covid-19 a entraîné, dans le monde entier, des levées de fonds à donner le tournis. Des fonds levés par les institutions internationales pour venir en appui aux pays les moins nantis dans le but de soutenir leur effort de lutte contre le Coronavirus. A l’intérieur des pays eux-mêmes, de fortes sommes sont mobilisées pour soutenir cette lutte. On parle de plusieurs centaines de milliards. Si ce ne sont des milliers de milliards. De quoi susciter… des suspicions.

En RDC, le docteur Eteni Longondo est soupçonné par son adjoint

C’est de la RDC que sont parties les premières suspicions qui ont fortement agité la presse et les réseaux sociaux. En effet, le docteur Eteni Longondo, ministre de la Santé, est fortement mis en cause par son adjoint, Albert M’peti Biyombo, vice-ministre de la Santé. Le 29 juin 2020, à la veille du 60e anniversaire de l’indépendance du pays, ce dernier adressa un mémorandum très confidentiel au Premier ministre, avec ampliation au Président Félix Tshisekedi, au ministre des Finances et au Secrétaire général du gouvernement.

Dans ce document, le numéro 2 du ministère de la Santé y a dénoncé, avec verve, la gestion opaque sur fond de gabegie financière, d’affairisme et d’entretien de réseaux maffieux, des fonds destinés à financer la lutte contre le Coronavirus. Sachant que sa part de vérité était attendue par ses compatriotes, Eteni Longondo a été contraint de sortir de son silence. Non pas pour contredire publiquement Albert M’peti Biyombo, mais pour s’en remettre à la justice et porter plainte contre X, bien que le mémorandum soit signé par son auteur qui ne s’en est pas caché. L’affaire est donc pendante devant les tribunaux.

Au Cameroun, le docteur Manaouda Malachie, attaqué, réagit

Un scenario identique à celui de la RDC s’est produit au Cameroun, à la différence que l’accusateur, dans le cas d’espèce, est un député. Jean Michel Nintcheu, élu du Social Democratic Front (SDF) a, en effet, frappé : « Chaque semaine qui passe est nimbée de rumeurs et de faits d’opacité, de surfacturations, de collusions et de conflits d’intérêts qui ont cours au MINSANTE relativement à la gestion de la pandémie de Covid-19 dans son ensemble. Quand, pour s’exprimer sur une crise sanitaire, un ministre de la République choisit d’esquiver les parlementaires durant toute une session et préfère opter pour une conférence de presse (…), c’est hallucinant », a écrit le député.

Il n’en fallait pas plus pour faire sortir Manaouda Malachie de ses gongs : « J’aurais aimé ne pas dire quelque chose sur ce genre de propos. Mais si vous m’y amenez, je voudrais tout simplement déplorer le fait qu’un député de la République puisse se déporter sur des réseaux sociaux pour poser une question sur un sujet aussi préoccupant, alors qu’il y a un mécanisme du contrôle de l’action gouvernementale qui est bien connu ».

Le ministre de la Santé a, par ailleurs, justifié son absence au Parlement par le fait qu’il n’avait reçu aucune interpellation de la part de l’Assemblée nationale dans ce sens, avant de faire observer à son détracteur que « s’il était passé voir le ministre des Finances, il aurait compris que le fonds de dotation spécial (destiné à la riposte contre le Covid-19, ndlr) n’est pas encore opérationnel ».

Mais pourquoi autant de suspicions ?

Justifiées ou pas, ces suspicions viennent du fait que des dirigeants peu scrupuleux, avides de gain facile et même illicite, de plusieurs pays en voie de développement, surtout africains, sont habitués à détourner, à dilapider, à voler les fonds publics, au détriment des populations censées en être les bénéficiaires, contribuant ainsi à renforcer la précarité desdites populations, et à généraliser la paupérisation des masses. Cette race de dirigeants rapaces est à la quête de la moindre opportunité de lucre pour s’en mettre plein les poches. L’exemple du prédécesseur de Eteni Longondo à la tête du ministère de la Santé de la RDC, Oly Ilunga, condamné en mars dernier à 5 ans de travaux forcés pour avoir, en complicité avec son conseiller financier, détourné environ 400 000 dollars destinés à la riposte contre Ebola, est encore trop frais dans les esprits pour ne pas être évoqué.

Si les différentes dénonciations ou suspicions peuvent permettre de limiter les dégâts, et décourager les « voleurs de la République » dans leur élan criminel, dans ce contexte de crise sanitaire due au Coronavirus, elles n’auront donc pas été inutiles.

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Historien, Journaliste, spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne
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