Pourquoi ces Français d’origine africaine ont choisi Sarkozy


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Kärcher, racaille, mouton égorgé dans la baignoire… les militants UMP du Cercle de la diversité républicaine n’ont pas acquiescé à toutes les petites phrases de leur candidat aux présidentielles françaises. Mais ils préfèrent insister sur les débats suscités par Nicolas Sarkozy et les solutions qu’il avance, comme la discrimination positive et l’immigration choisie. Témoignages.

Non, tous les Français d’origine africaine ne vont pas voter pour Ségolène Royal, dimanche, au second tour des présidentielles françaises. C’est ce que les membres du Cercle de la diversité républicaine de l’UMP ont sans doute voulu signifier en organisant un rassemblement des « Afro-Français avec Nicolas Sarkozy », vendredi soir, à Paris, sur l’esplanade du Trocadéro. Ce cercle réunit des militants de l’UMP, d’origine étrangère récente ou non, qui tentent d’apporter des réponses aux questions posées par l’immigration en France. Afrik.com a interrogé trois d’entre-eux sur le « tout sauf Sarkozy » prôné par ses opposants, en raison de son discours droitisant, ainsi que sur la discrimination positive et l’immigration choisie que leur candidat propose d’appliquer.

 Kamel Hamza : « Le chromosome de gauche des jeunes des cités »

Originaire de La Courneuve, Kamel Hamza est candidat UMP aux législatives de juin prochain dans la 3è circonscription de Seine-Saint-Denis. Il a voté Mitterrand en 1981 et 1988, avant d’entrer en politique lors de la campagne présidentielle 2002 aux côtés de Jacques Chirac

« Tout sauf Sarkozy »

Je suis à La Courneuve et j’y vois une version [de l’image de Nicolas Sarkozy] alimentée par la gauche. Quand on va voir les jeunes, ils nous disent Nicolas Sarkozy n’aime pas les étrangers, il veut tous nous renvoyer. Mais ils ne lisent pas son programme et ne se documentent pas. Ils ont une vision qui est celle d’associations tout de même politisées. Il faut se souvenir aussi que sous le credo d’appeler les jeunes à s’inscrire pour voter [pour ces présidentielles], on leur a aussi dit « fais le vite, tu te souviens ce que Sarkozy a dit…» On leur a tellement dit que c’est le méchant loup qu’il est difficile de leur parler. Seuls ceux qui veulent s’en sortir s’intéressent aux programmes et essayent de venir nous voir.

La réalité est aussi que pour les populations issues de l’immigration, dans les banlieues, il y a un « chromosome de gauche » : on grandit avec des associations de gauche, le maire adjoint est de gauche et on va en vacance avec des animateurs sociaux de gauche. J’ai connu cela mais en accédant aux études supérieures, par curiosité, j’ai pu comprendre que la droite n’est pas le méchant loup.

Le mouton, la racaille et le kärcher

Le mot « kärcher », à La Courneuve, il l’a dit lors de sa première visite. Il est revenu une deuxième fois où il a été interpellé et a pu s’expliquer, puis une troisième… Mais là il a été question de la « racaille ». Il est sûr que des mots ont pu choquer, je ne le remets pas en cause. Mais quand Royal parle de son encadrement militaire pour les jeunes, on n’en fait pas une montagne. Il y a eu des mots malheureux, le mouton égorgé, la racaille, qui est une réalité, et le karcher, qui faisait suite à la mort d’un enfant lors d’un affrontement entre bandes rivales. Si on ne remet pas cela dans le contexte…

Quand vous êtes en politique, vous vous adressez à des personnes de différents milieux. A La Courneuve, plus que du racisme, les gens éprouvent un ras le bol véritable. Ma vision est qu’il y a les 10% de racistes purs et durs qui ont voté FN au premier tour et les autres, qui se disent qu’il y a peut-être un espoir de vivre ensemble. Nicolas Sarkozy a mobilisé autour de thèmes comme la Nation, la France, le travail… je crois que c’est simplement du bon sens.

Discrimination positive et immigration choisie

Pour moi, ceux qui disent que la discrimination positive est anti-républicaine sont ceux qui travaillent. Quand vous avez du boulot, c’est facile d’être républicain. [Quant à l’immigration choisie], c’est pour moi une façon de dire aux gens : quand vous viendrez, vous aurez une reconnaissance, un logement, un travail, et plus la prime à la clandestinité en attendant dix ans pour être régularisé. C’est être honnête avec les gens.

 Nourredine Saïd Mlanao : Sarkozy a « un côté provocation qui peut être bénéfique lorsqu’il amène à discuter sur le fond »

Secrétaire général de l’association Initiative économique des migrants et membre de l’UMP, il est un déçu de la gauche. Il a été candidat à la candidature des présidentielles aux Comores en 2002

« Tout sauf Sarkozy »

J’ai côtoyé beaucoup de responsables politiques socialistes et j’en ai marre de ce discours paternaliste et de victimisation de la gauche. Je veux être reconnu non pas comme un Noir mais comme un citoyen à part entière. J’ai demandé une fois à un député maire socialiste pourquoi nous n’étions pas représentés dans l’équipe dirigeante de la ville, il m’a répondu : « je ne suis pas contre, mais notre électorat ne sera jamais d’accord ». Je crois que les socialistes sont plus dans la récupération, comme avec la « marche des Beurs », que dans la revendication réelle.

[Sur les voix du Front National allées à Sarkozy au premier tour], une chose est certaine : quand François Mitterrand a été élu en 1981, le FN faisait 3%. Je ne crois pas que les 10 à 15% de Français qui ont voté pour Le Pen par la suite sont tous des fachos… J’estime que je suis un citoyen avertit qui fait la part des choses entre l’attitude et la nécessité de prendre le pouvoir avec une majorité confortable pour gouverner. Alors j’assume pleinement mon soutien. Il faut que nous nous habituions au fait qu’il n’y a pas de sujet tabou pour Nicolas Sarkozy. Lorsqu’il a stigmatisé les délinquants, il est faux de dire que tous les Français d’origine étrangère étaient visés.

Le mouton, la racaille et le kärcher

[Sur la question du mouton égorgé], je suis musulman et en Islam, on dit que seul le prophète ne fait pas d’erreur. Nicolas Sarkozy n’est pas le prophète. Je peux le supporter à 90%, 95%, ne pas être d’accord avec tout ce qu’il dit, tout en assumant mon soutien. C’est facile de vouloir diaboliser quelqu’un sur la base de mots. Il a une phraséologie à lui, peut-être un côté provocation, qui est bénéfique lorsqu’il amène à discuter sur le fond.

Discrimination positive et immigration choisie

La discrimination positive existe de fait depuis des années, avec les zones franches par exemple, mais dès qu’elle touche à des gens, des Noirs ou des Arabes, ça devient impossible. Sa mise en application est importante pour la valeur d’exemplarité que peut avoir une personne qui occupe un fonction importante : Condoleeza Rice est secrétaire d’Etat américaine et désormais, quand un Américain Blanc verra passer un Noir sous sa fenêtre, peut-être qu’il ne l’associera pas automatiquement à un balayeur… Quant à l’immigration, il faut mettre fin à cette situation où des personnes subissent les abus de la société et vivent cachés en attendant d’être régularisés après dix ans de vie en France. Si on doit accueillir des gens en France, il faut se donner les moyens de le faire.

 Roger-Franck Bemba : le mouton dans la baignoire « a un peu grillé nos cartes sur le terrain »

Entrepreneur autodidacte de 28 ans, Roger-Franck monte sa société de vente d’objets d’arts contemporains ainsi qu’un cabinet de consulting sur le commerce France/Afrique. Il était à Démocratie libérale lorsque ce parti a fusionné en septembre 2002 avec l’UMP

« Tout sauf Sarkozy »

En ce qui concerne la lepénisation prétendue, on a vu au premier tour que le FN n’avait pas autant reculé depuis des dizaines d’années. Nicolas Sarkozy a tenu un discours républicain pour ramener des électeurs du FN dans son giron. Je le défini comme un républicain de choc. Maintenant, on a vu que les thèmes de l’identité ou de la patrie développés par Sarkozy ont été repris par d’autres candidats. Je pense que nous sommes à un tournant en France avec la définition nécessaire d’un projet de société. La France se construit avec des citoyens venant d’Afrique subsaharienne, du Maghreb, d’Asie… et non plus seulement d’Europe de l’est et du sud comme au début du siècle. Et il ne faut pas tomber dans le rejet de l’autre.

A un moment, on ne comprend pas pourquoi on est rejeté des offres d’emplois, de logements… cela créé des non dits et des frustrations qui peuvent faire mal tourner. Nier le problème renferme les populations sur elles-mêmes et je pense qu’il faut des mesures positives, plus que des lois d’ailleurs, afin que les premiers soldats puissent permettre à la population de s’adapter. Ensuite on pourra laisser couler. Je suis un autodidacte mais je suis conscient de ma chance d’avoir grandit dans un environnement intellectuel développé. Et je sais que lorsqu’un étudiant de La Courneuve a la possibilité d’intégrer Sciences Po Paris, c’est aussi une occasion essentielle de créer de la mixité.

Le mouton, la racaille et le kärcher

J’ai des choses à redire sur les petites phrases, sur la formule « identité nationale et immigration », deux thèmes que je ne vois pas l’intérêt de coupler. Nous avons jugé qu’il n’était pas utile de le coupler au sein du CDR (le Cercle parle d’un ministère « de l’Immigration et de l’Intégration », ndlr) et le débat a également eu lieu à l’UMP. Mais le propre d’un parti n’est-il pas de débattre ? Pour moi, le plus important, ce sont les thèmes, le fond du programme. La forme est accessoire. Vous allez me parler du mouton, de la baignoire, mais je l’ai toujours dit, pour moi, c’était une bêtise. Beaucoup l’ont dit dans le Cercle et honnêtement, ça nous a un peu grillé nos cartes sur le terrain.

Discrimination positive et immigration choisie

Tous les Etats du monde ont des besoins : les USA les déterminent, le Canada le fait très bien aussi. Le problème en France est que l’on ne communique pas dessus. En Afrique, l’immigration en France est un peu perçue comme un droit. Les gens émigrent sans trop savoir pourquoi. Au contraire des pays anglophones où les migrants savent ce qu’ils vont faire. La France doit se mettre à la page sur ce point, et le regroupement familial suivra. Même si la vraie solution est le développement de l’Afrique et la fin du gâchis intellectuel sur le continent.

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