Pour soigner les maux de l’Afrique exilée


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Afrique Avenir est une de ses associations dont l’existence est à saluer. Elle a en effet fait de la lutte contre le sida, dans la diaspora africaine une de ses priorités. Entretien à deux voix avec Romain Mbirinbindi et Jean Voza Lusilu respectivement, président et secrétaire général de la structure.

« Il faut que les Africains se prennent en charge. Les intellectuels africains ont tendance à analyser les problèmes au lieu de trouver des solutions concrètes. Il est temps de prendre nos responsabilités face aux problèmes de la diaspora », dixit les responsables d’Afrique Avenir. Engagés, à Paris, dans la lutte contre le sida dans la diaspora africaine, et plus particulièrement celle issue de l’Afrique sub-saharienne, Romain Mbirinbindi et Jean Voza Lusilu, président et secrétaire général de l’association sont, à n’en pas douter, au cœur de l’action. Le sida semble poursuivre les Africains jusqu’en France : les nouvelles contaminations recensées dans l’Hexagone frappent surtout la communauté africaine. [On peut lire dans le rapport « VIH, sida et IST. Etat des lieux des données en 2003 » de [l’Institut de veille sanitaire, du 27 novembre 2003, que les femmes représentent 42 % « des nouveaux diagnostics d’infection à VIH » et « 68% des femmes ont pour nationalité un pays d’Afrique subsaharienne ». Plus loin, le document indique : « Parmi les personnes contaminées par rapports hétérosexuels, plus d’une personne sur deux est de nationalité d’un pays d’Afrique sub-saharienne.[…] Globalement, les personnes de nationalité d’un pays d’Afrique sub-saharienne représentent 37% des nouveaux diagnostics d’infection à VIH.»]]. Outre la prévention du sida, Afrique Avenir accompagne les personnes en difficulté et contribue à la formation des coopérants. L’association existe depuis une dizaine d’années.

Afrik.com : Vous avez fait de la lutte contre le sida, votre cheval de bataille. Pourquoi ?

Romain Mbirinbindi : Notre action concernant le sida est dictée par des impératifs épidémiologiques. Les Africains sont très touchés par le sida (plus spécifiquement, ceux issus des communautés originaires des deux Congo, du Mali, du Sénégal, de la Côte d’Ivoire et de la République centrafricaine), toutes catégories sociales confondues. Les nouvelles contaminations du sida se retrouvent dans la communauté africaine parce qu’il y a un problème de prévention et d’accès aux soins, puisque ces personnes sont souvent en situation précaire. Et puis, c’est une préoccupation secondaire, les gens sont p

lus obnubilés par le fait d’avoir une carte de séjour ou de trouver un travail que par leur santé. Ça va devenir plus dur avec les lois Sarkozy. Les femmes sont celles qui sont les plus vulnérables.

Afrik.com : Comment expliquez-vous que les nouveaux cas de sida se retrouvent principalement dans la communauté africaine ?

Romain Mbirinbindi : Nous avons deux hypothèses. La première est qu’il y aurait une forte immigration vers l’Europe en provenance des pays les plus touchés en Afrique, avec une sérologie connue ou inconnue. L’autre hypothèse est le retard pris par la France dans la prévention contre le sida en ce qui concerne les populations d’Afrique noire. Des actions ont été initiées, il y a environ quatre ans, à destination de ces migrants. La France est une République, il est par conséquent tabou d’évoquer les communautés. Une politique qui, en ce qui concerne les Noirs, est manifestement une erreur !

Afrik.com : Qu’est ce qui fait la spécificité de la diaspora face au sida ?

Prospectus adapté par Afrique Avenir
Prospectus adapté par Afrique Avenir

Romain Mbirinbindi : La précarité bien évidemment. Mais aussi la dimension spirituelle qui n’a jamais été prise en compte. Les églises du réveil font du miracle un fonds de commerce et leurs pasteurs distillent un discours aberrant au sein d’une communauté congolaise très chrétienne. Il suffirait, selon eux, d’une imposition des mains pour guérir du sida. On a d’ailleurs produit une cassette sur le thème du sida et de la prière. Il est courant que les salles de spectacles du LSC (bien connue de la diaspora africaine à Paris, ndlr) se transforment en lieux de prière le dimanche.

Afrik.com : Quelles sont les actions que vous menez ?

Jean Voza Lusilu : Nous sommes là où sont les Africains. Nous allons donc avec notre matériel (prospectus et supports de sensibilisation, ndlr) que l’on distribue dans ce que nous appelons des «lieux de sociabilité» (cafés, magasins, ndlr). Le sida n’est pas un sujet qui attire. Nous y allons doucement car les gens sont un peu sceptiques. Les objets déclenchent la parole. C’est pourquoi nous essayons de développer des actions de prévention adaptées aux communautés africaines. Nous imaginons des choses qui permettent d’établir le contact et éveillent la curiosité. Exemple avec notre campagne pour le préservatif féminin ou encore pour l’utilisation des préservatifs. Les supports sont différents de ceux utilisés par le Crips (Centres Régionaux d’Information et de Prévention du Sida, ndlr).

Afrik.com : Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans votre travail ?

Jean Voza Lusilu: Pour que les tenanciers nous acceptent, il faut une négociation de longue haleine. Ce n’est pas facile non plus de disposer les prospectus dans les magasins ou d’aborder les gens directement. J’ai assisté dernièrement à un mariage camerounais et vers 3 h du matin – c’est à ce moment que les esprits embrumés par l’alcool et fatigués sont les moins vigilants et les plus susceptibles d’avoir des comportements à risque – j’ai entamé mon travail de sensibilisation en distribuant des préservatifs. J’ai failli alors me faire lyncher. C’est le marié qui est intervenu en ma faveur en calmant ses invités et en leur expliquant le bien-fondé de ma démarche.

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Afrik.com : Quels sont vos projets ?

Prospectus officiel du Crips
Prospectus officiel du Crips

Romain Mbirinbindi: Nous projetons d’ici septembre d’entreprendre une action de sensibilisation contre la dépigmentation d’autant plus que les produits utilisés sont vendus au su et au vu de tout le monde.

Afrique Avenir

22, rue des Archives

75004 Paris

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