Pièges de l’ethno-nationalisme et du populisme : l’exemple ivoirien


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La revendication défensive des identités et des cultures locales par certains hommes politiques ivoiriens qui modulent leurs discours sur le thème de l’invasion politique, économique et sociale d’un pays, par des groupes, des centres de pouvoirs étrangers et des intérêts venus d’ailleurs, est-elle crédible et innovante?

Ces dirigeants de partis et ces intellectuels engagés dans l’action politiques proposent-ils un contre-projet de société, explicite, cohérent et compatible avec la démocratie ? Cet appel défensif aux identités et aux coutumes constitue-t-il un remède aux effets déstructurants de la globalisation marchande ? L’idéologie de l’autochtonie peut-elle promouvoir la reconstruction des identités collectives et individuelles afin de fonder un développement endogène émancipateur? Est-elle au contraire une rhétorique démagogique qui porte dans ses flancs l’anti-démocratie, l’anti-développement et la désintégration sociale ?

Gestion ethno-nationaliste et confessionnelle du pouvoir

Il faut d’abord souligner que la poussée ethno-nationaliste ivoirienne s’inscrit dans le mouvement général de repli défensif des peuples sur les identités, les spécificités culturelles et les religions, amorcé sous la pression de l’internationalisation des échanges et de la globalisation économique et culturelle. Les sociologues ont attiré l’attention sur cette tendance mondiale au repli identitaire, véritable lame de fond qui balaie tous les continents, voyant la montée en scène des nationalismes communautaires, anti-modernes et xénophobes.
Prétendant protéger l’identité menacée des peuples et offrir une alternative politique et économique endogène face aux marchés internationaux et aux logiques étrangères de pouvoirs lointains, ces nationalismes ethno-religieux peinent cependant à tenir leur promesse de transformation émancipatrice de la société. De l’Egypte au Mali, en passant par la Tunisie et la Côte d’Ivoire, la gestion ethno-nationaliste et confessionnelle du pouvoir, ou la mise en œuvre des séparatismes, a conduit au désastre économique et politique et accentué la régression sociale et les clivages.

Le national-populisme mêle le passé et l’avenir

On retire donc de ces échecs l’impression que le nationalisme ethnique et religieux est incapable de promouvoir l’intégration socio-économique, la démocratie et le développement endogène. La viabilité du contre-projet de ce nationalisme identitaire, qui ne provient pas de la majorité des populations des pays dominés, mais plutôt des hommes politiques et des intellectuels, officiant en tant qu’opérateurs du mythe populiste et qui semble donc receler un nouveau despotisme, doit être mise en question. Les historiens et les sociologues n’ont-ils pas en effet souligné la dissociation qui s’opère souvent entre les nationalistes et les populations qu’ils prétendent représenter ; dissociation qui se solde dans certains cas par des pratiques terroristes visant aussi bien l’ennemi que la population qu’il s’agit conscientiser et de mobiliser ? Où se trouverait donc la faille explicative de ces échecs répétés qui, loin d’être circonstanciels et accidentels semblent plutôt ressortir d’une contradiction intrinsèque au national-populisme ethnique et religieux ? Jouant sur le registre de l’appel défensif à la tradition, de la protection de l’identité collective contre des menaces apportées par la globalisation économique, en même temps que sur celui d’un appel à réintroduire le peuple dans la modernisation économique et politique, le national-populisme mêle le passé à l’avenir, la tradition à la modernité, dans un amalgame d’éléments antinomiques !

Panafricanisme fondé sur l’hétérogénéité culturelle et confessionnelle

En Côte d’Ivoire, des hommes politiques en appellent aux identités et aux coutumes contre les logiques et les innovations venues de l’étranger. Ils s’inscrivent dans une action défensive de l’identité collective contre les transformations initiées par l’économie mondiale. Mais ils demandent en même temps un système monétaire renouvelé et la frappe libre et illimitée de l’argent pour accroître la circulation monétaire, afin d’introduire le peuple dans le système économique mondial. Ils en appellent à une défense politique des autochtones contre les étrangers, dans un nationalisme communautaire fondé sur l’homogénéité culturelle. Mais ils prônent dans le même moment une intégration économique et politique du continent dans un panafricanisme fondé sur l’hétérogénéité culturelle et confessionnelle! Ils sont à la fois ethno-nationalistes et patriotes, nationalistes et cosmopolites, alors que le patriotisme et le cosmopolitisme résultent de l’institution de la citoyenneté qui naît du refus de la conception ethnique de la nation. En démocratie, la société politique est un ordre auto-institué qui repose sur une liberté de choix par rapport à tout héritage culturel et qui intègre en son sein la différence et la diversité ! Ces ethno-nationalistes se disent cependant démocrates tout en concevant la société politique comme une communauté culturelle homogène à laquelle on appartient, par filiation biologique, sans liberté de choix !

Comment rester ce que l’on est et en même temps se transformer

Comment promouvoir une démocratie pluraliste fondée sur le principe de l’égalité, du respect des minorités et des différences, de la représentation politique des intérêts de la pluralité sociale lorsque l’idéologie partisane dont on se réclame prône l’exclusivité d’une communauté ou d’une religion particulière, dont l’Etat doit incarner le pouvoir et représenter les intérêts? Comment vivre dans l’hétérogénéité culturelle en acceptant la diversité quand on choisit l’homogénéité culturelle dans un Etat fondé sur le principe ethnique de la nationalité ? Comment s’inscrire dans la modernité économique et politique quand on revendique les coutumes et les traditions contre les transformations et les innovations ? Comment reconstruire contre les effets déstructurants des transformations pilotées par la rationalité instrumentale, des identités collectives et individuelles ouvertes lorsqu’on ne conçoit pas les identités comme étant des expressions particulières de l’universel, mais comme des singularités irréductibles qui doivent s’affirmer dans la négation de l’altérité ? Comme le souligne Michel Wievorka dans « La démocratie à l’épreuve » , « comment rester ce que l’on est et en même temps se transformer, comment promouvoir des changements qui ne peuvent qu’affecter la culture, au nom de ce que celle-ci présente de plus immuable et de plus inscrit dans l’histoire et la tradition » ?

Cette contradiction interne du nationalisme identitaire, dans ses variantes conservatrices et progressistes, oblige à douter de sa capacité à offrir une alternative politique. Elle met en question sa capacité intrinsèque à tenir ses promesses qui consistent à promouvoir la reconstruction des identités culturelles collectives et individuelles, à asseoir sur ce fondement un développement économique endogène, et à donner ainsi du contenu à la démocratie !

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