Perdus dans Brazzaville


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Vue aérienne de Brazzaville
Vue aérienne de Brazzaville

Les enfants des rues de Brazzaville originaires de Kinshasa forment un groupe visible et à part dans le milieu des enfants de la rue. La Commission internationale catholique pour les migrations organise leur retour dans leurs familles.

Chaque lundi matin, le rituel est le même : une petite dizaine d’enfants, en haillons pour la plupart, parfois sans chaussures, souvent mal en point, attendent Jean-Paul Bunel devant la porte de la Commission internationale catholique pour les migrations (CICM)*, dans le quartier brazzavillois des Batignolles. Des enfants perdus. Des enfants de la rue de Brazzaville originaires de Kinshasa. Des enfants, qui après quelques mois, sinon quelques années, passés à survivre de l’autre côté du fleuve, souhaitent retrouver leur famille, leur école, leurs amis.

Au départ : deux ou trois enfants, venus chercher un peu d’aide, qui ont passé le mot à leurs camarades d’infortune. « Devant la demande croissante, nous avons fait financer par l’Unicef un vrai programme de réintégration familiale », explique Jean-Paul Bunel. Depuis le 1er mars 2001, la CICM a recueilli, écouté et raccompagné dans leur famille en République Démocratique du Congo une centaine d’enfants.

Cherche famille désespérément

La population des enfants de la rue de Brazzaville venant de Kinshasa est estimée par la CICM entre 350 et 400 individus. « C’est un phénomène récent, qui remonte à 1987 », note Jean-Paul Bunel. « Il n’y a pas de tradition congolaise d’enfants des rues. » Pendant toute la journée du lundi, les enfants sont écoutés, soignés, nourris. Un éducateur part ensuite sur le terrain pour recouper les informations et vérifier que l’enfant n’a pas plus de 15 ans, âge limite de l’action de la CICM. Lorsque la famille est retrouvée, l’enfant la rejoint le plus vite possible.

« Il y a un danger à trop bien faire les choses. Notre action ne doit pas servir de pompe aspirante. Ainsi, lorsqu’on accueille les enfants, on ne les transforme pas. On sait d’où ils viennent – un milieu très modeste – et pas question de bousculer leurs habitudes alimentaires ou leur mode de vie. On sait qu’on ne les sortira de la misère que d’une seule façon : en les envoyant à l’école. »

Les enfants sont remis en « état psychologique » pour affronter leur famille. Certains sont partis depuis quatre ans et sont donnés pour morts dans leurs quartiers. La grande majorité a fugué pour raisons économiques – les cas de conflits avec les parents ou de maltraitance sont rares – et espéraient faire fortune à Brazzaville. La désillusion se double alors de la honte de l’échec.

Prisonniers de Brazzaville

N’ayant ni l’argent pour reprendre le bateau, ni l’envie de se présenter devant ses parents encore plus misérable qu’avant, l’enfant est prisonnier de Brazzaville. La vie est deux fois plus dure pour les enfants de la rue originaires de Kinshasa car ils sont très mal vus par la population brazzavilloise. Les policiers ne rackettent et ne rançonnent qu’eux. Beaucoup se plaignent de coups, de tortures à l’électricité, de brûlures de cigarettes.

« Il faut que l’enfant puisse se présenter la tête haute à sa famille, qu’il soit bien reçu. » Pour cela, la CICM a un programme simple mais efficace : « On soigne les plaies, les cas de gale, les boutons, les diarrhées. On les lave, on les coiffe, on les habille. »

Six d’entre eux peuvent se reposer, prendre des médicaments et des forces dans la petite maison aménagée pour eux, « peinte aux couleurs de la RDC », note Alvin, 23 ans, éducateur à la CICM. Ils reçoivent deux tee-shirts, un jean, une ceinture, des baskets, un sac à dos avec des affaires scolaires et un kit d’hygiène. « C’est vraiment dur de les voir arriver. Ce sont des enfants délabrés. Le vrai bonheur, c’est de voir la transformation lorsqu’ils ressortent d’ici », poursuit-il.

« Le retour dans la famille est un grand moment d’émotion », explique Jean-Paul Bunel. « Tous les voisins sont là. C’est un jour de fête. On remet 10 000 FCFA aux parents pour acheter des petites choses nécessaires à la vie de l’enfant : une natte, une assiette de plus. Et pour qu’ils ne prennent pas le prétexte du coût supplémentaire de l’enfant pour refuser de le reprendre. »

De même, la famille reçoit une aide alimentaire pendant la scolarité de l’enfant (400 g de riz et de maïs par jour, du sel et de l’huile) et un éducateur suit ses progrès.

Les enfants des rues ont entre 12 et 14 ans, pour 80% d’entre eux. « On en a eu un de 5 ans, l’un des rares que j’ai repêchés dans la rue. Il mendiait près du supermarché. Heureusement, pour l’instant, c’est un cas unique », se souvient Jean-Paul Bunel. Ce sont en grande majorité des garçons (une fille sur cent enfants) car « dans la tradition zaïroise, le garçon représente une charge importante pour la famille. C’est lui qui apporte la dot au moment du mariage ».

Kinshasa connection

Les enfants ne quittent pas Kinshasa seuls. Ils partent à deux ou trois d’un même quartier. Ils sont souvent entraînés par un copain qui connaît la filière et utilisent le bateau entre les deux villes, profitant du désordre qui règne des deux côtés de la frontière. Ils se débrouillent pour échapper aux contrôles de police, aux services d’immigration et aux agents du transporteur. Une fois sur place, ils mendient, cirent les chaussures, sont vendeurs ambulants.

Pour l’instant, aucun enfant n’est revenu de Kinshasa. La CICM fait tout pour éviter que les enfants retournent à la rue ou se contentent de petits métiers comme vendeurs d’eau ou de citrons. Cet été, ceux qui ont déjà rejoint leurs familles participeront à un « camp de rattrapage » scolaire à l’issue duquel ils seront placés dans des écoles.

« Sur les cent, il y avait seulement huit illettrés mais tous ont pris du retard lorsqu’ils étaient dans la rue. Nous voulons qu’en septembre ils se retrouvent dans une classe qui correspond à leur âge. » Il s’agit aussi de resocialiser des jeunes qui ont vécu dans un monde de violence, en marge des lois et de la société. Pour cela, des activités d’éveil et la création d’oeuvres collectives sont prévues, « dans une atmosphère de paix, de fraternité et de respect ». Une sorte de parenthèse enchantée pour les enfants perdus des rues de Brazzaville.

*La Commission internationale catholique pour les migrations (CICM) travaille dans le domaine de la migration forcée, au service des personnes déracinées. Elle répond aux besoins immédiats des réfugiés, des déplacés internes et des migrants forcés. Parallèlement, la CICM cherche à offrir des solutions plus durables aux personnes déracinées : le retour, la réintégration et la réinstallation.

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