
Quarante-trois ans après avoir prêté serment pour la première fois, Paul Biya renouvelle ce jeudi 6 novembre 2025 un geste devenu aussi rituel que mécanique : lever la main droite, jurer fidélité à la Constitution et promettre de servir le Cameroun.
Au Cameroun, l’inamovible Paul Biya débute son huitième mandat ce jeudi. Une performance politique rare, presque biologique, dans un pays où le temps semble avoir suspendu son vol autour d’un seul homme.
Une cérémonie ou un remake soigneusement chorégraphié
Les rues de Yaoundé se sont parées de vert, de rouge et de jaune, pas seulement pour honorer les couleurs nationales, mais pour peindre, encore une fois, le portrait du « renouveau » éternel. Les effigies du chef de l’État ornent les carrefours, les banderoles proclament en français et en anglais : « Merci au peuple souverain qui m’a élu ».
Le peuple en question, lui, observe souvent de loin cette mise en scène. La « fête nationale bis », car c’en est une, a été préparée par l’Assemblée nationale, qui a envoyé 1 500 cartons d’invitation, triant soigneusement diplomates, dignitaires et quelques opposants invités pour la forme.
Silence présidentiel, continuité absolue
Paul Biya, 92 ans selon les registres officiels (et peut-être un peu plus selon les horloges politiques), prononcera aujourd’hui son premier discours depuis le scrutin du 12 octobre, une élection contestée, émaillée de violences, d’arrestations et de morts. Un scrutin dont l’issue, sans suspense, lui attribuait encore une fois la victoire.
Mais qui s’attend à un grand soir ? Le Cameroun a appris à déchiffrer les silences du Président comme d’autres lisent les augures. Chacun guettera un mot, une intonation, une annonce qui ne viendra sans doute pas. Car, au pays de Biya, la parole présidentielle est rare, précieuse, et surtout elle n’engage à rien.
Un pays à deux vitesses : les ors de Yaoundé, la colère du reste
Pendant que les tambours de la capitale résonnent, le reste du pays s’interroge. À Douala, Bafoussam, Bamenda, ou Maroua, les appels aux « villes mortes » se multiplient. Les manifestants dénoncent ce qu’ils appellent une « confiscation de la souveraineté populaire ». Le Cameroon People’s Party (CPP) parle de « simulacre électoral » et demande à la communauté internationale de cesser de cautionner une démocratie de façade. Mais cette communauté internationale, conviée à la cérémonie et qui, poliment, s’assoira au premier rang, a depuis longtemps appris à applaudir avec discrétion.
À 92 ans, Paul Biya est désormais plus qu’un chef d’État : c’est une institution, un totem, un mythe d’État. Il a survécu à la Guerre froide, à plusieurs crises internes, à des promesses de transition et à des générations entières de ministres. Ses adversaires politiques se sont épuisés, ses alliés s’y sont accrochés.
Son secret ? Le temps long. Là où d’autres gouvernent par le verbe ou la réforme, Biya règne par l’attente, la lenteur et le silence. Rien ne presse, puisqu’il est toujours là.
Et après ?
L’avenir, comme toujours, se nomme « continuité ». La jeunesse, démoralisée mais ironique, s’en amuse parfois sur les réseaux sociaux : « Biya a commencé à régner avant nos parents, il régnera peut-être encore sur nos enfants ».
Ce jeudi, quand il jurera une fois de plus de « remplir loyalement les hautes fonctions de président de la République », beaucoup au Cameroun y verront moins un engagement qu’une promesse de répétition.
Et à Yaoundé, sous les applaudissements réglés du protocole, le vieux lion refermera une nouvelle fois sa main droite – celle du serment – pour tenir fermement les rênes d’un pays qu’il n’a jamais vraiment lâchées. Paul Biya, huit mandats plus tard, reste fidèle à lui-même : immobile, éternel et, surtout, irremplaçable.




