Paul Biya, 79 ans et pas une ride


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Le président camerounais s’est adressé à la jeunesse : paroles, paroles, paroles.

Si on avait déplacé le Paul Biya qui s’est adressé aux jeunes le 10 février dernier au boulevard Montmartre à Paris, dans le palais de Mirage du musée Grévin, on aurait pu le prendre pour sa propre statue de cire, tellement sa physionomie était lisse… A-t-il découvert, dans les rivages du Lac Léman non loin desquels la presse camerounaise le soupçonne d’avoir posé son prompteur pour s’adresser aux jeunes, a-t-il découvert les secrets d’une jeunesse sans cesse renouvelée ?
Autant sur les affiches de campagnes, on aurait déjà pu mettre au crédit de Photoshop sa mine réjouie, superbe, étincelante de santé, autant lors de son récent message télédiffusé (chaîne publique CRTV), il a paru sinon être passé sous le bistouri d’un chirurgien esthétique au moins avoir recouru à des injections de toxine botulique (Botox) pour cristalliser le temps qui fuit sans retour.

Les tropismes de ceux qui en le découvrant dans les écrans plats de certains cafés ont pu dire : « petit à petit ses yeux se referment… » sont une tentative de traduire par le persiflage l’impression vague que son regard s’est lifté pour ainsi dire. C’est que Paul Biya a des yeux en amande dont l’aspect étiré des commissures s’est accentué à mesure que la zone fronto-orbitaire de son visage se déplissait.

Champion des idées et grand théoricien de l’abstrait

AM, le magazine panafricain, dans les colonnes duquel rien n’est jamais escamoté ni laissé au hasard consacre justement sa Une de février et 33 autres pages au président que, depuis 1982, l’on présente comme « notre président, père de la nation, Paul Biya, toujours chaud gars, chaud » (« Chaud gars » c’est-à-dire bel homme), dans les airs fredonnés par les élèves du primaire.

L’opinion commune tend à accréditer l’idée que s’il s’était agi d’un concours de beauté, c’est sans contestation possible qu’il aurait sans discontinuer eu raison de ses adversaires politiques. Garga Haman Adji reconnaissait récemment sur un plateau de STV (Spectrum Télévision) que Biya, âgé de dix ans de plus que lui, semblait pourtant plus jeune… Mais Biya n’est pas seulement l’incontestable « reine de beauté » de la politique camerounaise, il est aussi le champion des idées et des trouvailles à succès.

Acta, non verba

Le président Biya, qui a toujours eu quelque chose de messianique dans son expression, a déclaré que la révolution verte sera lancée « à bref délai » : les jeunes ruraux doivent attendre en ce moment le décret qui va la mettre en œuvre; tout, dans le pays dont il est question, tout, y compris les révolutions, est soumis aux arrêtés de l’administration centrale d’Etoudi (siège du pouvoir exécutif à Yaoundé), à travers son Secrétariat Général (SGPR).

Quant aux jeunes des villes, ils attendent toujours le cadre légal au sein duquel leurs associations pourront se déployer. Le président national du RDPC (Rassemblement démocratique du peuple camerounais) a encouragé la création des « junior entreprises » (J.E.), rien de concret n’a été fait en termes de financements ou de promotion législative. La loi de 1991 sur les associations est trop inadaptée aux exigences spécifiques de ce type d’organisations étudiantes.
Par ailleurs, les principaux syndicats patronaux (GICAM, ECAM), au même titre que les entreprises publiques qui auraient pu envoyer les signaux les plus forts aux jeunes étudiants, n’ont jamais donné d’écho à ces associations à vocation économique, qui, bon gré mal gré, existent dans bien d’universités camerounaises, bien avant que Biya ne leur accorde une espèce de reconnaissance officieuse -toute verbale en tout cas- il y a 3 ans.

Il ne suffit pas d’une idée, « encore faut-il » que les entreprises jouent le jeu, que se créé une confédération pour attribuer sur la base de critères clairement définis le label de Junior entreprise aux associations qui s’en réclameraient. Il y a toute une ingénierie et une organisation à mettre en œuvre, mais l’administration de monsieur Biya, ses directeurs généraux, donnent le sentiment de ne pas comprendre les enjeux de ce « néologisme » qui nous vient d’Amérique du Nord.

Une chose est claire, ils n’essaient pas d’intégrer ce concept, d’ailleurs imposé par un président qu’ils n’ont jamais cherché à comprendre, manifestement boudé par des étudiants qui se complaisent dans l’informel, en tant qu’ils auraient pu eux-mêmes former une confédération camerounaise des Junior entreprise (CCJE), au lieu d’attendre que leur soit livré clé en main le projet toujours en projet de leur président pour leur épanouissement professionnel. Une telle confédération serait un interlocuteur crédible et décisif auprès du législateur et du monde de l’entreprise, une incontournable passerelle !

Nécessités de clarification

Paul Biya dit ce que bon lui semble ; ses collaborateurs attendent religieusement ses « hautes instructions » pour bouger le petit doigt derrière lequel ils savent si bien se cacher ; les jeunes, méthodiquement acculés à l’impuissance par la piètre image qu’ils ont d’eux, lorgnent « le décret » qui les fera recruter, leur octroiera des bourses d’études et, en l’occurrence, les dotera d’une confédération, de financements, voire d’un ministre délégué à la jeunesse, chargé des junior entreprise.

Mais dans le fond, n’est-ce pas Biya lui-même qui entretient à son insu une confusion dans l’esprit de ses jeunes concitoyens quand il dit que les programmes aux bilans mitigés et aux dénominations rébarbatives (PAJER-U, PIFMAS, REMUDEV) ont créé des centaines de J.E. ? Les Junior Entreprise ne ressortissent pas par définition du champ d’action de programmes cités : ceux-ci sont originairement dédiés à l’éclosion de jeunes professionnels en milieu universitaire, ceux-là concernent les jeunes actifs, loin très loin des expertises développées dans le cadre des J.E. Une Junior entreprise n’a pas vocation à faire des champs de patates encore moins à recycler des bouses de vache pour en faire de l’engrais. Il y a là un double amalgame avec des GIC et autres associations de débrouillardise : amalgame par assimilation et amalgame par confusion.

Pas les trente glorieuses, les trente piteuses

La richesse d’invention du discours biyatiste reste inégalée au Cameroun. A titre de comparaison, au Sénégal, les concepts comme « Sopi »(changement), « M23 », « la foire aux problèmes », « Y en a marre », tous autant d’indicateurs de la vitalité d’une démocratie, de la créativité et du sens de l’innovation de leurs leaders sont totalement absents du champ politique camerounais où, depuis le « biya must go » du leader de l’opposition, John Fru Ndi, on n’a plus vu un concept ou une formule originaux prospérer. L’offre orange d’Hilaire Kamga n’a rencontré une adhésion populaire que dans sa propre comptabilité.

En réalité, les formules qui font mouche de toute éternité sont des citations du président camerounais, qui a montré une habileté à faire de ses discours une chronique des difficultés des Camerounais. Le ton narratif de son énonciation, les pétitions de principe, les précautions oratoires (il a carrément mis des gants pour dire aux jeunes Camerounais qu’il n’était pas nécessaire de se reproduire comme des lapins eu égard à leur misère), sa limpidité, ses références constantes aux humanités (mens sana in corpore sano) rendent notre bon vieux président si parfaitement rassembleur (au moins dans son propre camp), si profondément écouté, si durablement efficace (politico sensu) qu’il en devient inspirant même pour ses opposants les plus irréductibles.

Ainsi, l’homme-lion (slogan de campagne, 1992) a-t-il donné naissance au « chasseur de lion »(Jean-Jacques Ekindi) ; « Le Cameroun c’est le Cameroun », après être devenu proverbial, désigne aujourd’hui un forum dynamique présenté par le quotidien camerounais Le Jour et la chaîne hertzienne STV, comme un groupe puissant, alors qu’il peine à regrouper 3500 membres sur Facebook ; « Un seul mot : continuez » est souvent repris par des adolescents qui ne savent pas forcément la genèse camerounaise de la citation ; les « apprentis sorciers » ont fini par le désigner « grand sorcier » dans la bouche d’Anicet Ekanè ; « le choix du peuple » son dernier slogan de campagne a été contrefait par le bon Albert Dzongang, « le vrai choix du peuple »…

Aujourd’hui, l’homme-dieu de Mvomeka’a s’affiche de plus en plus comme le défenseur de « la république exemplaire ». La valeur d’usage de cet « idéologème » est promise elle aussi à un bel avenir et vise à poser un idéal commun plutôt que de ressasser les travers sociaux, comme la corruption… Une pédagogie nouvelle donc ! Plutôt que des constatations (elles ont toutes déjà été faites) et des dénonciations (stériles ?), des perspectives et de l’action.

Des adieux interminables

L’exigence immédiate, historique, de changer, de rompre d’avec les réflexes autodestructeurs d’hier, d’adopter des comportements plus moraux, est dite par le biais de références aux valeurs intemporelles. Tout se passe comme si en lieu et place de communicants, d’experts des sciences du langage et de professionnels de sciences sociales, Paul Biya se serait simplement entouré de concepteurs-rédacteurs affûtés, c’est-à-dire pétris de connaissances dans la psychologie des peuples et le ciselage de formules qui marchent !

Et si, après trente années peu glorieuses à la tête du Cameroun, le président Biya décidait, au lieu de formules qui marchent, des réalisations qui durent ? Et s’il fondait ses « années d’au revoir » sur une base autre que l’obsession sécuritaire ? Comme le dit l’adage latin qu’il connait probablement : seule la dernière heure tue, il n’a aucun intérêt à passer de la présence à l’absence, sans transiter par le souvenir et l’oubli… Pour exister le plus possible, communiquer n’est qu’un artifice, comme une injection de toxine botulique, qui ne change rien au fond, il importe d’agir. C’est pourquoi, au-delà des discours, des petites phrases, il faut oser faire confiance aux jeunes et donner un effet lifting aux postes de responsabilités !

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