Patrice Zéba Traoré, l’alchimiste du Stade toulousain


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Patrice Zéba Traoré

Patrice Zéba Traoré, 33 ans, est préparateur physique du Stade toulousain, dans le sud-ouest de la France, depuis 5 ans. Entre influences africaines et occidentales, le jeune homme d’origine martiniquo-burkinabé a su trouver sa place dans le milieu du rugby.

Sur le site Internet du Stade Toulousain, on peut lire que « les joueurs sont en vacances jusqu’au 18 juillet ». Ça tombe bien, leur préparateur physique, Patrice Zéba Traoré, aussi. De quoi prendre un repos bien mérité pour cet ex-athlète de 33 ans qui officie dans le club de rugby toulousain depuis 5 ans. Cinq ans que les gaillards de Toulouse confient leurs muscles, des jambes au cerveau, à ce jeune Martiniquo-burkinabé…

« Le préparateur physique met en place un contexte d’entraînement et l’adapte suivant les enjeux et les buts de la saison. Il travaille autant sur le physique que sur le mental afin que chaque sportif, chaque individu, aille au bout de ses compétences et donne le meilleur de lui-même », explique Patrice. Qui précise : « Pour moi, être préparateur physique, c’est être un alchimiste ! On doit combiner son expérience personnelle, ses connaissances scientifiques et sa sensibilité pour obtenir le meilleur de chaque joueur. »

Monsieur Sports

Patrice Zéba Traoré est venu au rugby après avoir fait feu de tout sport. Tennis, basket, kung-fu… De 5 à 18 ans, il avoue avoir tout essayé, évoluant dans un contexte familial favorable avec des parents professeurs d’éducation physique – son père sera d’ailleurs directeur de l’Institut des Sports au Burkina Faso puis responsable de la planification au ministère des Sports, avant de prendre sa retraite… Ouvert sur toutes les disciplines, Patrice choisit pourtant de s’investir dans l’athlétisme. Il est Champion de France junior sur 100 m et vice-champion de France-Espoir sur 100 m en 1991 puis participe au 100 m des jeux Olympiques de Barcelone en 1992. C’est un accident de parachute, pendant son service militaire, il y a 8 ans, qui met fin à sa carrière d’athlète.

Titulaire d’une licence de management du sport, Patrice n’abandonne pas la compétition et le sport de haut niveau pour autant. Après avoir tâté du terrain, c’est lui qui fait courir les autres… Il est entraîneur de basket au niveau national, en France et au Burkina. En 1995, il est entraîneur spécifique vitesse et course de Romain Mesnil, perchiste n°1 français. Puis entraîneur technique régional du sprint et du relais 4×100 m en 1999. « Mon parcours est celui de tout préparateur physique. Comme nous ne possédons pas de véritable statut, à la différence des entraîneurs, ce sont les compétences de terrain qui font la différence et apportent notre crédibilité. Un moment, j’ai voulu arrêter l’athlétisme et le rugby était une discipline qui m’intéressait en terme de reconversion… »

Triple culture

Dans la pratique du rugby, Patrice apprécie « l’équilibre entre les qualités athlétiques et l’esprit martial. Il faut courir, combattre et jouer en groupe. J’ai passé 8 ans à m’entraîner seul et à pousser mon corps au bout de ses ressources… ça fait du bien d’être intégré dans une équipe ! Pour être à l’aise dans le milieu du rugby, il faut faire sienne la notion de fraternité. C’est en tissant des liens, en partageant les moments difficiles comme les moments agréables, que la confiance avec les joueurs s’installe. Et qu’elle devient totale et systématique. » Une confiance nécessaire lorsqu’on doit aider les joueurs à améliorer leurs performances tout en restant en excellente condition physique quel que soit le nombre de matches à disputer. Pour accomplir cette tâche au mieux, Patrice Zéba Traoré s’inspire de sa culture africaine autant que sportive.

« Je suis né à Paris mais j’ai une triple culture ! Ma mère est martiniquaise, mon père burkinabé. Jusqu’à 8 ans, j’ai vécu entre la France et les Antilles, en passant toutes mes vacances au Burkina. Puis à 8 ans, toute la famille a déménagé là-bas. J’ai passé 10 ans en Afrique… et j’y ai vécu des expériences sportives et physiques très fortes, ce qui explique mon regard particulier sur le monde du sport, mon rapport au corps très simple. Au Burkina, on se levait à 6 h du matin, à 14 h l’école était terminée et je passais mon temps sur un terrain de sport jusqu’au soir ! »

« Je ne suis pas un gourou ! »

Une sensibilité africaine qui se retrouve aussi dans les « gris-gris » qu’il confie à ses joueurs avant les matches. « Depuis que je suis petit, mes parents, bien que pratiquants, musulman pour l’un, et chrétien pour l’autre, m’en offrent pour les passages importants de ma vie. C’est une façon de transmettre les valeurs spirituelles d’une culture. De mon côté, j’ai longtemps été pratiquant chrétien, ce qui ne m’empêchait de verser une goutte d’eau aux Anciens lors des repas ! Pour moi, il n’existe pas de conflit entre la pratique religieuse et ce genre de croyances. En tant que coach, je les intègre naturellement dans mon travail sans qu’il n’y ait aucune ambiguïté : je ne suis pas un gourou ! Je mets simplement en jeu tous les outils nécessaires à la réalisation de mon but, qu’ils soient physiques, mentaux ou spirituels. »

Certains commentateurs sportifs français ironisent sur cette pratique mais Patrice reste serein. « Le gri-gri n’est pas là pour donner de « la force » aux joueurs, nous ne sommes pas dans Star Wars ! C’est juste un support supplémentaire à leur concentration. Cela fait partie de la sphère mentale. Les joueurs eux-mêmes ont leurs gris-gris personnels : certains portent toujours les mêmes chaussettes ou des croix catalanes, d’autres aspergent les buts d’eau de Lourdes… Ce sont des mécanismes. Moi, je tiens à leur offrir un gri-gri venu d’Afrique car c’est une part de moi. C’est un partage, cela permet de renforcer le lien de fraternité qui nous unit. »

Toulousain de coeur

Cela fait plus d’un an que Patrice n’est pas retourné au Burkina, pour raisons professionnelles mais aussi familiales (il est papa depuis juillet 2004) mais, « idéalement », il aimerait partager sa vie entre Ouaga et Toulouse. Toulousain de cœur, il habite la ville rose depuis 12 ans. Pour lui, c’est une ville « qui se trouve entre l’Afrique et l’Occident ! Dans mon rythme de vie, j’y ai retrouvé la même liberté et la même proximité qu’en Afrique ».

Le retour en Afrique le titille : « Je fais partie de ces gens qui ont eu la possibilité d’accéder à des ressources et je pense que, pour le développement de l’Afrique, il faut que ces gens retournent dans leurs pays d’origine. J’ai envie de pleurer quand je regarde tous les reportages sur les guerres et les famines… Je pourrais tout abandonner pour aller travailler avec Médecins Sans Frontières ! J’ai eu la vie d’un nanti et quand je vois le nombre de gens qui souffrent, ce n’est pas dans ma moralité de ne pas m’en préoccuper. »

Du rugby au Burkina

C’est pour cela que Patrice a créé l’Association Panga il y a 7 ans, peu après son accident. Une association humanitaire qui a pour but de promouvoir, au Burkina, le développement social par la pratique du sport. « On veut faire comprendre aux jeunes qu’ils peuvent s’affranchir de leurs conditions sociales en devenant sportifs professionnels. Et nous finançons des actions basées sur l’écologie, l’eau, la déforestation… » Autre projet à court terme : faire découvrir des disciplines sportives encore peu connues au Burkina… comme le rugby ! « Le rugby à 7 peut rapidement s’implanter », insiste Patrice.

« Il y a un vrai potentiel athlétique dans le pays pour avoir de bons rugbymen à terme. L’avantage de ce sport c’est qu’il est complet : il allie qualités physiques, humaines et culturelles. Le rugby à 7 va bientôt entrer aux Jeux Olympiques, c’est une discipline qui va devenir internationale et qui, après avoir été longtemps régionalisée, va se mondialiser. On aura donc aussi besoin de joueurs et de cadres formés dans tous les pays… »

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