Outre-Mer : Horizon 2012


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Le débat autour du sentiment d’exclusion des Français d’Outre-Mer n’a de cesse de mobiliser et de susciter des vocations associatives. Cette volonté de participer aux débats de la République s’étend jusque dans les îles françaises. Nicolas Rey, Docteur en sociologie (Sorbonne) et anthropologue éclaire notre lanterne sur le sujet.

Vendredi 15 septembre 2006, l’UNOM (Union Nationale de l’Outre Mer Français) tient un colloque événement, à Paris, sur l’avenir de l’Outre-Mer. Les réflexions s’articuleont autour de thématiques intéressant aussi bien les ultramarins installés dans l’Hexagone, que ceux résidant dans les collectivités des Dom-Tom.

« Il faut rééquilibrer le model social ». L’Outre-Mer, c’est la France et l’Europe qui rayonnent sur 3 océans (Atlantique : avec la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, Saint-Pierre-et-Miquelon ; Indien : avec la Réunion et Mayotte ; Pacifique : grâce à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie Française et à Wallis-et-Futuna). Une France exclue ou du moins qui se sent souvent comme telle. Nicolas Rey, Docteur en sociologie du développement (Sorbonne), urbaniste et spécialiste des Caraïbes, nous entretien sur la place ambiguë qu’occupent les territoires et départements d’Outre-Mer dans la République.

Afrik.com : Peut-on dire que l’Outre-Mer est la 5ème roue du carrosse de la métropole ?

Nicolas Rey :
Oui et non. Il faut revenir à l’histoire pour comprendre certains mécanismes. En 1848, avec l’abolition de l’esclavage les Antillais sont devenus citoyens français à part entière. Ils passaient ainsi d’esclaves à citoyens. On a donc demandé à d’anciens esclaves de faire table rase du passé, et d’entrer dans une communauté nationale. A l’issue de ce processus historique d’intégration, que certains comparent à une forme d’assimilation, il y certaines résurgences qui ont un impact sur la relation qu’entretiennent métropole et territoires d’Outre-Mer. J’ai eu l’occasion de faire une étude pour le compte de la Mairie de Paris en ce qui concerne la question du logement des Parisiens originaires d’Outre-Mer. J’ai pu me rendre compte qu’un Français d’origines européennes avait plus de facilités qu’un Français noir de peau. La distance qui sépare la métropole de ses ex-colonies caribéennes peut également donner le sentiment que l’Etat se désengage.

Afrik.com : Symbole d’une France oubliée, on ne présente pas en France, la météo des Dom-Tom. Qu’en dites-vous ?

Nicolas Rey :
La remarque est judicieuse, sachant qu’aux Antilles la météo hexagonale est diffusée. Si l’on prend l’Outre-Mer comme une extension de la France, effectivement il serait normal que les prévisions météorologiques soient données. Mais grâce à d’autres supports comme l’Internet ou les réseaux câblés, il est possible d’avoir ce type d’informations. Aux Antilles on plaisanterait en comparant les écarts de températures (rires).

Afrik.com : Comment expliquez-vous que les personnes originaires des Antilles ou s’y trouvant se sentent aussi exclues du dialogue national, alors que l’Outre-Mer est une extension de la République Française ?

Nicolas Rey :
Comme je l’ai précisé auparavant, il y a déjà la notion de distance, qui prend effet. De même qu’il y a un rapport colonial difficile non réglé en totalité. L’Etat applique une politique volontariste sur ces territoires. Depuis 1946 et la loi de départementalisation, les anciennes colonies des Antilles ont un statut égal à celui de la métropole. Mais en terme d’application de cette mesure, il reste beaucoup à faire. Le rattrapage social a plus ou moins été obtenu, étant donné que les Dom-Tom bénéficient des avantages sociaux tels que la sécurité sociale ou les allocations chômage. L’Etat a avantage à profiter de la position géographique de l’Outre-Mer, alors qu’il se prive souvent d’un savoir-faire et de jeunes ayant suivi des formations diplômantes.

Afrik.com : Qu’est-ce qui explique ce sentiment d’exclusion de la vie de la cité ?

Nicolas Rey :
Il faudrait interroger les politiques à ce sujet. Je puis dire qu’en France, les vagues migratoires des années 1960-1970 ont permis à nombre d’Antillais de faire des études. Aujourd’hui, il y a une élite, des jeunes qui suivent des études, et qui sont aptes à servir un pays qu’ils considèrent comme le leur. L’Etat doit miser dessus, en soutenant, par exemple, les personnes qui désirent retourner dans les îles françaises. Cela pourrait instaurer une forme de développement durable. J’estime également qu’il faut se battre, s’engager politiquement, pourquoi pas, afin de constituer une force de proposition. Il faut être en mesure d’échanger, de s’organiser efficacement. Il y a encore beaucoup de crispation sur l’échiquier politique français. L’application des lois d’égalité pour tous doit empêcher la discrimination, si l’on veut rééquilibrer notre model social. Nul besoin de quotas. Il ne s’agit pas de se replier communautairement, mais de disposer d’une visibilité pour soutenir la diversité culturelle de la France. Le multiculturalisme s‘impose de lui-même. D’ailleurs la France a reçu plusieurs rappels à l’ordre de l’Union Européenne à ce sujet.

Afrik.com : Pensez-vous qu’il est possible de valoriser la culture de l’Outre-Mer en sortant des clichés ?

Nicolas Rey :
Pourquoi pas. Il y a peu, j’ai rencontré Monsieur Sylla, un élu de Clichy-la-Garenne, avec qui nous avons devisé au sujet de la création il y a 10 ans d’une association regroupant Africains et Antillais. L’objectif d’une initiative de ce type est de sortir du cliché associatif accra-boudin-zouk. Depuis 1989, et le bicentenaire de la révolution française il y a un sursaut. De même qu’en 1992, avec la commémoration de la découverte des Amériques et l’indignation des groupes noirs et indiens, qui ont organisé un contre-sommet, il y a une prise de conscience des enjeux associatifs. Le 23 mai 1998 (commémoration des 150 ans de l’abolition de l’esclavage) est également une date symbolique, car manifester silencieusement en faveur de plus d’égalité est une forme de valorisation de son histoire, a fortiori de sa culture. Cela avait été un rassemblement très fort.

Afrik.com : L’assistanat économique des Dom-Tom est très souvent évoqué. Qu’en est-il concrètement ?

Nicolas Rey :
L’économie de l’Outre-Mer est une économie sous perfusion. La balance commerciale des Antilles françaises est largement déficitaire. Il y a 95% d’importations contre seulement 5% d’exportations. La majorité des agriculteurs vivent de subventions. Il n’y a pas que le secteur agricole, il en existe d’autres. Il faut privilégier la diversification des produits et des services. Il est possible, par exemple, de s’intéresser aux énergies renouvelables. Grâce, notamment, au soleil et à certains savoir-faire technologiques. Développer ce type de consommation, et œuvrer pour l’environnement ne pourrait être que bénéfique pour le tourisme.

Afrik.com : Comment jugez-vous le fait que la chaîne de télévision France Ô, anciennement RFO, soient si limitée financièrement alors qu’elle appartient dorénavant au groupe France Télévision ?

Nicolas Rey :
Les dirigeants du groupe pourraient vous en parler. Cependant, il faut admettre que des efforts ont été fournis pour que RFO devienne France Ô, même si l’appellation peut être discutée. La chaîne France Ô est également accessible grâce à la TNT (Télévision Numérique Terrestre) ce qui lui donne accès à plus de foyers français. Il est perceptible que les moyens dont dispose cette chaîne orientée vers l’Outre-Mer sont nettement en deçà de ceux dont disposent les chaînes hexagonales. Avec ses faibles moyens la chaîne essaie des choses. C’est honorable. Il est malheureusement regrettable que peu de ponts soient mis en place entre cette chaîne et le reste du Paysage Audiovisuel Français (PAF). Il existe des émissions qui portent sur le terroir. Pourquoi ne pas diffuser plus de sujets sur le terroir des îles, tout aspect folklorique gardé, dans la mesure où c’est toujours en France, malgré la distance.

*OUVRAGES

Sur l’histoire de la « résistance » à l’esclavage, parus en 2005

 Quand la révolution, aux Amériques, était nègre. Caraïbes noirs, negros franceses et autres “oubliés” de l’Histoire, Paris, Karthala (préf. E. M’Bokolo), 230 p.

 « Caraïbes noirs et negros franceses (Antilles/ Amérique centrale) : le périple de Noirs “révolutionnaires” », Revue électronique Nuevo Mundo-Mundos Nuevos, n°5, CNRS, 20 p.

 « Les Garífunas : entre “mémoire de la résistance” aux Antilles et transmission des terres en Amérique centrale », Cahiers d’Etudes Africaines, vol. 45, n°177, 30 p.

Du même auteur, sur le logement des Français de l’Outre-mer

 Lakou & Ghetto, les quartiers périphériques aux Antilles françaises, Paris L’Harmattan, 2001, 224 p.

 Etude Le logement des Parisiens originaires d’Outre-mer, Direction Générale à l’Outre-Mer, Ville de Paris, Agence Gilles Rousseau, 2006, 450 p.

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