Oumarou Barry de People TV: « Je veux montrer l’Afrique des vrais gens »


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A 26 ans, Oumarou Barry est sans doute l’un des hommes les plus puissants des média afro. A la tête des programmes de la maison de production People TV, ses deux émissions couvrent chacune près de 30 millions de téléspectateurs hebdomadaires. Business Africa et Initiative Africa, traduits en anglais et en portugais, sont en effet diffusées chaque semaine sur 50 chaînes à travers le monde, dont 45 en Afrique. Il partage avec nous ses valeurs, sa vision du continent et du paysage télévisuel africain.

30 millions de téléspectateurs à travers le monde. C’est l’audience hebdomadaire estimée des deux émissions de People TV, Initiative Africa et Business Africa. Aux manettes des deux programmes, diffusés par 45 chaînes africaines, en Belgique, au Portugal, en Grande Bretagne, aux Etats-Unis (ABN Câble) et en France (France Ô) : Oumarou Barry, un jeune Guinéen de 26 ans. A la fois rédacteur en chef, chef d’édition et coordinateur des équipes techniques, il dirige une quarantaine de personnes, dont une dizaine de reporters en France et une vingtaine de correspondants en Afrique. Egalement présentateur de la version anglaise, Oumarou Barry en est, personnellement, à sa troisième saison (Business Africa, lancée en 2000, vient juste de fêter la 200e et Initiative Africa, initiée en 2003, sa 114e) et semble s’épanouir entièrement dans son travail. Un travail à dimension militante pour contribuer au rayonnement de l’Afrique à l’international.

Afrik.com : Comment faîtes-vous pour diffuser vos deux émissions sur 50 chaînes à travers le monde ?

Oumarou Barry : Les deux programmes (de 30 minutes) sont donnés gratuitement aux chaînes de notre réseau. Gratuitement, car les émissions sont sponsorisées par Western Union (pour Initiative Africa, ndlr) et Total (pour Business Africa, ndlr).

Afrik.com : Le fait que les deux programmes soient sponsorisés par Western Union et Total n’entrave-t-il pas votre liberté éditoriale ?

Oumarou Barry : Personne ne nous dit ce que l’on doit écrire, sinon je ne serais pas là. Nous avons une totale indépendance éditoriale. Moi, ce qui m’intéresse c’est parler des gens dans leur quotidien, des choses qui marchent. L’Afrique ne se résume pas au Darfour. Je travaille pour le public pas pour Western Union ou Total. Et c’est ce qui intéresse nos deux sponsors. Ils veulent s’associer à des programmes valorisant le continent africain et qui contribuent à son rayonnement. C’est une vitrine pour soigner leur image. Ils montrent qu’ils soutiennent des initiatives positives en Afrique. Et notre indépendance est un gage de crédibilité pour tous.

Afrik.com : Il y a un déficit de programmes télé en Afrique. Donner des programmes aux chaînes africaines n’est-il pas symptomatique des difficultés des chaînes à élaborer leur grille ?

Oumarou Barry : Le fait que nous donnions les programmes gratuitement témoigne des difficultés économiques des chaînes africaines. Elles achètent plus des télé novelas (séries brésiliennes très prisées en Afrique, ndlr) que de émissions de reportage. Tout simplement parce que les télé novelas font de grosses audiences. Donc attirent les annonceurs.

Afrik.com : Les émissions sont essentiellement tournées à Paris. Vous travaillez uniquement depuis la France ?

Oumarou Barry : J’imagine ce que les gens ont envie de regarder. C’est pour cela qu’il est important que j’aille souvent en Afrique. Pour discuter avec les gens sur place et prendre le pouls du continent. Ça nourrit également ma réflexion éditoriale. Ce que je veux montrer c’est l’Afrique des vrais gens et le dynamisme de ceux et celles qui se battent pour s’en sortir. Les plateaux se font essentiellement à Paris, mais nous avons des tournages exceptionnels en Afrique. L’idée est que nous arrivions à tourner dans chaque capitale, comme nous l’avons fait à Ouagadougou (Burkina), Yaoundé (Cameroun) ou Brazzaville (Congo).

Afrik.com : Vous travaillez à la fois avec des correspondants locaux et des journalistes que vous envoyez sur place en Afrique. Pourquoi mixer ?

Oumarou Barry : Le travail de nos correspondants donne un côté plus authentique aux sujets et aux reportages. Quand j’envoie des reporters occidentaux sur place ils n’ont pas le même regard, ni la même perception de choses. C’est ce double regard, complémentaire, qui fait notamment la richesse des émissions.

Afrik.com : Quel est le regard général que vous portez sur les paysages télévisuels africains ?

Oumarou Barry : Il manque de programmes de qualité en Afrique. Il y a, d’une part, la vétusté des équipements, qui datent des années 80 et d’autre part un certain manque d’exigence en matière de qualité des productions. Comme les productions ne sont pas aux standards classiques de qualité elles ne sont pas exportables. Quand je reçois un reportage d’un correspondant et que le son n’est pas bon, par exemple, je refuse de le diffuser, même si le sujet est excellent. Tout le monde n’a pas ce niveau d’exigence. Mes correspondants ont un cahier des charges précis et ils savent exactement ce que j’attends d’eux. Ils se montent autrement plus rigoureux, sinon ils savent qu’ils ne seront pas payés pour leur travail (250 000 F CFA (380 euros) pour un reportage de 6 minutes prêt à diffuser, ndlr). Ils sont souvent ravis du résultat, qui augmente leur crédibilité professionnelle. Ils nourrissent une certaine fierté de collaborer avec nous. Le fait de travailler pour People TV leur facilite la tâche dans de nombreuses démarches, que se soit la prise de rendez-vous ou pour des accréditations. Il faut dire qu’ils bénéficient d’un badge People TV avec leur photo.

Afrik.com : Les différents publics africains semblent ne pas être très exigeants en matière de qualité de programme. Apprécient-il vraiment la différence ?

Oumarou Barry : Le public africain n’a pas vraiment le choix. Il n’a pas les moyens d’être exigeant en matière de programmes. En tout cas il apprécie la qualité. Dans les commentaires que nous recevons, beaucoup nous félicitent pour nos belles images et le bon son de nos émissions.

Afrik.com : Le fait de travailler sur l’Afrique a-t-il changé votre vision du continent ?

Oumarou Barry : Ça me fait encore plus l’aimer. Je me sens plus proche des gens. Je me rends compte que je viens vraiment de là-bas. Je vis en France depuis longtemps, et j’aurais très facilement pu obtenir la nationalité française. J’ai le dossier de naturalisation depuis longtemps à la maison mais je ne l’ai jamais déposé. Je tiens à garder mon passeport et ma nationalité guinéennes. Car c’est une partie de moi. J’ai plus d’attaches en France mais au fond je reste guinéen et par extension africain. Devenir français serait juste plus pratique pour moi pour voyager et … ça me permettrait également de voter. J’aime la France, mais je ne suis pas français. Je me considère comme un Guinéen en France. Et mon plus beau rêve est d’apporter quelque chose à mon pays et à mon continent. Travailler sur l’Afrique me conforte dans mon projet de retourner en Guinée ouvrir une école. Je souhaite y mettre à profit tout ce que j’ai appris en France. Je sais que ça se fait par étape, mais c’est un de mes objectifs.

Afrik.com : Quelle est votre plus grande satisfaction dans le cadre de votre travail ?

Oumarou Barry : Les courriers des téléspectateurs me font chaud au cœur. Lorsqu’on nous dit, des quatre coins de l’Afrique : « Vos programmes nous donnent du courage », cela prouve que nos émissions sont utiles. Ce sont ces petites victoires qui sont mon moteur.

Afrik.com : Parmi tous les reportages que vous avez diffusés, quels sont ceux qui vous ont le plus touché ?

Oumarou Barry : Il y en a plusieurs. Je pense notamment à un reportage sur les transports en commun en République démocratique du Congo. C’est une situation vraiment folle. Il n’y a que 200 bus pour la ville de Kinshasa (10 millions d’habitants !). Ce qui fait qu’il y a des personnes qui font 3 heures de marche à pied aller, 3 heures retour pour aller au travail ou à l’école… Hommes comme femmes. Il y en a qui prennent des médicaments pour tenir. C’est une grande leçon de courage et d’abnégation. D’une manière générale ce sont les portraits qui me touchent le plus. Parce que cela démontre la vitalité des Africains. Je pense par exemple à cette rappeuse nigérienne Princesse Tifa qui, à côté de ses activités artistiques, tient son salon de coiffure… J’ai acquis et renforcer la conviction qu’il ne faut pas grand chose à de nombreux pays africains pour être au même niveau que les pays émergeants. Il faudrait pour cela que les dirigeants africains soient plus à l’écoute des besoins de la société civile.

Afrik.com : Les deux programmes de People TV ont 7 et 4 ans d’existence. La formule a-t-elle toujours été la même ?

Oumarou Barry : Avant, l’invité n’avait que 8 minutes pour s’exprimer (3 reportages de 6 minutes, 2 minutes de publicité, 2 minutes pour l’intro et la fin), maintenant il en a 14 dans la mesure où nous avons supprimé un reportage. Nous avons également introduit « Le coup de fil d’actualité » dans Business Africa, où nous faisons appel à un expert sur une question précise. Nous nous orientons vers des émissions plus interactives. Nous avons mis en place un système de télérépondeur pour que les gens puissent réagir aux reportages, pour les impliquer.

Afrik.com : Vous organisez chaque année un prix pour récompenser les meilleures initiatives. Comment est-ce organisé ?

Oumarou Barry : Ce sont les téléspectateurs qui votent pour les initiatives qu’ils ont préférées. Un jury de personnalités sélectionne les trois meilleures parmi le choix du public.
Nous avons une enveloppe de 25 00 dollars à partager entre des différents lauréats (12 000, 8 00 et 5 000 dollars, ndlr). Le premier prix a été attribué, l’année dernière, à la farine Misola (Mali), une farine nutritionnelle composée de mil, de soja et d’arachide.

Afrik.com : A côté de vos deux émissions, People TV a-t-elle, avec son réseau, une politique de diversification de ses activités ?

Oumarou Barry : On s’ouvre sur le Maghreb avec la branche agence de presse que nous sommes en train de développer. PT News (People TV News, ndlr) fournit des sujets d’actualité au même titre que l’Associated Press TV News ou l’AFP.

Visiter le site d’Initiative Africa et de Business Africa

Vous pouvez télécharger les différents reportages sur le site et voter en ligne pour vos reportages favoris)

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