Opinion publique, stratégie politique et nouvelle Egypte


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Le Caire – Il existe désormais une Egypte nouvelle — une Egypte où l’opinion publique compte véritablement. Après sept mois de tumulte, le ramadan, ce moment où les communautés s’engagent dans un mois de jeûne et de contemplation spirituelle, est pour ce pays l’occasion d’oublier la politique.

Mais les élections législatives s’approchant – plus que quelques mois, sans doute, les acteurs de la scène politique doivent envisager leurs stratégies. Des fissures apparaissent déjà dans les rangs des révolutionnaires, entre simples agitateurs et citoyens concernés par le processus électoral. Le ramadan donne à tous ces gens le temps de réfléchir, de débattre, puis de se regrouper.

L’opinion publique ne saurait être ignorée aujourd’hui comme elle l’était sous l’ancien régime, même si elle est (pour l’instant) loin de dicter sa loi. Alors que les factions politiques se font déjà entendre dans la nouvelle Egypte, les bonnes idées à elles seules ne font pas de bons dirigeants. Même s’ils n’épousent pas l’humeur du public, les hommes politiques qui réussiront devront tenir compte des préoccupations de leurs électeurs.

L’économie, la religion, l’armée et les médias sociaux sont quatre éléments clef que les hommes politiques devront comprendre et intégrer. Le Centre Gallup d’Abou Dhabi, qui suit de mois en mois la transition cruciale de l’Egypte, fait état d’informations révélatrices sur ces quatre facteurs.

En matière économique, les partis politiques égyptiens n’ont pas encore publié de projets pleinement structurés — ils devront donc le faire rapidement. Les sondages montrent que les Egyptiens sont plus optimistes depuis la révolution; ils veulent savoir comment ils peuvent améliorer une situation économique forcément houleuse dans les premiers temps. L’enquête révèle que la situation économique est le premier souci de la population. Aucune force politique ne pourra se permettre de faire l’impasse sur ce sujet.

Le rôle de la religion dans la sphère publique est un autre problème important – du moins selon les médias — tant au plan national qu’international. Les enquêtes emblent indiquer qu’il y aurait peut-être intérêt à revoir la façon de traiter cet aspect de la vie sociale.

Les Egyptiens (chrétiens et musulmans confondus) sont généralement ouverts aux autres religions; après les Libanais, c’est le groupe démographique du Proche-Orient et de l’Afrique du Nord le plus susceptible d’accueillir un voisin d’une autre confession. D’un autre côté, la plupart des Egyptiens (96 %) estiment que la religion est importante, ce qui porte à croire qu’ils souhaitent peut-être que la religion joue un rôle semblable à ce qu’on voit dans les pays d’Europe, avec des églises établies — afin d’offrir un socle moral dans la sphère publique. Pour autant, le respect de la religion ne se traduit pas automatiquement par une vision islamiste des choses: le principal mouvement islamiste, les Frères musulmans, ne recueille que 15 % d’opinions favorables et les Egyptiens qui voient en l’Iran un modèle politique n’atteignent pas les 1 %. On le voit, la question religieuse ne sera une pierre d’achoppement que si les partis politiques le veulent bien.

S’agissant de l’armée, les médias égyptiens débordent de critiques sur plusieurs sujets. Malgré tout, avec l’opprobre jeté sur les militaires dans les moyens d’information, à tort ou à raison, l’armée est très populaire. Selon l’institut Gallup, 94 % des Egyptiens expriment leur confiance en l’armée: c’est un facteur que toute force politique gagnante devra soigneusement prendre en compte.

Enfin, les médias sociaux, dont l’impact a tant été vanté, ne risquent guère d’influencer les élections de façon décisive. Selon les statistiques de la Banque mondiale, un cinquième seulement des Egyptiens utilisent l’internet, a fortiori des sites comme Twitter ou Facebook. Malgré toutes les affirmations contraires, le 25 janvier n’a pas été une « révolution des médias sociaux ». Selon l’enquête de Gallup, 8 % seulement des Egyptiens disent avoir utilisé Facebook ou Twitter comme source d’information sur les manifestations. Les cybersites n’ont pas été, et ne sont toujours pas, le premier moyen d’information de l’Egyptien moyen. Il n’existe pas de raccourcis permettant d’atteindre « l’homme de la rue », et c’est bien pourtant ce que devront faire tous les partis en présence.

Le ramadan peut donner un peu de répit aux force politiques pour leur permettre de s’organiser, mais tout ramadan a une fin et les élections approchent. Personne ne peut prendre le soutien populaire pour acquis. Les résultats des enquêtes Gallup montrent qu’une majorité d’Egyptiens ne se sont pas fait une religion en matière politique, aucun parti ne recueillant plus d’un septième d’opinions favorables dans les sondages. Tous ceux qui donneront un rôle primordial à l’opinion publique profiteront du contexte. Tous ceux qui la sous-estimeront y laisseront des plumes. Ce n’est pas le lendemain du ramadan qu’il faudra commencer à faire des plans. C’est le jour où Hosni Moubarak a été déboulonné qu’il fallait commencer à prévoir. Ceux qui ne l’ont pas fait doivent mettre les bouchées doubles.

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* H.A. Hellyer, expert du monde musulman, est analyste au Abu Dhabi Gallup Center (UAE)/Gallup Center for Muslim Studies Studies (USA), et chargé de recherches au Centre for Research in Ethnic Relations à l’Université de Warwick (UK). Article écrit pour le Service de Presse de Common Ground (CGNews).

Source: Service de Presse de Common Ground (CGNews), 26 août 2011, www.commongroundnews.org

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