Obama, l’Africain…


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Sa personne est l’incarnation du mythe du retour à la terre originelle, une aspiration pourtant truffée de désillusions pour les Africains-Américains. Barack Obama, le candidat démocrate à la Maison Blanche en a néanmoins fait un atout. Entre fantasme et réalité, « l’africanité » de Barack Obama se discute.

L’imaginaire afro-américain est peuplé de rêves de retrouvailles avec la terre nourricière, l’Afrique. Des aspirations panafricanistes maintes fois vidées de leurs substances par nombre d’expériences décevantes que l’américaniste Sylvie Laurent, rapporte dans un article très complet sur les liens de Barack Obama avec l’Afrique. En toute conscience, le candidat noir à la présidentielle américaine sait qu’il incarne cette quête d’absolu : retrouver ses racines. De cette double identité, qu’expérimente les Africains-Américains à des degrés différents et avec une moins grande intensité que lui, dont la filiation kenyane est immédiate, le sénateur a fait un atout. « Du moins au début de sa campagne, souligne la maître de conférence à Sciences-po Paris qui y enseigne l’histoire politique et littéraire des Africains-Américains.» Barack Obama, qui s’est débarrassé de son surnom américain « Barry », pour faire la part belle à son prénom d’origine africaine « Barack », en a joué. « Il a profité de l’image positive dont les immigrés africains jouissent aux Etats-Unis parce qu’ils s’intègrent mieux que les Africains-Américains, de cette sympathie qu’ils inspirent au sein de la population blanche » à qui la culpabilité d’un passé esclavagiste et ségrégationniste n’est pas renvoyée au visage à chaque regard.

L’immigré africain, figure positive de l’imaginaire blanc américain

Cette image de « l’Africain éduqué »… Comme l’était son père kenyan, Barack Hussein Obama, étudiant africain assez méritant pour obtenir une bourse américaine sous le président John Kennedy dont le sénateur de l’Illinois rappelle le charisme. « Il n’a jamais prétendu qu’il en était autrement, poursuit Sylvie Laurent, il n’a jamais essayé de prendre l’accent du ghetto, lui qui est issu d’un milieu bourgeois ». Un statut admis et respecté dans sa communauté. Barack Obama s’est d’ailleurs permis, note-t-elle, de faire la leçon aux pères noirs américains, à propos du fatalisme né de ce lourd passé d’esclaves. « Le discours qu’il a tenu, et qui a été semble-t-il bien accueilli, est celui que tient le comédien Bill Cosby depuis des années, mais avec beaucoup moins de succès ». Ses prises de position ont été critiquées, se souvient Sylvie Laurent, avec véhémence aussi bien par la population que des intellectuels afro-américains. Le discours selon lequel les pères Africains-Américains doivent prendre en main l’éducation de leur progéniture et que les Blancs ne sont pas responsables de tous les maux des Noirs, de leur situation, de leur pauvreté. Cette posture du grand-frère, quelque peu paternaliste est ironiquement celle que nombre d’Africains-Américains adoptent dans leur rapport à l’Afrique.

Contrairement à la plupart de ces concitoyens, il ne risque pas de tomber dans ce travers, assure l’historienne. « Quand il parle de l’Afrique dans sa biographie, il ne fait pas allusion à un continent sublimé, comme la plupart des Africains-Américains, mais il parle de sa grand-mère, de sa sœur… Ses liens avec l’Afrique sont réels, parfois douloureux parce qu’il y est allé chercher ce père absent mais admiré. Il ne pourra jamais avoir une attitude paternaliste parce qu’il est justement fils du continent, et non père ».

Il est bel et bien l’un des leurs

Un continent si proche mais tout aussi lointain dans la vie du sénateur Obama qui n’influence pas la perception qu’ont les Noirs d’Amérique de lui et qui ne saurait en aucun cas jouer en sa défaveur. « Un sénateur noir avait reproché, au début de sa campagne, à Barack Obama de ne pas être un descendant d’esclave. Des propos qui avaient été largement repris dans les médias faisant croire qu’ils reflétaient la pensée de la majorité des Africains-Américains. Ce qui n’est pas le cas. A chaque fois, 90% de l’électorat noir a voté pour lui durant la campagne à l’investiture. Ce serait d’ailleurs absurde de penser en ces termes car l’histoire des Africains-Américains est marquée par des hommes qui n’étaient pas descendants d’esclaves américains. Marcus Garvey est
descendant d’esclave mais il n’est pas né sur le sol des Etats-Unis, il est né en Jamaïque. »

Le photographe américain Ernest Collins est de Chicago comme Barack Obama. Il vit en France depuis 17 ans et partage le même avis. « Qu’il soit descendant d’esclave ou non ne rentre pas en ligne de compte pour les Africains-Américains, ils n’y pensent même pas. On n’a pas besoin d’être descendant d’esclave pour savoir ce que c’est que d’être Noir. C’est en France qu’on fait la distinction entre métis et Noir. Aux Etats-Unis, il suffit d’avoir un peu de sang noir pour être qualifié de Noir. Quand je suis arrivée en France, j’avais fait un compliment à une jeune femme en m’exclamant : « Quelle belle femme noire ! ». Elle m’a tout de suite rétorqué : « Je suis métisse ». Et moi d’insister sur le fait qu’elle était noire et vice-versa pour elle. Barack Obama a la même énergie que Martin Luther King. Il inspire la confiance quand on le voit. Jusqu’à cette année où je l’ai découvert, je ne m’étais jamais intéressé à la politique. Maintenant, je suis incollable. Je sais tout parce que je lis tout. La première fois que je l’ai vu, j’ai été fasciné, hypnotisé… Ca n’avait rien à voir avec sa couleur de peau. Néanmoins, Barack Obama est un Noir, certes pas n’importe lequel, il est intelligent et éduqué. Ce qui fait de lui une force qui peut être perçue comme une menace pour certains. C’est pourquoi, je suis inquiet des menaces qui pèsent sur lui. En Amérique, beaucoup sont prêts à tout pour devenir célèbre.»

Barack Obama est l’exception qui confirme la règle. Il n’a eu à jouer d’aucun artifice pour être populaire, même au-delà des frontières américaines. Les Japonais de la petite ville portuaire d’Obama l’adulent et la fierté kenyane s’est répandue comme une traînée de poudre à l’ensemble du continent où l’africanité du sénateur de l’Illinois fait certainement plus débat qu’ailleurs. Un appel à débattre a été ainsi lancé le 17 juin dernier sur le blog de Théophile Kouamouo. Dans un texte qui y est publié, Diegou Bailly, ancien journaliste ivoirien et actuel président du CNCA, organe national de régulation de l’audiovisuel, reste très pragmatique sur la question. « Obama n’est pas Africain. Cependant, il renouvelle l’espoir et l’espérance de la race noire. Vilipendée, humiliée, honnie et vomie à travers les âges. Il rappelle à notre mémoire collective flétrie et flagellée que, si tout n’est pas permis, « tout est possible ». A qui garde la foi. ».

Barack Obama ne rêve pas l’Afrique

De cet « Obama, l’Africain… » avec trois points de suspension qui disent « toute la complexité d’un homme », remarque Sylvie Laurent, qui ne saurait être réduit à ses racines africaines, que peut attendre l’Afrique politique ? « Nous avons donc raison de souhaiter, écrit, Diegou Bailly, et d’espérer la victoire de Barack Obama. Nous en serons heureux et fiers. Même si nous restons persuadés que l’Afrique n’en tirera aucun bénéfice matériel. Bien au contraire, elle profitera stratégiquement aux Etats-Unis, en consolidant leur hégémonie sur le monde. Elle donnera aux Américains l’illusion de vivre dans un Etat très démocratique, dans un pays ouvert et tolérant et dans une société multiculturelle et multiraciale. Ou, au-delà des préjugés, ne comptent que la valeur intrinsèque et la compétence de chaque individu. Effectivement, ce pays qui, après le 11-Septembre, aurait eu l’audace de porter à sa tête un Obama dont le nom rappelle outrageusement Oussama s’accordera le droit de s’attribuer toutes les vertus et qualités. »

Ne pas espérer une attention excessive, prévient aussi l’historienne Sylvie Laurent, même si la politique africaine de Barack Obama devrait prendre une autre dimension. L’avertissement vaut aussi bien pour les Africains, que leurs cousins d’Amérique. « »Je suis Noir mais je suis le président de tous les Américains » dont la majorité est blanche », déclare Sylvie Laurent pour résumer une philosophie chère au candidat démocrate. Mais finalement, qu’importe. En 2050, la planète devrait être « mix-raced », l’équivalent américain de la conception française de « métissage ». En élisant peut-être Barack Obama, un homme qui assume toutes les contradictions raciales dont son parcours est l’image (une grand-mère qui n’a pas pu s’empêcher d’être raciste, un directeur de conscience-pasteur afrocentriste), l’Amérique prouvera encore qu’elle a toujours, semble-t-il, une longueur d’avance sur le reste du monde.

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