Noir, oui ! Mais acteur tout court !


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Eriq Ebouaney incarne le personnage principal dans Le silence de la Forêt. Un film de Bassek ba Kobhio et de Didier-Florent Ouenangaré qui concourt pour le Prix de la Francophonie durant la dix-neuvième édition du Festival du film de Paris qui s’achève le 6 avril. Une belle occasion donc pour Afrik de revenir sur le parcours de celui qui s’impose désormais comme l’une des figures incontournables du cinéma noir francophone.

Chacun cherche son chat, Lumumba, Femme Fatale, Le silence de la forêt et plus récemment Les rivières pourpres 2 sont les films dans lesquels vous l’avez vu. Lui, c’est Eriq Ebouaney. Un éternel béret vissé sur la tête qu’accompagne presque toujours un magnifique sourire, Monsieur, la trentaine, est coquet : il n’avoue jamais son âge. L’acteur a, certes, une jeune carrière mais affiche un palmarès qui devrait en faire pâlir plus d’un. Voilà, en effet, une dizaine d’années que le démon du jeu… celui d’acteur a jeté son dévolu sur ce Français, né de parents camerounais. L’aventure cinématographique commence pour lui, au théâtre, en dilettante, avant qu’il ne se laisse submerger, voilà près de sept ans, par sa passion pour le métier d’acteur. Il a déjà eu la chance de collaborer avec nombre de personnalités du cinéma, au cours d’un parcours qu’il appelle son « rêve éveillé ». Mais cela ne l’empêche pas d’avoir les pieds sur terre. Notamment pour ce qui est de défendre la place de l’acteur noir dans le cinéma français. Silence ! On tourne !

Afrik.com : Comment êtes-vous venus au cinéma ?

Eriq Ebouaney : Par hasard… J’évoluais dans le domaine commercial et pour épater une copine, je me suis mis à faire du théâtre comme elle. Puis toujours, par hasard, j’ai fait une petite apparition dans le premier film de Cédric Klapish, Chacun cherche son chat (1997, ndlr). C’était plutôt pour le fun, je ne me prenais toujours pas vraiment au sérieux. Mais c’est le cas depuis sept ans à la faveur d’une tournée théâtrale, à travers la France et l’Europe, dans une pièce de boulevard aux côtés de Michel Galabru intitulée La poule aux oeufs d’or. Plus j’avançais, moins j’arrivais à me passer de ce métier. J’ai continué avec des petites apparitions dans les films d’Ariel Zetoun, Benoît Jacquot… jusqu’à ma rencontre avec Raoul Peck.

Afrik.com : Vous avez longtemps fait du théâtre. Quelle différence faites-vous entre le théâtre et le cinéma ?

Eriq Ebouaney : Le théâtre est un métier d’acteur. On est en live avec le public. Les émotions se vivent en direct, on ne peut pas tricher. A contrario, le cinéma est un métier de technicien, de réalisateur. C’est lui qui dit « Action ! », « Coupez !». Même si vous avez envie de continuer à jouer. L’acteur est moins libre qu’au théâtre où la contrainte majeure est celle de la mise en scène. Et puis, outre les répétitions, on travaille d’un trait au théâtre alors qu’au cinéma, il faut gérer l’attente. On attend beaucoup entre deux prises. C’est vraiment deux univers différents comme peuvent l’être, toutes proportions gardées, ceux d’un pilote de F1 et de Paris-Dakar, ou encore d’un coureur de fond et d’un sprinteur. Le théâtre m’a appris à gérer mes émotions, m’a formé. Je n’ai fait aucune des écoles d’acteurs réputées en France mais le théâtre m’a permis de côtoyer des acteurs qui en venaient. Depuis trois ans, je n’en ai plus du tout fait alors qu’auparavant j’alternais des rôles au cinéma et au théâtre. Ça me manque, j’espère revenir sur les planches.

Afrik.com : Est-il difficile d’être un acteur noir en France ?

Eriq Ebouaney : En France malheureusement, en tant qu’acteur noir, on est victime de l’empreinte qu’a laissé la colonisation dans la culture française. Et le monde de l’audiovisuel français n’échappe pas à cette réalité. Un acteur reste un acteur et par conséquent, un acteur noir n’a pas à être indéfiniment cantonné dans des rôles de balayeur, de musicien ou encore de danseur. On ne veut pas nous inclure dans la vie sociale et politique de ce pays, on a peur du Noir. J’ai envie de dire qu’il n’y a que – pardonnez-moi l’expression – des couilles molles dans le monde du cinéma et de la télévision en France. Ils n’ont rien compris à l’avenir de ce métier quand on sait que c’est le mélange des cultures qui fait évoluer la plupart des sociétés. En France, on est resté à la nouvelle vague. Et l’on s’extasie sur le travail de gens comme Scorcesse (Martin), Tarentino(Quentin) ou encore Jim Jarmusch, qui ont axé leur travail sur le mélange des cultures. Ce que le cinéma français est, à l’heure actuelle, incapable de faire. La France est une société métisse mais c’est une réalité qui ne se reflète pas dans son cinéma.

Afrik.com : Comment réagissez-vous à tout cela ?

Eriq Ebouaney : En tant qu’acteur, on passe notre vie à attendre qu’un projet se présente, c’est pire quand on est noir… Je vais alors au devant d’autres projets en Afrique du Sud, en Allemagne, en Angleterre, aux Etats-Unis. Je cherche à déclencher des rencontres. Il est temps qu’on se prenne en charge, qu’on se mobilise – acteurs, réalisateurs, producteurs noirs -pour travailler sur les sujets que l’on a envie de traiter. Pourquoi un Français moyen se prendrait-il la tête à écrire une histoire pour un acteur noir d’origine africaine ? Peut-être que cela viendra plus tard et que des gens, à l’instar de Kassovitz (Mathieu), travailleront sur ce type de problématique parce qu’ils auront vécu dans une société métisse. Il faut prendre exemple sur les Noirs américains, ils ont commencé à faire des films et l’Establishment s’est rendu compte qu’il y avait de l’argent à se faire et ils s’y sont aussi mis. C’est comme pour le rap en France ! Des films se montent aujourd’hui autour d’acteurs noirs comme Samuel Jackson, Denzel Washington, Forest Withaker, Wesley Snipes et bien d’autres… On a besoin d’exister, quitte à travailler, comme il m’arrive de le faire, sur des projets sans recevoir de cachet. Pour ma part, j’essaie de m’entourer des gens qui me ressemblent – pas qui soient de la même couleur de peau que moi mais qui ont le même état d’esprit – comme Mamady Sidibé ou encore Sylvestre Amoussou (réalisateur d’Africa Paradis, ndlr). Nous essayons de mettre en place une dynamique. C’est plutôt là mon combat !

Afrik.com : Lumumba est le film qui vous a révélé. Comment avez-vous abordé ce rôle ?

Eriq Ebouaney :Avant ce rôle, j’étais un illustre inconnu, ce que je suis toujours d’ailleurs mais on m’assimile souvent à lui. Je suis très heureux d’avoir incarné cette figure historique à l’écran. Je l’ai abordée comme n’importe quel autre personnage. Autrement, je n’aurai pas pu l’interpréter compte tenu de sa dimension historique.

Afrik.com : Quels sont les acteurs et les réalisateurs qui vous impressionnent ?

Eriq Ebouaney : Ce sont plutôt des acteurs qui m’ont donné envie de faire du cinéma comme Alex Descas, qui est aujourd’hui un ami, avec qui j’ai tourné dans Lumumba. Un acteur à qui Claire Denis a donné un rôle principal. Chose rarissime dans le cinéma français. Elle brave le système. C’est un réalisateur que j’admire beaucoup. Comme j’admire également des acteurs dans certains films, tels Marlon Brando, Gene Hackman, Denzel Washington, Morgan Freeman, Robert de Niro… En somme, tous ses grands noms du cinéma américain. J’aime cette énergie qu’ils dégagent. En France, Il y a Daroussin (Jean-Pierre), Bacri (Jean-Pierre) que j’apprécie pour leur sensibilité. Et bien d’autres encore, à force de citer, on finit par en oublier… Côté réalisateur, ce sont Brian de Palma, Ridley Scott, Martin Scorsese et Francis Ford Coppola. J’ai déjà travaillé avec deux d’entre eux et je me dis que c’est déjà pas mal ! Je suis en train de vivre un rêve éveillé !

Afrik.com : Quels sont vos projets ?

Eriq Ebouaney : Je viens de terminer Kingdom of Heaven sous la direction de Ridley Scott dont la sortie est prévue pour 2005. C’est un film sur les croisades dans lequel je joue le rôle d’un mercenaire africano-turc aux côtés de Liam Neeson, Orlando Bloom, Jeremy Irons…Dans un avenir plus proche – sortie prévue en septembre 2004 – je joue le rôle, dans Cape of Good Hope de Mark Bamford, d’un professeur d’université qui se retrouve à travailler dans un chenil dans l’Afrique du Sud post-Apartheid. J’ai une affection toute particulière pour ce film et j’espère qu’il sera sélectionné par le prochain festival de Cannes.

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