
Au Niger, la région de Tillabéri est plongée dans l’horreur. Selon un rapport publié par Human Rights Watch ce mercredi, plus de 127 civils ont été exécutés depuis mars par l’État islamique au Sahel lors d’attaques contre des villages et des mosquées. Face à ces massacres, les habitants dénoncent l’inaction et la méfiance de l’armée, tandis que les militaires, arrivés au pouvoir en promettant la sécurité, peinent à enrayer la spirale de violences.
Selon un rapport publié ce mercredi par Human Rights Watch (HRW), le groupe armé islamiste État islamique dans la province du Sahel (EI Sahel) a commis depuis mars 2025 une série d’attaques meurtrières contre des villages de la région de Tillabéri, à la frontière avec le Mali et le Burkina Faso. Bilan : plus de 127 civils exécutés, des dizaines de blessés, et des villages réduits en cendres. Malgré les avertissements répétés, les habitants affirment que l’armée nigérienne n’a pas su prévenir ni repousser ces attaques, souvent en se présentant plusieurs jours après les massacres pour constater les dégâts.
Mosquées prises pour cibles, villages incendiés
Les attaques documentées par HRW révèlent une violence systématique contre les populations civiles.
- À Fambita, le 21 mars, 46 fidèles en prière dans une mosquée ont été tués, dont trois enfants. Le village a ensuite été pillé et incendié.
- À Dani Fari, le 13 mai, sept personnes, dont deux garçons, ont été exécutées, et une douzaine de maisons réduites en cendres.
- À Manda, le 21 juin, plus de 70 fidèles ont été massacrés à l’intérieur d’une mosquée. Des survivants décrivent « des cadavres empilés » et des blessés abandonnés sans secours immédiat.
- À Abarkaize, les 20 et 23 juin, six villageois, dont le chef du hameau, ont été exécutés après avoir refusé de payer la zakat (impôt islamique).
- À Ezzak, le 23 juin, six hommes ont été tués par balles, neuf maisons brûlées et les habitants contraints de fuir.
Les témoignages recueillis par HRW font état de scènes d’horreur. Une femme de 77 ans, qui a perdu ses enfants lors du massacre de Manda, raconte : « Il y avait des corps partout, les blessés hurlaient et saignaient. Mes deux fils blessés sont morts sur la route, avant même d’arriver au centre de santé ».
L’armée accusée d’abandonner les civils
Au cœur de la colère des habitants, la passivité de l’armée nigérienne. Dans plusieurs villages, les habitants affirment avoir alerté les soldats de menaces précises de l’EI Sahel. Mais l’armée n’est intervenue qu’après coup, parfois plusieurs jours plus tard. « Nous avons prévenu les militaires qu’une attaque se préparait », explique un habitant de Dani Fari. « Mais ils sont arrivés alors que le hameau avait déjà été pillé, les maisons incendiées et des gens tués », lit-on dans le rapport.
À Ezzak, des rescapés racontent même avoir été malmenés et soupçonnés de complicité avec les terroristes lorsqu’ils se sont réfugiés à Ayorou. « L’armée ne nous fait pas confiance, elle nous considère comme des collaborateurs », confie un témoin.
Le régime militaire face à ses promesses sécuritaires
Arrivé au pouvoir par un coup d’État en juillet 2023, le régime militaire dirigé par le général Abdourahamane Tiani avait justifié la chute du président Mohamed Bazoum par l’échec de sa politique sécuritaire et avait promis de restaurer la sécurité. Deux ans plus tard, rappelle le rapport, le bilan est lourd : selon l’ONG Armed Conflict Location and Event Data (ACLED), environ 1 600 civils ont été tués par l’EI Sahel depuis le putsch.
Les autorités ont bien lancé des initiatives, comme l’opération « Garkuwar Kassa » (« Boucliers de la Patrie »), visant à recruter des civils pour épauler l’armée. Mais des organisations de défense des droits humains alertent sur le risque de voir ces supplétifs se transformer en milices incontrôlées, elles-mêmes coupables d’exactions.
Crimes de guerre et impunité
Pour HRW, les attaques de l’EI Sahel constituent des crimes de guerre. L’organisation appelle le Niger à « enquêter et poursuivre de manière appropriée les responsables, conformément au droit international humanitaire ».
« Les civils menacés par les groupes armés islamistes appellent la junte nigérienne à leur assurer une plus grande protection », insiste Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel. Mais sur le terrain, la méfiance croissante entre l’armée et les populations rurales fragilise davantage la lutte contre les terroristes. Beaucoup de villages de Tillabéri vivent aujourd’hui dans la peur constante, pris en étau entre les menaces de l’EI Sahel et la défiance des forces de sécurité censées les protéger.