Museveni attaque la justice


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Le Président ougandais Yoweri Museveni a vertement critiqué, lundi à la radio et à la télévision, une décision de justice qui pourrait l’empêcher de briguer un troisième mandat. Alors que le gouvernement se prépare à faire appel de la décision, sa diatribe n’en finit pas de faire des vagues dans la sphère politique.

Vous ne m’empêcherez pas d’avoir un troisième mandat. C’est un peu le message que le Président ougandais a envoyé lundi soir à la radio et à la télévision. Yoweri Museveni a sévèrement critiqué une décision de la cour Constitutionnelle annulant un référendum, passé en 2000, qui avait fait du Mouvement, le parti du chef de l’Etat, la seule formation politique habilitée à participer aux élections pendant cinq ans. Par cette sortie remarquée et controversée, le numéro un ougandais espérerait en secret pouvoir faire valider la préparation d’un référendum pour lever la limite des mandats. L’homme en est à son deuxième quinquennat et ce scrutin est sa seule chance de pouvoir se représenter légalement.

La cour Constitutionnelle a pris sa décision vendredi dernier à l’unanimité. Les juges G.M Okello, A.E.N. Mpagi Bahigeine, S.G Engwau, Amos Twinomujuni, C.N.B Kitumba ont statué que les parlementaires n’avaient pas respecté la procédure lors de la mise en vigueur de la loi régissant la tenue des référendums (2000), invalidant de fait le référendum du 29 juin 2000. Scrutin dont la légalité fait encore débat dans le pays. « Des questions restent en suspend quant au taux de participation. Il n’a pas été prouvé qu’il y a eu fraude mais, pendant les élections présidentielles de mars 2001, la cour Suprême a estimé que le scrutin a révélé, en plus des violences, des irrégularités qui l’ont conduite à juger l’élection malhonnête », commente Angelo Izama, journaliste à The Monitor.

Légalité du référendum mise en doute

Le jugement fait suite à la pétition, un mois après le vote, de deux leaders du parti Démocratique. Le quotidien ougandais The Monitor explique que le Dr Paul Kawanga Ssemogerere et Zachary Olum reprochaient notamment au parlement d’avoir voté la loi sur les référendums en violant la Constitution, car ils n’avaient pas consulté les comités concernés. Autre grief : « Le parlement a antidaté la loi de 2000 sur les référendums pour que sur le papier il soit écrit qu’elle entrait en vigueur en juillet 1999, pour que le référendum du 29 juin 2000 soit valide ». Depuis la requête des politiciens, la justice a étudié le dossier. Avec minutie. Ce qui expliquerait pourquoi le jugement intervient près de quatre ans plus tard. « Le sujet est sensible. Elle a voulu prendre son temps pour ne pas commettre d’erreur », estime Angelo Izama.

Et vu la réaction du chef de l’Etat, mieux il valait que la Justice soit sûre de son coup. Yoweri Museveni a estimé qu’« une fois que le peuple a exprimé son choix dans un référendum, personne sur terre ne peut le remettre en cause excepté Dieu. La cour a usurpé le pouvoir du peuple », rapporte Independent Online. Le gouvernement organise déjà la riposte. Les ministres se rencontrent ce mardi pour s’entretenir sur le jugement et les autorités entendent faire appel de la décision devant la cour Suprême.

Croisade pour un troisième mandat ?

Cette réaction s’explique, selon certains, par le fait que ces conclusions pourraient remettre en cause le référendum que le Mouvement entendait mettre en place pour lever la limite des mandats présidentiels, fixée à deux quinquennats. « Ce qui a mis le Président dans cet état, c’est que la décision de la cour Constitutionnelle veut dire ‘le choix du peuple n’est pas valide’. Ce qui lui fait craindre qu’après l’autre référendum, elle remettra encore en cause les résultats », analyse Angelo Izama. Et, surtout, le juge Amos Twinomujuni a notamment expliqué qu’à cause des irrégularités commises lors du vote de la loi sur les référendums, un autre référendum ne pouvait être tenu sous l’égide de cette législation. Ce qui compromet la mise en place de celui que planifient les partisans de Yoweri Museveni.

Le lieutenant général achève son second mandat en 2006 et, selon la Constitution, ne pourra plus se représenter. Sauf si cette amendement saute. Le gouvernement est actuellement en discussion pour arrêter une date pour ce scrutin décisif pour le Président. Des députés, dans tout le pays, sont d’ailleurs à pied d’œuvre pour mobiliser et convaincre la population de l’utilité de lever la limite des mandats.

Apaiser les tensions

Mais pour l’heure les partisans du chef de l’Etat font plutôt profil bas. « Ils se sont aperçus qu’il est allé trop loin et ils tentent d’apaiser le jeu », souligne Angelo Izama. Et pour cause : les déclarations du Président ont provoqué de vives réactions dans la classe politique, allant de la compréhension à la condamnation pure et simple. « Le chef de l’Etat a peut-être déçu par la décision judiciaire, mais a juste tenu à rassurer la population, lui dire que le pays ne sombrait pas dans l’anarchie. Que lorsqu’une décision est prise on ne peut pas revenir dessus comme ça. Par ailleurs, il n’a pas bien compris pourquoi la décision de justice a fait allusion au référendum que le gouvernement veut mettre en place », souligne Tim Lwanga, ministre de l’Ethique. Tembo Nyombi, député du Sud Kassanda, estime que le Président « n’a fait qu’une observation. Il se plaignait du jugement. Quand quelqu’un essaye de causer une crise et que vous êtes celui qui détient le pouvoir, vous devez montrer que vous contrôlez la situation », rapporte The Monitor.

Du côté de ceux qui n’apprécient pas le geste présidentiel, le quotidien relève pêle-mêle l’opinion du député de Conté Aruu, qui estime que Yoweri Museveni « devrait cesser de se comporter comme un paysan », alors que la Société légale d’Ouganda considère qu’il a « dépassé les bornes quand il a dit que les juges ont usurpé le pouvoir du peuple de choisir leur système politique ». D’autres hommes politiques sont peu surpris du discours, estimant que le chef de l’Etat n’en est pas à sa première attaque contre l’appareil judiciaire. Prochain épisode prévu devant la cour d’Appel.

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