Mokhtar Belmokhtar, le caméléon du Sahara


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Le narcotrafiquant Mokhtar Belmokhtar à l’initiative de l’attaque du site gazier d’In Amenas en Algérie n’est pas seulement un preneur d’otages. L’homme au regard d’acier est aussi l’un des plus grands trafiquants du Sahel.

Qu’il soit mort ou vif, il est actuellement le terroriste le plus recherché de la planète. Désormais tout le monde connait celui qui a revendiqué l’attaque du site gazier d’In Amenas, en Algérie, provoquant la mort de 37 otages, selon Alger.

Mokhtar Belmokhtar alias, « Khaled Abou el Abbès », est en effet loin d’être un tendre. L’homme âgé de 40 ans au regard d’acier n’est pas du genre à se soumettre aux ordres de qui que se soit. Et cela se voit. Lui, c’est un électron libre, qui veut à tout prix préserver son autonomie.

C’est aussi un « dur à cuir ». On le comprend d’ailleurs dès le premier coup d’œil sur sa fameuse photo qui circule en ce moment sur les écrans du monde entier, où on le voit vêtu de noir, coiffé d’un turban, et muni d’une kalachnikov.

Il a appris à manier les armes très tôt. Dès l’âge de 19 ans en effet, celui qui est né en 1972 dans le nord de l’Algérie à Ghardaïa, quitte son pays en 1991, pour s’entrainer au combat en Afghanistan auprès des moudjahidin. C’est là qu’il perd un œil après avoir reçu un éclat d’obus, d’où son surnom « lahouer » ( le borgne).

Du GIA à AQMI

De retour dans son pays, il participe à la guerre civile qui oppose le pouvoir aux islamistes, auxquels il prête main forte. L’annulation de la victoire de ces derniers aux élections de 1994 met le pays à feu et en sang. Mokhtar Belmokhtar intègre donc le groupe armée islamique (GIA) pour prendre part au sanglant bras de fer contre le pouvoir. En raison de multiples dissensions le GIA éclate, laissant place au Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), l’ancêtre d’Al Qaida Au Maghreb islamique (AQMI), qui voit le jour le 11 septembre 2006.

Depuis près de 20 ans, les autorités algériennes sont à la recherche de l’islamiste qui a exécuté une dizaine de douaniers et garde-frontières. La justice de son pays l’a condamné par contumace à plusieurs reprises, notamment à mort en 2008 pour meurtre et en 2012 pour acte de terrorisme. Mais elle n’a jamais réussi à lui mettre le grappin dessus, d’où son autre surnom « l’insaisissable ».

Il devient ainsi l’un des rares combattant islamiste d’envergure à ne pas être tué par les autorités. Une capacité de survie qui l’aide à s’imposer rapidement au sein d’Aqmi qui l’élève au rang d’émirat du Sahara, au sud de l’Algérie et nord du Mali. Il prend alors la direction de l’une des plus puissante « katibat » (brigade) du groupe terroriste, la « Katiba Al-Mouthalimin » (la brigade masquée), qui doit composer avec la « Katiba Al-Fatihîn » d’Abou Zeid, donné pour mort par l’armée tchadienne, à l’initiative du rapt des employés d’Areva enlevés au Niger, à Arlit.

Narcotrafiquant la nuit, djihadiste le jour

Mokhtar Belmokhtar est aussi un homme à multiples facettes. Bien avant de faire des otages occidentaux l’une de ses principales monnaie d’échange, il mène plusieurs activité lucratives : trafic de drogue, de migrants, d’armes. Il saisi très vite que faire du Sahara un grenier pour mener ses trafics en tout genre pourrait lui rapporter gros.

Contacté par Afrik.com, cet ex-commerçant, qui a préféré gardé l’anonymat, a travaillé il y a une quinzaine d’année avec l’Algérien. Selon lui, le djihadisme est utilisé par le terroriste comme un vêtement qu’il porte et enlève à sa guise, en fonction de ses intérêts personnels.

« Belmokhtar n’est pas un djihadiste mais un bandit de grand chemin, un narco-trafiquant qui faisait du trafic de drogue, cigarettes, d’armement, de clandestins !, affirme l’ancien commerçant. Je le connais suffisamment pour avoir fait du commerce avec lui lorsque nous étions jeunes. Il utilise l’islam pour mener à bien ses affaires! Un djihadiste est réellement convaincu par son idéologie ! Belmokhtar, lui, n’a pas de conviction !»

L’Algérien en effet s’illustre en quelques années comme le maître de la contrebande dans le Sahel. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard s’il est également surnommé « mister Malhboro » pour les trafics de cigarettes à son actif. Ces activités qu’il mène depuis 1995 lui permettent de préserver une certaine liberté vis-à-vis d’Aqmi, à qui il fournit les moyens nécessaires à sa subsistance, véhicules, armes.

Celui qui connait le Sahara comme sa poche n’hésite pas à se rapprocher des populations locales, notamment des Touaregs. Il convainc plusieurs jeunes, vivants dans une grande misère, de se battre à ses côtés. Ces derniers qui ne sont pourtant pas salafistes se laissent convaincre pour l’appât du gain.

L’appât du gain

Il aurait épousé également plusieurs femmes touaregs, neuf au total, pour gagner la confiance des populations et nouer des alliances. Le très influent narco-trafiquant a su rapidement tisser des réseaux autour de lui, qui lui ont permis d’assurer ses activités dans l’impunité sans être inquiété de tomber dans les filets de tous ceux qui veulent le voir derrière les verrous.

Le terroriste comprend peu à peu qu’il peut en dehors de ses activités illicites augmenter son gain. Pour se faire, il décide de se spécialiser dans les rapts d’occidentaux. Il est à l’origine de l’enlèvement au Niger en janvier 2011 des deux français Antoine Leocour et Vincent Delory. Mais l’affaire tourne mal. Les deux otages sont exécutés lors d’une offensive menée par les forces spéciales de l’armée française au Mali qui tentaient de les libérer.

Mokhtar Belmokhtar aurait également participé entre autre à l’enlèvement de 17 motards allemands et autrichiens dans le sud du Sahara. Ces derniers auraient été relâchés en échange d’une rançon de 5 millions de dollars. « Belmokhtar a utilisé le GSPC, et maintenant Aqmi, pour faire du trafic au nom de l’islam. En réalité, il recherche simplement de l’argent », a confié à France 24 fin 2010, Anis Rahmani, directeur général du quotidien algérien Ennahar.

C’est « une erreur de le sous-estimer», a indiqué à Paris Match le diplomate canadien Robert Fowler, otage d’Aqmi pendant quatre mois entre 2008 et 2009, l’un des rares occidentaux à l’avoir fréquenté : « Belmokhtar est froid, calculateur et d’une volonté d’acier. Il m’a paru très pieux et avait un ascendant absolu sur ses hommes ».

Rupture avec Abou Zeid

Une chose est sûre. Mokhtar Belmokhtar, qui s’adapte à chaque situation en fonction de ses propres intérêts, aime l’argent. Mais le « borgne » tient aussi beaucoup à sa liberté. D’importantes dissensions avec notamment son rival Abou Zeid le pousse dès décembre dernier à prendre ses distances avec ce dernier.

Il se rapproche ensuite du Mujao, l’un des groupes contrôlant le nord-Mali avant d’en être chassé par les soldats français. Il épouse même la nièce de Oumar Ould Hamada, 49 ans, chef du Mujao dit « barbe rousse », avec qui il entretient des liens depuis fin 2009.

Fin décembre dernier, dans une vidéo diffusée sur la toile, Belmokhtar officialise sa rupture avec Aqmi et annonce la création d’un nouveau groupe : « les signataires du sang ». Un nom qu’il ne semble pas avoir pris au hasard puisque c’est dans la sanglante attaque d’In Amenas, dans son pays d’origine, qu’il a volontairement montré au monde entier sa capacité de nuisance.

Si sa mort est avérée, elle pourrait bien modifier le cours de l’histoire du terrorisme au Sahel. Ce qui ne signifie pas qu’Aqmi ne s’en relèvera pas, mais que l’organisation terroriste sera mise hors jeu pour au moins un bon bout de temps. Le caméléon du Sahara en est ou en était en effet bien le moteur.

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