Moi, Toutankhamon, reine d’Egypte


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Quelques heures avant sa mort, la reine Tout, que l’Histoire connaît sous le nom de Toutankhamon, raconte son existence, après 9 ans passés sur le trône de l’Empire égyptien, à jouer la comédie du pouvoir et à se travestir en roi… Moi, Toutankhamon, reine d’Egypte (Actes Sud), de Nabil Naoum, est un monologue puissant et fiévreux qui se lit d’une traite.

Toutankhamon. Ce nom porte en lui tous les mystères de l’Egypte ancienne. C’est à la fois l’un des Pharaons les plus connus et les plus méconnus… Si l’on reconnaît son visage grâce au célèbre masque d’or qui recouvrait sa momie dans sa tombe, sa vie, en revanche, est nimbée de zones d’ombre. Pharaon de la XVIIIe dynastie, au milieu du 14e siècle avant Jésus-Christ, sa filiation est une énigme, même si la plupart des chercheurs s’accordent à dire que ses parents royaux seraient Aménophis III et Tiy. Quant à sa fin brutale, à 18 ans, après 9 ans de règne, elle est tout aussi étrange. On dit que le jeune Pharaon aurait pu être assassiné…

Dans son dernier roman, l’écrivain égyptien Nabil Naoum lève le voile sur cette personnalité ambiguë qui, pour lui, n’est pas celle d’un garçon… mais d’une jeune fille. Il y raconte « l’histoire de la reine Tout, encore appelée Nefret, et que les annales connaissent sous le nom de Toutankhamon ». Ainsi donc, dans le livre, la vérité de Touthankamon est « celle d’un jeune homme aux seins gonflés, ou d’une jeune fille au bras vigoureux tenant une lance »… Celle d’une « femme dont le destin aura été de vivre une vie d’homme » pour perpétuer le pouvoir car « la femme ne peut régner ». Nabil Naoum écrit dans l’avant-propos que son livre est « l’histoire de la reine Tout, selon l’écho renvoyé par les murs de la prison où elle fut enfermée lorsque sa grossesse fut devenue visible ; car les rois ne peuvent concevoir ni enfanter. »

Du palais au cachot

Se déroule alors le monologue fiévreux d’une femme « dont la beauté égale celle du disque lumineux » mais à qui on a imposé la dissimulation des signes de sa féminité, « masqués par les vêtements, quelques années consacrées à la chasse, aux exercices militaires et aux cérémonies royales ». Une jeune fille frêle montée sur le trône à 9 ans, trop jeune pour gouverner et entourée pour cette tâche du prêtre Ay et du chef des armées Horemheb. Ce dernier sera à la fois source de plaisir et de souffrance pour la reine. Alors qu’elle a 13 ans, il devient son amant, probablement pour assouvir son désir des femmes mais aussi épancher sa soif de puissance. Victime d’une machination pour l’écarter du pouvoir, elle se retrouve emprisonnée alors qu’elle est enceinte de 6 mois et ne peut plus cacher son ventre arrondi. En attendant le poison, du fond de son cachot, elle se souvient.

Elle se livre à une introspection intime, évoquant les hommes de sa vie, sa servante Senou, Ankhesenamon, « cette jeune fille que j’aimais comme une sœur, et que j’ai dû épouser, en ma qualité de roi ». Elle analyse aussi la comédie du pouvoir, dénonce l’hypocrisie qui règne au palais, les luttes intestines et les mensonges. Elle parle de la place des femmes dans la société égyptienne et avec quelle injustice elles sont traitées.

Ancienne religion

Ecrit dans une langue sensuelle, le livre a pour toile de fond l’histoire de l’Egypte. Le règne de Toutankhamon aura en effet été le moment d’une contre-réforme religieuse. Alors qu’Akhenaton avait tenté d’implanter une religion monothéiste, avec Aton comme dieu solaire unique, les prêtres vont revenir à l’ancienne religion et abandonnent Aton pour Amon. La reine Tout parle alors de la « violence faite au peuple pour le contraindre de revenir au culte d’Amon le tyran ». Elle parle aussi des révoltes contre la vie chère et des « processions d’affamés ». Elle est amère, placée sur ce « trône vermoulu », « ébranlé par les révoltes, pourri de l’intérieur par l’anarchie »…

Elle explique aussi combien elle se sent éloignée de ses sujets, laissée volontairement dans l’ignorance par ses proches. « D’ailleurs comment un roi connaîtrait-il son peuple, environné qu’il est de conseillers, de barons, de ministres avides, avides d’argent ou d’une place au paradis, que leur garantira la sépulture dans la nécropole royale ? Ce peuple dont je parle, à peine si je l’ai vu, et encore prosterné, lors des grandes célébrations, j’ai l’impression de n’avoir jamais vu les yeux de mon peuple… (…) Mais je sais aussi, moi sa reine, qu’il est spolié de ses richesses, réduit à la misère par les prêtres, affamé, contraint à croire et à se prosterner… » A travers ce discours, se dessine le portrait d’une femme forte et mûre malgré son jeune âge. Une femme passionnée mais lucide qui ne craint pas la mort. Et malgré le temps qui nous sépare de cette histoire, il y a quelque chose d’universel et de bouleversant dans le livre de Nabil Naoum.

Moi, Touthankamon, reine d’Egypte, de Nabil Naoum, éditions Actes Sud
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