Misère des riches et vertus du chômage


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Lu : « D’après l’OIT (Organisation Internationale du Travail), en réduisant le taux de chômage des jeunes dans le monde de moitié, on pourrait accroitre l’économie mondiale de 2 250 à 3 500 milliards de dollars. Et 20% de cette croissance aurait lieu en Afrique subsaharienne. D’après les spécialistes du développement, il faudrait une croissance de 7% par an de l’économie africaine pour réduire de moitié d’ici 2015 le pourcentage de personnes vivant dans la pauvreté. » La page nécrologique de la CRTV est plus passionnante et bien plus riche d’enseignements. Vous ne travaillez pas ? Réjouissez-vous, c’est un bonheur qui ne dure pas toute la vie, pas même en Afrique !

Quémandeur d’emploi ou travailleurs du désert : strugglers for life

Comment peut-on manquer d’emploi dans un continent où tout est à faire, où se juxtaposent des sociétés pré industrielles, d’où en tout cas l’on ne voit aucune société industrielle ou seulement technique (et technologique), rationalisée et scientifique ?

Il faut donner à la souffrance des Africains un sens spirituel et moral. Et cesser dans le même mouvement d’attacher une signification décisive à l’obtention d’un emploi, n’attachons pas de vertus curatives à l’enrichissement qui ne délivre pas toujours des tares de l’environnement dans lequel on est englué.

Le chômage en temps de démocratie n’est-il pas ici une opportunité ? Où des gens qui travaillent iraient-ils trouver le temps, l’énergie et l’envie de « changer de disque » ? Ce sont des chômeurs qui peuvent comme il faut battre le pavé à Dakar ou à Yaoundé et faire avancer la cause démocratique.

Chaque peuple a une manière de penser et d’agir, une sorte d’âme qui lui est propre, comme la pauvreté est devenue à ce point un fait de civilisation dans notre continent, il faut l’assumer et si possible développer une espèce de culture de la pauvreté qu’on patrimonialiserait et se transmettrait de père en fils. Pour vous consoler de n’être « rien », mettez-vous à l’écriture, aux arts, avec tout le temps libre dont vous disposez cultivez votre corps pour être encore vivant quand tous ces riches seront morts de cancer, d’obésité et de règlements de compte.

La vie des riches africains n’est pas une sinécure : phobie de la dévaluation, peur des grèves, hantise des faillites, psychose d’une guerre, d’une révolution, obligés d’expatrier leurs enfants, obligés de s’humilier dans les ambassades occidentales où ils font la queue comme tout le monde dans des pays où ils ne sont comme personne… Nos bourgeois vivent dans l’insécurité psychologique ; les pauvres en Afrique vivent à l’ombre des riches et quand ceux-ci déchoient, les pauvres trouvent toujours de nouveaux riches à l’ombre desquels ils vont s’abriter. La pauvreté est liberté et réinvention quand la richesse entraine ici suspicion (ou culpabilité), mensonges, accidents cardiovasculaires consécutifs à des pressions continuelles, compromissions mystiques : il ne fait pas bon être riche dans un univers de misère. La « cité de Dieu » n’est-elle pas une cité de pauvres ? Est-il raisonnable de vivre dans l’attente du gros lot ? D’espérer toute une vie qu’après la pluie de criquets, viendra le beau temps de la récolte ?

« Chacun à son tour chez le coiffeur »

Cette formule amuse moins par ce qu’elle dit concrètement que par ce qu’elle prétend poser comme une loi immuable : « Dieu n’oublie personne ! » Ainsi, passerions-nous tous par des hauts et par des bas. Cela change-t-il quoi que ce soit au sort de la majorité qui naît dans un état de dénuement et s’en retourne à la poussière après des années de misère partagée avec femmes et enfants, c’est-à-dire en somme après avoir contribué à la propagation, voire la saturation de la misère naguère héritée ?

Les pauvres et les malheureux sont indispensables à l’équilibre social. Nous n’avons pas forcément le même coiffeur, c’est exceptionnellement que les derniers deviennent les premiers, et la chute des grands (leur tour chez le coiffeur) ne signifie presque jamais qu’une place de nouveau riche est vacante, encore moins que le riche déchu en question ne rebondira pas de plus belle. Dieu n’est pas coiffeur, il n’oublie personne, parce que le destin de chacun est affaire individuelle et il n’en a cure.

L’emploi n’est pas la réponse à tout

Travailler est-il un but suffisant dans la vie ? De nombreux Africains estiment qu’il faut fermer la moitié des établissements secondaires d’enseignement général et ouvrir à la place des établissements d’enseignement technique ! Enseignement général ne peut-il pas contenir des formations technologiques et des enseignements techniques ? Pourquoi donc sont-ils dits généraux ? C’est à n’y rien comprendre.

On veut banaliser la recherche d’une culture intellectuelle au motif que l’éducation doit avoir un but pratique et professionnel. Le travail, au vrai, est une préoccupation grossière, les penseurs de la pédagogie camerounaise tardent à le réaliser. La question n’est pas de savoir si l’éducation des âmes, la formation de l’esprit, est une fin en soi ou un moyen pour exercer une activité industrielle ou commerciale. Il faut dire aux jeunes que la fin de l’éducation c’est la vie de l’esprit, que la noblesse est dans le moyen pas dans la fin.

Pas besoin d’un emploi pour travailler

On est élevé dans l’idée que le travail est la valeur suprême ; étymologiquement le travail désigne pourtant un instrument de torture (trepalium), bibliquement un châtiment. Laborare qui traduit en latin l’idée de travailler contient surtout celle de souffrir.

Et si l’homme aspire à être « maître et possesseur de la nature », ce n’est sans doute pas pour travailler plus, on a assisté culturellement à un renversement de perspectives. La vérité est que les esclaves nègres ont travaillé, ils ne sont pas ceux qui ont le plus profité de cette débauche d’énergie. De même, dans les champs de canne à sucre de Mbandjock et Nkoteng (Cameroun), de nos jours, assiste-t-on encore à un véritable esclavage.

Où l’homme ne travaille pas pour s’émanciper, pour fuir l’ennui et l’oisiveté, mais plutôt pour une bouchée de pain, qu’il partagera avec sa famille pléthorique. Un homme paresseux, s’il ne s’agit pas d’une paresse d’esprit i.e. d’une mentalité paresseuse, est un homme sain d’esprit. Un travailleur un autre qui a souvent des problèmes psychologiques ou personnels et trouve dans le travail un dérivatif.

Celui dont la passion est le travail fait autre chose que travailler, c’est lui qui est travaillé par une activité. Pour ce qui est des Africains, ils ne sont pas paresseux, bien au contraire ! C’est juste que l’organisation du travail dans la société fait que le travail est bien souvent un poste pour justifier un salaire. On s’en plaint quand on n’en as pas, on est « débordé » quand on en a.

Pratiquer la paresse avec art

La paresse est un péché capital ? Alors pourquoi nous avoir raconté que c’est pour une affaire de pomme (fruit défendu) que nous avons été chassés du Jardin d’Eden ?

Au fait, comment appelle-t-on un enfant qui va jouer au ballon pendant que ses frères potassent ou rangent leur chambre ? Un paresseux.
Comment appelle-t-on un autre qui gagne des millions à coups de frappes assénées sur un ballon ? Quelqu’un qui a beaucoup travaillé pour en arriver là. Comment appelle-t-on quelqu’un qui s’enferme à longueur de journées pour lire des romans et écrire son journal, quand au même temps ses parents grattent la terre pour en tirer la pitance quotidienne ? Un paresseux et un inconscient.

Comment appelle-t-on quelqu’un qui s’enferme pendant trois ans pour écrire un roman, qui connaît un semblant de succès ? Un bourreau de travail. La paresse est le nom qu’on donne à l’improductivité et le travail à la productivité.

Les tenants du tout-économique ont réussi à imposer cette vision capitaliste du monde à tout le monde. On se laisse aller à la paresse, il n’en va pas de même pour le travail qui est en conséquence une activité contre nature, et par suite une pseudovaleur. Il faut revisiter l’éthique méditerranéenne.

Intellectuels africains : Chômeurs payés ?

Les cacaoculteurs de Taboitien (Est de la Côte d’Ivoire), les orpailleurs de Batouri (Est du Cameroun) les anciens combattants, les creuseurs de puits, les lions indomptables, les aventuriers qui s’expatrient au péril de leur vie ont donné aux peuples africains plus d’épaisseur et de richesses que toute sa classe savante. Nos intellectuels se sont convertis en grimpeurs sociaux, pressés qu’ils sont par l’ambition de passer au même temps pour des penseurs et des faiseurs de livres, qui noircissent sans pitié à l’encre noire des pages qui eussent mieux aimé voir se déverser sur elles des flots de pensées à défaut de rester carrément vierges.

Platon disait qu’il fallait expulser de sa république les poètes, dans une langue moins anachronique, on dirait aujourd’hui les écrivains. Si cela n’est pas souhaitable, cette proposition contient une idée particulièrement dérangeante dans le cas de l’Afrique : l’intelligentsia non technique, du moins celle dont la qualification technique est littéraire et humaine et les spécialistes de la parole publique qui sont responsables des idées vraies ou fausses véhiculées à travers la presse, la radio, la télévision, et Internet, n’ont pas fait avancer de manière décisive le continent noir. Au contraire !

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