Mike Ibrahim : « Il n’y a pas que le zouk dans la musique créole »


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arton8473

La musique caribéenne ne se cantonne pas au zouk et Mike Ibrahim le prouve avec finesse et talent dans son premier album Ninaroz. Si l’artiste malgacho-comoriano-afro – américano-breton a grandi en Martinique, il présente une musique profondément créole nourrie d’influences, à l’image de son singulier métissage. Il nous explique sa vision de l’identité culturelle, de la musique et sa relation à l’Afrique. En bonus : deux extraits en écoute.

Nouveau venu dans les bacs avec Ninaroz, Mike Ibrahim fait résolument partie de cette nouvelle vague créole qui pointe de plus en plus le bout de son nez en France métropolitaine. Avec derrière lui près de 15 ans d’expérience en Martinique, où il a grandi et beaucoup tourné, il a décidé à 29 ans de se lancer dans une carrière solo afin de développer sa propre sensibilité artistique. Une voix, un style, une personnalité, pour une musique pleine de douceur et de caractère… Mike, de retour de New-York où il a tourné son premier clip, est passé avec sa guitare dans les locaux d’Afrik. Il revient sur sa musique et celles des Caraïbes et nous explique sa conception de l’identité, lui qui affiche des origines pour le moins métissées.

Afrik.com : Comment définiriez-vous votre musique, que finalement beaucoup seraient tentés d’assimiler à du zouk ?

Mike Ibrahim : Je la définirais plus comme de la musique caribéenne, pour avoir une vision un peu plus large des choses, parce que le zouk pâtit d’une image assez réduite dans la tête des gens. Je voulais faire une musique métissée. Effectivement, il y a des accents zouk dans ce que je fais. Et pour ceux qui ne sont pas familiarisés avec la musique caribéenne, le fait que je chante en créole fait tout de suite référence au zouk. Mais quand on écoute bien le disque, on s’aperçoit qu’il y a des ballades, de la bossa nova, il y a même des guitares électriques saturées et d’autres choses qu’on ne retrouve pas dans le zouk, comme l’utilisation de la guitare folk (dont il joue, ndlr).

Afrik.com : Etes-vous issu d’une famille de musiciens ?

Mike Ibrahim : Non, plutôt d’une famille de mélomanes. J’ai toujours écouté énormément de musique. J’avais beaucoup d’amis musiciens et le fait de traîner avec eux m’a amené à développer ma propre couleur musicale. J’ai commencé à apprendre la guitare à 20 ans.

Afrik.com : Vous avez grandi en Martinique, mais vous n’êtes pas Antillais. Pourriez-vous revenir sur vos origines ?

Mike Ibrahim : Je ne suis pas Antillais d’origine, même si je me considère Antillais de cœur et de culture. J’ai un père malgache et comorien et une mère afro-américaine et bretonne. Nous nous sommes retrouvés aux Antilles par un hasard de la vie. C’est ma mère qui avait décidé d’aller vivre là-bas à une période de sa vie. A l’époque, elle était en France et essayait de se rapprocher des gens qui lui ressemblaient. Elle a rencontré des Antillais qui lui ont parlé de la Martinique et nous sommes partis là-bas.

Afrik.com : Comment vous placez-vous en terme d’identité entre vos différentes origines et votre culture créole ?

Mike Ibrahim : Ce qui est intéressant, c’est que je me positionne plutôt au centre de ces cultures et de ces différentes influences. Un centre mobile. C’est à dire que toutes ces cultures conversent entre elles et que je profite de toute cette créativité générée par ces échanges pour prendre ce qui m’intéresse et pour être tout simplement moi. Je suis un quart de plein de chose, plus une composante antillaise qui vient se rajouter par dessus et je pense qu’il m’est quasiment impossible de me positionner exclusivement par rapport à une culture particulière. Il y a une culture collective qui est celle de l’endroit où on a grandi (parler une certaine langue, lire certains livres, écouter une certaine musique, manger une certaine cuisine…), mais la culture c’est aussi quelque chose de plus personnel. Un individu peut être porteur de sa propre culture. J’aimerais ajouter que la culture n’est pas pour moi quelque chose de figé mais en pleine évolution. C’est une conversation perpétuelle qui génère de la richesse.

Afrik.com : Quels liens gardez-vous avec l’Afrique ?

Mike Ibrahim : Je ne me pose même pas la question, je me sens africain, c’est une base. Je n’y suis malheureusement jamais allé, mais je connais l’Afrique à travers des gens, des musiques, des œuvres d’art ou mon vécu quotidien. Je reviens de New York où j’ai passé le plus clair de mon temps avec des Nigérians. L’Afrique n’est pas qu’en Afrique. Et l’africanité est tellement forte que les gens qui la portent en eux la communiquent et la partagent. Ils nous donnent vraiment envie d’y aller…

Afrik.com : Comment avez-vous commencé la musique ?

Mike Ibrahim : J’ai commencé par des concours de chants. J’ai également joué dans des groupes de musiciens de haut calibre à la Martinique. Des musiciens dont certains ont beaucoup tourné avec Dédé Saint-Prix. J’ai également fait les cœurs pour Eric Virgal. Cela a duré quelques années et très rapidement j’ai eu envie d’exprimer mon propre message, ma propre sensibilité. Alors, je me suis mis à composer. Depuis que je suis en métropole, j’ai écrit et composé pour des gens, comme par exemple Shaymané ou Véro, j’ai également travaillé avec un diseur martiniquais qui s’appelle Joby Bernabé, ce qu’il fait se rapproche du slam. J’ai accumulé les compositions. Je ne voulais pas faire un disque pour faire un disque, j’ai attendu de faire quelque chose de vraiment personnel au niveau des compositions ou des textes.

Afrik.com : Peut-on considérer la musique caribéenne comme de la musique française ?

Mike Ibrahim : Dans la mesure où d’un point de vue administratif les Antilles sont françaises, on peut dire que c’est de la musique française. La francophonie c’est aussi une histoire, celle de la colonisation, de la décolonisation, de l’esclavage. En cela, la musique créole est profondément française. Parce qu’elle porte en elle toute l’histoire des peuples noirs qui se sont fait déporter aux Antilles. Et puis le créole en soi est une langue à base française. Ça parait choquant à dire mais c’est finalement une langue romane. Maintenant la musique caribéenne a son identité propre, par rapport au créole, par rapport aux rythmes (mélange de rythmes aussi bien français qu’africains).

Afrik.com : Quelles sont vos ambitions d’artiste ?

Mike Ibrahim : Vendre un maximum de disques (rire). Cela pourrait paraître très froid comme ambition, mais si tu vends des disques c’est que tu t’es trouvé un public et que tu as des gens qui viennent à la rencontre de ta musique et qui adhèrent à ton message. A priori il n’y a que ça qui puisse rendre heureux un artiste. Artistiquement parlant, j’ai encore plein d’ambitions et de choses à dire. Ce premier disque est un point de départ, mais je sais dans quelle direction j’ai envie de faire évoluer ma musique. Après, tout dépendra du public (rire).

Afrik.com : Quels sont les disques que vous écoutez en ce moment ?

Mike Ibrahim : En ce moment j’écoute beaucoup Salif Keita (il se trouve que mon bassiste Guy joue sur Moffou) et Richard Bona. Ainsi que Keziah Jones, le dernier disque de Patrice, un chanteur sierra-léonais et le Guadeloupéen Dominik Coco.

Mike Ibrahim, Ninaroz, Mangroove, 2005

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