Michel Atangana : « Je n’ai jamais été opposant à Paul Biya »


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Après 17 ans de prison au Cameroun, le Franco-camerounais Michel Thierry Atangana, libéré le 25 février, reprend peu à peu ses marques depuis son retour en France. Il raconte à Afrik.com sa nouvelle vie d’homme libre. Entretien.

Entouré de ses proches, c’est un Michel Thierry Atangana détendu qui se présente à nous, dans un hôtel de la capitale parisienne. Malgré la fatigue qui ne s’est pas encore effacée de son visage, après 17 ans de prison, il est toujours debout. Le regard vif, à travers lequel, on peut lire beaucoup de tendresse et d’espérance. Désormais, c’est pour ses enfants qu’il veut continuer à vivre et rendre heureux ceux qui ont souffert durant son incarcération. Alors que l’on croyait qu’il aurait une quelconque rancune contre ses bourreaux, il n’en est rien. Répétant sans cesse qu’il est un chrétien croyant, Michel Atangana reste très humble et prend les choses avec beaucoup de philosophie. C’est en effet sa foi qui l’a aidé à tenir durant les années sous les verrous. Il se souvient comme si c’était hier, lorsqu’en 1997 il a été interpellé puis incarcéré pour détournement de fond, alors qu’il était chargé par la société française qui l’employait de diriger un projet de construction de route au Cameroun. Tout a commencé lorsque Titus Edzoa, ex-secrétaire général à la Présidence camerounaise, l’un des personnages les plus puissants du régime de Paul Biya, à la fin des années 80, a brusquement remis sa démission en avril 1997, annonçant dans la foulée sa candidature à la Présidentielle. Il est arrêté et emprisonné quelques jours plus tard. Michel Thierry Atangana, présenté comme le futur directeur de campagne de Titus Edzoa, est aussi maintenu en prison et y restera pendant 17 ans. Aujourd’hui qu’il est libre, le Franco-camerounais ne cesse de remercier tous ceux qui l’ont soutenu dans son long combat pour la liberté. Il relativise ses années de souffrance quand il repense à Nelson Mandela qui a passé 27 ans de sa vie sous les verrous.

Afrik.com :Comment vous sentez-vous depuis que vous êtes un homme libre ?

Michel Atangana : C’est une question à laquelle il m’est difficile de répondre. Je ressens plusieurs sortes de sentiments. C’est un tremblement tectonique. Je suis encore perdu. Je ne sais pas où je suis. J’apprends à vivre, à retrouver l’humanité. Pendant que mon existence était arrêtée durant ces 17 ans de prison, la vie a continué son cours. Mais pour autant la vie ne s’est pas arrêtée pour moi. Mon combat est d’essayer de rattraper dix-sept ans de ma vie passés en prison.

Afrik.com : Qu’est-ce qui vous a permis de tenir sachant que vous étiez en cellule d’isolement ?

Michel Atangana : Les suffisants diraient que c’est ma force qui m’a permis de tenir. Les orgueilleux diraient : « ah vraiment Michel est fort ! » Moi je dis que c’est ma foi en Dieu, car dans une épreuve comme celle-ci, il faut rendre grâce à Dieu et être simple et humble. Et s’abaisser pour dire que ma vie préservée est un mystère. Je ne saurai dire avec précision la raison pour laquelle des milliers de personnes en liberté meurent et moi détenu pendant 17 ans dans un cachot, je m’en sors. Ma liberté est un don de Dieu. Mon surplus d’existence est un cadeau de Dieu. Je remercie le Président Hollande pour son investissement personnel dans cette affaire et le Président Biya d’avoir accepté de me libérer car quoi qu’on dise c’est lui qui a le pouvoir d’ouvrir les cellules.

Afrik.com : Avez-vous des projets ?

Michel Atangana : Pour le moment, je n’ai pas de projets d’avenir. Les instituions sociales devaient même me mettre à la retraite d’office. Après 17 ans d’années civiles passées en prison, si on fait un calcul simple dans un pays comme la France, ça correspond à 34 années d’années civiles, puisque la déduction du temps n’est pas liée à l’année civile. D’autant que j’ai purgé une lourde peine sans interruption ni aménagement de peine. La légende dit que l’année d’un chat correspond à sept ans d’une vie humaine. Je peux aussi dire dans mon cas que le quotient d’une année de prison est élevé. Il n’est pas impossible que j’arrête toute activité. Le dégoût de la vie peut m’emmener à tout arrêter. Le rythme effréné ? Est-ce que je suis capable de le reprendre ? Laissons les choses se mettre en place. Je n’ai pas une exigence de rentabilité. L’essentiel c’est de vivre. De voir mes enfants. Ce qui est important c’est de construire quelque chose qui peut permettre aux enfants d’alléger leur souffrance. Je ne suis pas important. Mon combat, c’est d’avoir un peu de temps pour rendre un peux moins malheureux ceux qui ont souffert de ma détention.

Afrik.com : Vous ne semblez pas en vouloir à ceux qui vous ont volé 17 ans de votre vie. Vous remerciez même le Président Paul Biya de vous avoir gracié. Or on sait que le Cameroun n’est pas un Etat de droit. Pourquoi cette position ?

Michel Atangana : Au tribunal, il m’avait été demandé par le procureur de la République de porter un témoignage sur un témoin de l’Etat qui manifestement avait débité des aérées contre moi. A l’audience, mes conseils me demandaient de dire tout le mal que je pensais de ce témoin puisqu’il avait reconnu qu’il avait menti. Je ne porte pas de jugement de valeur sur les êtres humains car je suis croyant et chrétien. Et je refuse de le faire, même après 17 ans de prison, et la chaîne de haine qui s’est déversée sur moi. Ce n’est pas une vantardise. Ce n’est pas un jeu, c’est ma réalité. La simplicité commande que chacun reste à sa place. Ma petite place, c’est de bénéficier du surplus de vie qui m’a été accordé sans passer mon temps à regarder en arrière. Et en ce qui concerne le Président Paul Biya, il a des obligations que je n’ai pas. Il faut respecter l’institution de la Présidence. Il peut y avoir des dysfonctionnements mais ce n’est pas pour autant qu’il faille aller dans tous les sens.

Afrik.com : Qu’est-ce qui selon vous a permis votre libération ?

Michel Atangana : Je ne peux pas déterminer les circonstances de ma libération. Je me limite à l’information qui m’est arrivée. Je remercie de près ou de loin tous ceux qui pensaient que je ne méritais pas de mourir en prison, et pensaient qu’il était temps de me libérer, notamment la presse. Je remercie la France, celle qui brille à mes yeux, celle où le Président peut décider de s’investir personnellement pour sortir de prison un être humain. C’est une France extraordinaire, c’est la terre des droits de l’Homme. Je remercie l’ONU qui a posé une action en ma faveur, et Amnesty international, qui m’a rendu visite en cellule et fait un rapport ensuite. Je remercie le CICR, qui a aménagé ma cellule. Je remercie SOS racisme, mon comité de soutien et l’investissement humain exceptionnel des hommes qui ne me connaissaient pas avant mon arrestation, prenant des risques pour me défendre au Cameroun.

Afrik.com : Qu’est-ce qui était le plus difficile pour vous en prison ?

Michel Atangana : Tout ne fonctionne pas normalement pour un prisonnier. J’ai eu tellement de trahison, d’injures, et de haine exprimée malgré ma souffrance. J’ai tellement été humilié par moment. Sans compter ma vie humaine qui a été exposée à nue dans la rue ou chacun avait son commentaire. J’ai lu tellement de choses fausses. J’ai vu tellement de comportements que je ne peux pas décrire, par décence. Il y a eu des personnes qui étaient censées être des proches mais qui ont eu des comportements inimaginables. Un de mes proches a dit devant le juge que je me suis arrangé avec le gouvernement camerounais pour être la où je suis. Quand on vend votre maison alors que vous êtes en prison. Quand on vous interdit d’aller dire au revoir à votre mère qui est morte, alors que le lieu de l’enterrement est à 10 minutes de l’endroit où vous vous trouvez. Quand votre sœur meurt de tristesse et qu’une autre de vos sœurs est victime d’un AVC par tristesse… Quand tous vos rêves sont détruits. Est-ce qu’on rêve encore pendant 17 ans ? Non ! Toute votre vie est arrêtée. C’est un tremblement de terre ! Même si je suis libre aujourd’hui, il faut solder le compte des 17 années qui se sont arrêtées en prison. Ce n’est pas un jeu, c’est une très lourde épreuve.

Afrik.com : On vous a accusé de détournements de fonds avec l’homme politique camerounais Titus Edzoa, dont on vous reprochait d’être très proche. Or vous avez toujours dit que vous n’étiez pas un politique et que vous étiez un homme d’affaires. Quelle relation entreteniez-vous réellement avec monsieur Edzoa ?

Michel Atangana : Je ne suis pas un homme d’affaires. Je n’aime pas ce mot, il me fait peur. J’étais au Cameroun pour une mission, une opération d’investissement unique en accord avec les partenaires privés et publics. C’était ça ma mission principale et je ne me suis jamais écarté de cette mission, par amour du Cameroun et par amour et solidarité de toute la jeunesse. Les investissements que j’ai effectués au Cameroun étaient uniquement pour créer des emplois. C’est ma petite contribution au développement du pays, car les gens ont besoin d’emplois. Tel était mon unique but et rien d’autre. Je n’ai jamais été le directeur de campagne de Titus Edzoa. Je pense que pour occuper cette fonction, il aurait fallu un document signé prouvant cette nomination non ? De même je n’ai jamais été opposant à Paul Biya. Je n’ai jamais mis mes pieds dans la politique. Et une enquête sérieuse, même élémentaire, aurait permis de remettre les choses à leur juste place. Mais J’ai l’impression que ça arrangeait beaucoup de personnes qu’on verse dans un sens qui n’est pas justifiable. Mon couloir était l’investissement et je n’ai pas varié ma version des faits depuis 1997. J’ai été soumis à des interrogatoires très lourdes et difficiles. Il n y a aucun acte écrit de ma part qui peut démentir ce que je viens de vous dire. Je suis allé au Cameroun avec une carte de séjour. Il n’y jamais eu de confusion des genres.

Afrik.com : Concrètement, quelles étaient vos fonctions ?

Michel Atangana : La Cameroun a créé avec une société française et européenne une structure ayant d’un coté l’Etat et les partis privés. L’objectif était de construire l’équivalent de 850 kilomètres de routes pour mettre sur pied une autoroute à quatre voix. Et mon travail était de monter un système de financement dans un contexte économique très défavorable. Mon but était de limiter le coût global des ouvrages. Je devais donc trouver et imaginer un mécanisme, novateur qui n’existait pas. Chose que j’ai réussi à faire en attirant les investisseurs. J’ai pu réunir autour du projet 13 sociétés qui ont accepté d’apporter leur garantie financière au niveau du comité de pilotage. Et les études étaient achevées. Les fonds débloqués pour appliquer cet outil de développement. Voilà la réalité. Ceci n’a pas été démenti par qui que ce soit. Et dans les enquêtes faites, on n’a découvert aucune violation. Je n’ai pas non plus été accusé d’enrichissement personnel. C’est juste que le mécanisme que j’ai utilisé n’était pas connu des instruments dévaluation du périmètre des finances publiques du Cameroun. J’étais en avance. On a traduit innovation par fraude. C’est ce qui me désole. Je ne juge personne, mais je pense que certaines vérités qui ont été dites devant le tribunal auraient du être dite en 1997. Elles auraient permis d’éviter des confusions regrettables.

Afrik.com : Que voulez-vous dire ?

Michel Atangana : Depuis 1998, j’ai lu des livres écrits par ceux qui étaient concernés par cette affaire. On a même dit que j’ai pris de l’argent pour le donner à un autre candidat. Cette rumeur n’existe nulle part ailleurs que dans les textes de journaux, ou livres écrits. Je n’ai posé aucun acte politique. Je n’ai pas été fonctionnaire de l’Etat camerounais. J’ai lu récemment encore en 2014, un ministre de l’Etat du Cameroun écrire que je gagnais dans la fonction publique 1 million 500 mille francs. On a même dit à la société qui m’employait que j’ai quitté mon périmètre pour aller servir d’autres causes. Et ça a été extrêmement préjudiciable. Mais c’est longtemps après que chacun s’est rendu compte que cette rumeur n’était pas fondée. Mais je n’ai pas eu que des ennemis. J’ai eu des avocats camerounais qui ont été braves. Certains sont morts et je respecte leur mémoire. De grands journalistes ont décidé de faire une enquête. Je respecte ceux qui ont posé des actes louables et nobles et regrette profondément les silences et abstraction de certains.

Afrik.com : D’où sont parties ces rumeurs à votre encontre ?

Michel Atangana : La malveillance n’a pas de limite. Un de mes avocats disait que la rumeur est comme un cafard. Quand le cafard entre dans une maison propre, la réaction des habitants de la maison est d’être effrayés, car le cafard est toujours signe de saleté. Mais une fois qu’il est chassé, même après avoir disparu, l’impression de saleté demeure toujours. En clair, les conséquences de la rumeur demeurent dans le temps. Après 17 ans de prison, je dois toujours m’expliquer sur des faits non avérés. Une machine comme l’Etat du Cameroun qui s’est engagé contre moi aurait dû avoir un dossier accablant. Mais il est où ce dossier ? Depuis quand les simples paroles constituent la trame du délit ? Seul un juge courageux m’a donné la parole et l’occasion de m’exprimer. En 2009, quand le procès débute, la salle à chaque audience est pleine. Ce n’est pas comme en 1997 où je n’ai pas pu bénéficier d’avocat. Pendant trois ans et demi, il ne m’est opposé aucune preuve matérielle et à la fin, le jour ou j’attends d’être délivré par cette même justice, le même Etat décide de changer la collégialité des magistrats. Je passe toute ma vie à me justifier sur ce que je n’ai pas commis, mais sur des rumeurs. J’appelle ça l’évanescence, qui brûle mais ne purifie pas. Mais la vérité a une incandescence. Et cette vérité que je connaissais, bien que n’étant pas écouté, elle m’a permis de tenir. Je me suis dit que si je meurs maintenant, cette forfaiture restera et mes enfants n’auront jamais la possibilité d’entendre la vérité. Je n’ai offensé personne, je n’ai humilié personne, mais j’ai été humilié et j’ai été offensé. C’est la réalité.

Afrik.com : Aujourd’hui qu’attendez-vous de Yaoundé ?

Michel Atangana : Je n’attends rien de Yaoundé. Je ne veux aucun compte. Si les hommes qui dirigent les instituions estiment que c’est comme ça qu’elles doivent être gérées, c’est leur responsabilité, pas la mienne. Que chacun examine sa conscience en profondeur et voit si l’acte qu’il a posé est conforme à l’éthique. Revenons à l’éthique qui est importante dans nos sociétés, quel que soit le continent dans lequel nous vivons. Des commissions ont été chargées de mener des enquêtes pour savoir si je détenais des comptes à l’étranger. Au moins 32 pays ont été sollicités. Aucun n’a justifié un quelconque détournement, ni même entre la France et le Cameroun.

Afrik.com : Attendez-vous qu’une enquête soit effectuée pour que la vérité soit rétablie sur ce qui s’est réellement passé depuis votre arrestation jusqu’à votre emprisonnement ?

Michel Atangana : Je ne cours plus derrière aucune vérité, elle est déjà là. Je ne vais pas passer tout mon temps à chercher la vérité. Ce sera une perte de temps encore. Amnesty International a fait son rapport et reconnu mon innocence. C’est ma vérité. L’ONU a indiqué du premier au dernier jour que ma détention était arbitraire. C’est ma vérité. De même que l’ambassade américaine a Yaoundé qui a assisté aux audiences. Mon pays, la France, ne m’a pas reçu comme un rébus de société, mais a reconnu mon effort pour participer au renforcement du lien entre la France et le Cameroun. Le pape François a étudié le dossier et m’a soutenu. C’est une autre vérité encore. Des gens ont même pleuré du fait que je sois libéré. Le CRIF a organisé un rassemblement pour me rendre hommage après ma libération. Je ne suis pas habité par la honte. Ce qui m’a été donné comme surplus d’existence me suffit. Je me reconstruis avec cela.

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