Mémoire retrouvée à Thiès : ces objets de guerre qui racontent la résistance du Sénégal


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Vue de l'Avenue Caen
Vue de l'Avenue Caen

À Thiès, huit objets de la bataille de Samba Sadio (1875) font leur retour depuis la France pour une exposition exceptionnelle. Témoins d’une page cruciale de la résistance sénégalaise, ils symbolisent la réappropriation d’une mémoire longtemps confisquée. Entre émotion et revendication, cette initiative relance le débat sur la restitution du patrimoine africain.

Près de cent cinquante ans après les faits, l’histoire de la résistance sénégalaise au XIXe siècle resurgit à Thiès. Le musée régional accueille une exposition événement, Samba Sadio (1875), qui marque le retour symbolique de huit pièces historiques prélevées sur le champ de bataille. Ces objets, jusque-là conservés au musée de Dunkerque en France, sont au cœur d’un projet de coopération culturelle inédit.

Le retour des témoins matériels de Samba Sadio

L’exposition plonge le visiteur dans un épisode crucial de l’histoire sénégalaise : la bataille du 11 février 1875 à Samba Sadio. Cet affrontement opposa les troupes du Damel du Cayor, Lat Dior Ngoné Latyr Diop, allié aux forces coloniales françaises, à celles du chef religieux Tijane Amadou Cheikhou Ba.

Les huit pièces exposées, prêtées par la France, sont des témoins poignants du sacrifice. Elles comprennent notamment une selle soudanaise, une planchette coranique, des sacs à balles, et un collier d’amulettes de guerre. Ces objets avaient été offerts au musée de Dunkerque en 1875 par Émile Faidherbe, neveu du général Louis Faidherbe.

Emanuelle Cadet, présidente de l’association franco-sénégalaise Alter Natives qui coordonne le projet, a insisté sur la charge émotionnelle de cette restitution : « Ces objets, a-t-elle rappelé, portent la mémoire de ceux qui ont combattu, de ceux qui ont cru. Aujourd’hui, ils reviennent sur leur terre d’origine pour redonner vie à cette histoire. » Les recherches ont confirmé que ces artefacts ont été « pris sur les corps des combattants Tijanes et de leurs montures« .

Un appel à la « justice » et à la restitution définitive

La cérémonie d’ouverture à Thiès a été marquée par une forte présence des dignitaires religieux. Serigne Mamadou Seck, représentant du Khalife général de Thiénaba, haut lieu de la confrérie Tijane, a salué l’événement comme un « moment de vérité et de réconciliation avec notre passé« .

Cependant, il a insisté sur la nécessité que le retour de ces pièces ne soit pas qu’un simple prêt. « C’est une question de justice« , a déclaré Issa Dia, coordinateur d’Alter Natives au Sénégal. Le marabout a lancé un appel ferme aux autorités étatiques sénégalaises pour qu’elles œuvrent à la restitution définitive de ces objets. Pour l’heure, les pièces restent la propriété du musée de Dunkerque et leur cession finale nécessite une demande officielle du Sénégal.

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Reconstruire l’histoire avec la nouvelle génération

L’originalité de ce projet réside dans sa démarche participative. Quinze jeunes chercheurs et médiateurs culturels, âgés de 17 à 25 ans et venant du Sénégal et de la France, ont mené une mission d’enquête. Ils ont rencontré les descendants de Lat Dior, les héritiers spirituels de Cheikhou Ba, ainsi que des artisans et des théologiens.

Cette approche visait à confronter les sources historiques occidentales aux récits locaux, souvent marginalisés. « L’objectif n’était pas de célébrer ou de condamner, mais d’écouter et de comprendre, » a expliqué Emanuelle Cadet. C’est en « écoutant » que le récit national peut être affranchi des visions coloniales et réécrit « ensemble », a-t-elle ajouté.

L’exposition, cofinancée par la France et en quête de fonds nationaux, s’achèvera en décembre par une journée d’étude internationale, soulignant la volonté de faire de cette initiative un modèle de coopération transparente et un levier de transmission pour l’histoire du Sénégal.

Maceo Ouitona
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Maceo Ouitona est journaliste et chargé de communication, passionné des enjeux politiques, économiques et culturels en Afrique. Il propose sur Afrik des analyses pointues et des articles approfondis mêlant rigueur journalistique et expertise digitale
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