
Au Maroc, la loi fixe à 18 ans l’âge légal du mariage. Pourtant, des milliers de mineures continuent d’être mariées chaque année sous couvert de dérogation judiciaire. Entre normes traditionnelles, inégalités socio-économiques et résistances religieuses, l’éradication du mariage précoce soulève des défis majeurs pour l’ensemble de la francophonie attentive aux droits de l’enfant.
L’affaire de Kénitra, où le mariage d’une fillette de 13 ans vient d’être évité de justesse grâce à la mobilisation associative, a ravivé un débat de fond sur une pratique que la loi tente d’écarter depuis deux décennies. Si le Code de la famille fixe depuis 2004 l’âge légal du mariage à 18 ans, son article 20 permet encore au juge d’accorder des dérogations. En 2024, près de 10 000 unions impliquant des mineures ont ainsi été enregistrées, un chiffre révélateur des profondes résistances sociales et institutionnelles qui freinent toute abolition effective.
Le poids tenace des traditions rurales
Dans les zones rurales et montagneuses, notamment dans l’Atlas et le Rif, le mariage précoce demeure enchâssé dans des logiques communautaires anciennes. Pour nombre de familles, il s’agit de préserver l’“honneur” et d’assurer la cohésion du clan. La virginité des jeunes filles, perçue comme un capital social fragile, alimente la peur du scandale et justifie le recours au mariage comme rempart protecteur.
Ces représentations patriarcales s’appuient sur des structures tribales encore influentes, où l’autorité masculine — du père à l’époux — reste normative. Les campagnes de sensibilisation venues des centres urbains peinent à infléchir ces codes sociaux solidement enracinés.
La pauvreté, moteur silencieux du phénomène
Pour les familles les plus démunies, marier une fille mineure tient souvent de la stratégie de survie économique. Moins de charges quotidiennes, parfois l’espoir d’une situation matérielle meilleure : le mariage s’impose comme une “solution” à la précarité. La dot, malgré son encadrement juridique, demeure un levier économique tangible dans ces arrangements familiaux.
La rareté des écoles, la distance géographique et l’absence d’alternatives professionnelles accentuent ce cycle. En effet, le mariage devient souvent le seul horizon concevable là où l’accès à l’éducation est entravé.
Un cadre juridique à double tranchant
L’article 20 du Code de la famille, censé rester exceptionnel, fonctionne dans la pratique comme une échappatoire légale. Certains juges, issus des mêmes milieux culturels que les familles concernées, accordent encore des dérogations pour “sauvegarder l’honneur” après une grossesse ou une relation jugée immorale.
Le manque de formation des magistrats sur les impacts psychologiques, médicaux et sociaux du mariage précoce nourrit cette banalisation. En l’absence de suivi institutionnel, les conséquences pour les jeunes mariées restent invisibles dans les statistiques officielles.
Des voix conservatrices continuent d’invoquer la “loi divine” pour légitimer le mariage des mineures, opposant foi et législation civile. Dans certaines mosquées rurales, les prêches associent le retard du mariage à la « fitna », la tentation et le désordre moral, discours qui renforce les résistances culturelles à la réforme.
Entre modernité et héritage social
La mutation démographique et sociale que traverse le Maroc accentue la fracture entre villes et campagnes. Les familles rurales, attachées à leurs traditions, perçoivent parfois la réforme comme une intrusion étatique ou une influence étrangère imposée. Cette tension explique la lenteur du changement.
Les ONG et associations actives pour la défense des droits de l’enfant, concentrées majoritairement dans les grandes villes, peinent à atteindre les zones enclavées où la pratique persiste avec le plus d’intensité.
L’affaire de Kénitra a prouvé que la vigilance associative pouvait empêcher certains mariages forcés. Mais pour un cas médiatisé, combien restent dissimulés au regard public ? L’abrogation de l’article 20, revendiquée depuis des années par les organisations de défense des femmes et des enfants, se heurte encore à un mur idéologique et politique.
Le gouvernement, partagé entre ses engagements internationaux et la pression de courants conservateurs puissants, hésite à franchir ce pas décisif. En attendant, des milliers de jeunes filles voient leur enfance et leur avenir sacrifiés sur l’autel des arrangements sociaux et du conformisme moral.
Le combat contre le mariage des mineures au Maroc s’enracine dans une lutte plus large, culturelle, éducative et économique. Ainsi, seule une approche globale et durable pourra réellement amener une transformation.



