Maroc : pour mieux réussir l’après-réforme constitutionnelle


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Contrairement aux autres pays d’Afrique du Nord, ayant connu des révoltes populaires, le Maroc fait état d’exception. La nouvelle réforme constitutionnelle contient certaines avancées mais pas suffisamment pour assoir une monarchie parlementaire. Comment réussir l’après-réforme constitutionnelle ? Errachid Majidi, docteur en économie et chercheur à l’Université Paul Cézanne, nous propose dans cette contribution des pistes de réflexion. Selon l’auteur, la combinaison du gradualisme politique et l’action effective sur le plan de la liberté économique serait la meilleure voie pour accompagner positivement le processus de démocratisation au Maroc.

Au milieu des bouleversements profonds que connaît la région arabe, le Maroc semble suivre une évolution maitrisée et progressive. La nouvelle réforme constitutionnelle annoncée par le Roi Mohammed VI dans la foulée des révolutions arabes en est la preuve. Ainsi, le nouveau texte fondamental contient dans l’ensemble des avancées notables en matière de respect des libertés politiques et civiles, mais il n’établit pas pour autant les bases d’une monarchie parlementaire. Dans ce cadre, il serait légitime de s’interroger sur les conséquences éventuelles de cet arrangement institutionnel et sur les actions qui devraient accompagner sa mise en application.

Un gradualisme politique

L’adoption de la nouvelle constitution pourrait coïncider avec l’avènement d’une phase transitoire durant la quelle le Roi va continuer de régner et de gouverner tout en partageant certaines de ses prérogatives avec un Chef de gouvernement issu des urnes. En dépit de son caractère limité en apparence, le nouveau rôle attribué à une majorité représentative symbolise probablement un départ effectif du processus de libéralisation politique. Ce processus, comme l’a montré l’histoire de l’Europe occidentale, pourrait être très lent, mais dés lors qu’il est entamé il devient difficilement réversible. Dans le cas du Maroc cela donnera lieu probablement à une dualité au sein du pouvoir exécutif.

Néanmoins cette situation aurait pour vertu d’accompagner en douceur l’apprentissage démocratique de la population marocaine dont le taux d’analphabétisme demeure parmi les plus importants du monde arabe. Car une réforme institutionnelle, de surcroit partielle, ne pourrait se suffire à elle-même : elle devrait être menée en parallèle à une dynamique de changement sociétal qui implique tous les acteurs. Ainsi, l’Etat doit envoyer des signaux positifs tangibles aptes à augmenter la confiance du citoyen dans les institutions politiques. A cet égard, toute action de la part de l’Etat allant dans le sens d’un apaisement du climat politique et d’une moralisation de la vie publique ne pourrait que renforcer la crédibilité des institutions aux yeux des autres acteurs. De leurs côtés, les partis politiques et la société civile doivent responsabiliser les citoyens quant à leur participation et leurs choix politiques lors des prochaines échéances électorales. Ils doivent également susciter leur intérêt à l’égard des droits politiques accordés par la nouvelle constitution tout en appliquant leur vigilance vis-à-vis de leur mise en application effective.

Enjeux et perspectives

Bien qu’il n’était pas impossible de passer directement d’une monarchie exécutive à une monarchie parlementaire, cela aurait pu s’apparenter dans le cas du Maroc à un transplant institutionnel avec tous les risques de rejet que l’on peut associer à cette procédure. En effet, un régime parlementaire combiné à un scrutin proportionnel aurait tendance à être plus vulnérable à l’instabilité gouvernementale comme peuvent l’illustrer les cas de la IVème République française, et plus récemment de l’Italie ou d’Israël, et ceci quand bien même les expériences démocratiques de ces pays avaient atteint une phase de maturité.

Que dire du Maroc qui combine une carte politique morcelée en une trentaine de partis et un corps électoral peu responsable (abstention, achats de voix, vote pour des personnes et non pour des programmes) ? Dans ces conditions, le Chef du gouvernement aurait eu probablement des difficultés à préserver la stabilité de sa coalition gouvernementale. En outre, dans un climat où la surenchère politique et la pression de la rue auraient tendance à s’amplifier, les préférences des hommes politiques se tourneraient généralement vers la satisfaction des revendications sociales immédiates des électeurs au détriment des équilibres macro-économiques et de l’investissement de long terme. Dans ce contexte, il aurait été difficile pour le gouvernement de résoudre les problèmes économiques des citoyens et cela aurait même pu agir négativement sur leurs perceptions des nouvelles institutions démocratiques.

Afin d’éviter cette impasse, il faudra au préalable agir en amont pour rendre le terreau plus fertile et faciliter ainsi l’émergence à terme d’une monarchie parlementaire. Une entame sereine de la nouvelle phase passerait tout d’abord par un compromis large autour des lois électorales (mode de scrutin, découpage et listes électorales). Par la suite, il faudra rendre le coût total de l’achat des voix très élevé en élargissant certaines circonscriptions et en maximisant les peines pourrait limiter les pratiques frauduleuses. Toutefois, la réussite du scrutin ne pourrait être garantie sans une impartialité totale des autorités politiques envers tous les partis politiques. D’un autre coté, il est nécessaire de voir les partis politiques s’organiser autour de deux grands blocs homogènes basés sur des alliances de programmes et non de circonstances. De ce fait, il est grand temps de voir émerger un bloc conservateur autour des islamistes du PJD et du parti de l’Istiqlal et un bloc social-démocrate dirigé par l’USFP.

Libérer l’économie

Si sur le plan politique la méthode graduelle choisie semble adaptée au contexte actuel du Maroc, il est nécessaire sur le plan économique que le gouvernement agisse dans l’immédiat par des mesures concrètes. La nouvelle constitution contient effectivement des articles allant dans le sens de l’indépendance de la justice et du renforcement des rôles du conseil de la concurrence et de la cour des comptes, mais il faudra une action vigoureuse et efficace pour lutter contre le fléau de la corruption, les monopoles, l’économie de rente et les lourdeurs administratives. Libérer ainsi l’initiative privée des entraves agira favorablement sur la confiance des investisseurs nationaux et étrangers et stimulera la croissance économique. Il pourrait s’agir en outre d’une réponse structurelle au phénomène du chômage des diplômés, apte à éviter aux gouvernements futurs d’acheter la paix sociale au détriment des équilibres budgétaires.

Combiner gradualisme politique et action effective sur le plan de la liberté économique serait la meilleure voie pour accompagner positivement le processus de démocratisation au Maroc. Car nous le savons depuis Aristote, la démocratie a davantage de chances de s’épanouir dans les cités prospères où les citoyens seraient moins vulnérables aux discours démagogiques de certains hommes politiques.

Errachid Majidi est docteur en économie, chercheur à la Faculté d’économie appliquée de l’Université Paul Cézanne.

Publié en collaboration avec UnMondeLibre.org

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