Maroc : comment l’Etat exclut la classe moyenne du logement


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La classe moyenne, représentant 53% de la population marocaine, souffre d’une grande injustice en matière de logement, car c’est bien sur ce segment que la demande est la plus forte mais également la moins satisfaite.

Cette couche sociale se trouve un peu désemparée car elle est trop riche pour le logement social, mais pas assez pour le haut standing. Une situation aberrante qui est mise sur le compte du manque de rentabilité de ce segment en raison de la cherté du foncier. Pour compenser cette cherté, les promoteurs demandent des exonérations fiscales et le relèvement du prix de vente. Si dans la loi de finances 2013, le ministre de l’habitat a relevé le prix du m2 à 6000DH/HT, il n’a pas accordé les cadeaux fiscaux, demandés par les promoteurs. Au-delà du débat sur la légitimité des positions des uns et des autres, encore une fois le gouvernement et les promoteurs immobiliers sont passés à coté de la problématique de fond, à savoir les causes de la cherté du foncier qui pénalise la rentabilité du moyen standing.

Une cherté du foncier qui s’explique bien sûr par sa rareté. Mais qui en est responsable ? Certes, la croissance démographique et l’activité économique y sont pour quelque chose, néanmoins une partie de cette rareté est artificielle, car due à la politique foncière de l’État et sa bureaucratie. Effectivement, la politique menée par l’Etat dans le domaine foncier, au cours des années 80-95, a montré rapidement ses limites en raison du coup de frein donné à l’extension de toutes les grandes villes, particulièrement les métropoles régionales. Aussi, le retard dans la réalisation des plans d’aménagement urbains, en raison d’une procédure fortement centralisée et impliquant de nombreux acteurs mal coordonnées, a conduit à la rétention des terrains par les propriétaires craignant qu’en vendant tout de suite, ils pourraient subir un manque à gagner si la valeur de leurs biens augmentait dans un futur proche. Ceci contribue largement à la flambée des prix des terrains.

De la même manière, certaines normes et réglementations d’urbanisme, notamment en matière de coefficient d’occupation des sols, de hauteur ou d’agencement, ont contribué à cette rareté artificielle en limitant la disponibilité des terrains et les possibilités de construction. À titre d’exemple, le manque de verticalité (limitation des étages en général à 4 pour le social et l’économique, et à 5 ou 7 pour le moyen et le haut standing) conduit à une extension horizontale très consommatrice du terrain, ce qui exerce une forte pression sur le stock de terrains constructibles. Dans le même ordre d’idées, et en dépit de certains progrès, les procédures concernant la mobilisation des domaines de l’État restent complexes et limitent l’offre de terrains. D’ailleurs, seulement 32% du domaine privé de l’État (patrimoine foncier et immobilier appartenant à l’Etat et que ce dernier peut vendre ou transférer à d’autres propriétaires) ont été mobilisés.

En plus de cette rareté artificielle, la spéculation n’arrange pas les choses. Mais, contrairement à l’idée dominante, la spéculation n’est pas une simple question de cupidité du secteur privé. Elle est générée aussi par la multiplication et la complexité des statuts fonciers responsables de la lenteur dans la régularisation et l’apurement juridique des terres. Une spéculation qui est amplifiée aussi par le manque de transparence et du suivi concernant l’octroi des terres de l’État, et qui n’est pas l’apanage uniquement du privé, mais aussi d’opérateurs publics à l’image de groupes tels Al Omrane ou la CDG, dégageant des bénéfices énormes en obtenant de l’État des terres à bas prix pour les revendre avec des plus values substantielles, faisant flamber ainsi les prix. Enfin, la lenteur administrative est aussi responsable, particulièrement les délais d’instruction des dossiers qui traînent en moyenne huit mois dans plusieurs bureaux et nécessitent pas moins de 143 signatures. Cela constitue pour les promoteurs un manque à gagner énorme, récupéré parfois par la hausse des prix.

Ajoutez à cela la concurrence biaisée sur le marché de logement puisque des entreprises publiques détiennent des parts importantes sur le marché alors qu’elles bénéficient du soutien de l’État. Dès lors, la cherté du foncier responsable de la non compétitivité du moyen standing n’est pas une fatalité, mais elle est due essentiellement à une rareté artificielle et une spéculation provoquées par une politique foncière inadaptée, une bureaucratie étouffante et des réglementations mal pensées.

En conséquence, si le gouvernement Benkirane veut sérieusement la réparation de l’injustice faite à la classe moyenne, il doit cesser de se faire passer pour le bienfaiteur en contrôlant les prix (cause d’inadéquation entre l’offre et la demande sur le marché !) ou en accordant des exonérations fiscales – que de toutes façons, il récupérera d’une autre manière. Il est regrettable que la Loi de Finances 2013 fasse l’impasse sur la réforme du foncier et de l’aménagement urbain. Car c’est bien en agissant sur ces deux leviers que le gouvernement pourrait limiter la cherté du foncier, représentant 30 à 50% du coût du logement, et espérer ainsi inciter les promoteurs à satisfaire la demande émanant de la classe moyenne longtemps marginalisée.

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