Mali : Les rebelles du Nord perpètrent des crimes de guerre


Lecture 13 min.
arton25514

(Bamako, le 30 avril 2012) – Les rebelles touaregs séparatistes, les groupes islamistes armés et les milices arabes qui ont pris le contrôle du nord du Mali en avril 2012 ont commis de nombreux crimes de guerre, notamment le viol, l’utilisation d’enfants soldats et le pillage d’hôpitaux, d’écoles, d’organismes d’aide et d’édifices gouvernementaux, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Un groupe armé islamiste a exécuté sommairement deux hommes, amputé la main d’au moins un autre, effectué des flagellations publiques, et menacé des femmes et des chrétiens.

Human Rights Watch a également reçu des informations crédibles selon lesquelles des soldats de l’armée malienne ont arrêté arbitrairement et, dans certains cas, exécuté sommairement des membres des services de sécurité ainsi que des civils appartenant à l’ethnie touareg.

« Au cours des dernières semaines, les groupes armés dans le nord du Mali ont terrorisé les civils en commettant des enlèvements et en pillant les hôpitaux », a déclaré Corinne Dufka, chercheuse senior sur l’Afrique à Human Rights Watch. « Les commandants de ces groupes doivent cesser les exactions, discipliner leurs combattants, et sanctionner de manière appropriée les personnes dans leurs rangs responsables de ces crimes. »

Au mois d’avril, Human Rights Watch a mené une mission de 10 jours dans la capitale malienne, Bamako, et a documenté les exactions commises par plusieurs groupes armés qui opèrent dans le nord du Mali. Le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), un mouvement séparatiste touareg, cherche à obtenir l’autonomie pour le Nord, qu’il appelle Azawad. Les Touaregs sont un peuple berbère, traditionnellement nomades. Ansar Dine est un groupe armé islamiste qui veut imposer une interprétation stricte de la charia – la loi islamique – dans tout le Mali. Une milice d’ethnie arabe locale, basée dans la ville historique de Tombouctou et dans ses alentours, était alliée avec le gouvernement malien, mais le jour où Tombouctou est tombée, elle a changé de camp et s’est depuis scindée en au moins deux groupes ayant des objectifs militaires et politiques incertains.

Ceux-ci, ainsi que d’autres groupes armés, se sont engagés dans des opérations en janvier 2012, lorsque le MNLA a lancé son offensive visant à créer un État séparatiste. Bien qu’ils n’aient pas conclu une alliance formelle, les témoins et les analystes les décrivent comme étant devenus des alliés dans le but commun de reprendre du territoire à l’armée malienne et de consolider leur contrôle sur les régions de Kidal, Tombouctou et Gao, dans le nord du pays (chaque région a une ville capitale du même nom). Les groupes maintiennent des sièges distincts dans chacune des capitales régionales et sont identifiés grâce aux drapeaux arborés par leurs véhicules, leurs uniformes, les points stratégiques particuliers – tels que les ponts et les aéroports – qu’ils contrôlent, et les quartiers dans lesquels leurs combattants sont concentrés.

La grande majorité des exactions documentées par Human Rights Watch se sont produites durant les derniers jours de mars et les deux premières semaines d’avril, après que les groupes armés ont pris le contrôle de Kidal le 30 mars, de Gao le 31 mars, et de Tombouctou le 1er avril. L’avance rapide des rebelles a profité du chaos politique et sécuritaire créé lorsque des officiers maliens de l’armée de grade inférieur ont organisé un coup d’État le 22 mars en réponse à ce qu’ils considéraient comme une réponse inadéquate du gouvernement à la rébellion du MNLA. Un grand nombre de combattants touaregs, tant du MNLA que d’Ansar Dine avaient auparavant appuyé le gouvernement libyen de Mouammar Kadhafi, et sont retournés au Mali avec des armes en provenance de Libye après qu’il a été évincé.

Les combats et l’insécurité récents, la pénurie de nourriture et de médicaments, et le manque de banques, d’écoles et de services en état de fonctionnement ont poussé des dizaines de milliers de Maliens à fuir vers le sud du pays contrôlé par le gouvernement et vers les pays voisins. Des témoins ont décrit des autobus et des camions débordant de civils en fuite, qui ont souvent fait l’objet d’extorsion de fonds aux points de contrôle du MNLA alors qu’ils fuyaient.

Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies estime que, depuis janvier 2012, au moins 284 000 habitants avaient fui leurs foyers à la suite du conflit armé dans le Nord, dont environ 107 000 seraient déplacés à l’intérieur du pays et environ 177 000 ont fui vers les pays voisins, notamment le Niger, le Burkina Faso, l’Algérie et la Mauritanie.

Human Rights Watch a interrogé plus de 100 victimes et témoins des exactions, ainsi que des autorités religieuses locales, du personnel médical, des chefs traditionnels, des membres de groupes locaux de défense des droits humains, des responsables gouvernementaux et des travailleurs humanitaires. La plupart des témoins avaient fui les zones touchées ; ceux qui sont restés dans les zones sous le contrôle des rebelles ont été interviewés par téléphone. Des témoins ont décrit les exactions qui ont lieu au Nord dans les villes de Gao, Tombouctou, Diré, Niafounké, Ansongo et, dans une moindre mesure, Kidal.

Des victimes, des témoins et des membres des familles des victimes ont signalé à Human Rights Watch une vague d’enlèvements de femmes et de filles par les groupes armés. Des témoins ont décrit les enlèvements par les rebelles d’au moins 17 femmes et de filles dont certaines n’avaient pas plus de 12 ans. Une jeune fille de 14 ans a indiqué à Human Rights Watch que six rebelles l’ont retenue captive à Gao et l’ont violée sur une période de quatre jours. Un résident de Tombouctou a expliqué à Human Rights Watch qu’il avait vu trois miliciens arabes entrainer de force une fille d’environ 12 ans depuis chez sa mère jusque dans un bâtiment abandonné, où elle a été violée. Les témoins et les membres des familles qui avaient parlé avec plusieurs autres victimes ont affirmé que les filles et les femmes enlevées avaient été agressées sexuellement par les rebelles. Une personne a indiqué que les rebelles ont enlevé trois jeunes femmes de la même famille dans une résidence à Gao, les ont violées et les ont ramenées le lendemain. La majorité de ces crimes ont eu lieu à Gao peu de temps après que la ville est tombée entre les mains des groupes rebelles, mais aussi à Tombouctou, Niafounké, et dans des villages à proximité de Diré.

La grande majorité de ces enlèvements et viols présumés, selon les témoins, auraient été effectués par des hommes armés parlant la langue tamashek locale au volant de voitures portant le drapeau touareg séparatiste du MNLA. La plupart des enlèvements documentés par Human Rights Watch ont eu lieu dans des quartiers où des témoins ont indiqué qu’il y avait une forte concentration de combattants du MNLA.

Presque tous les témoins interrogés par Human Rights Watch ont fait état d’actes de pillage perpétrés par les rebelles du MNLA et, dans le sillage immédiat du retrait de l’armée à Tombouctou, par des milices arabes. Selon des témoins, le groupe rebelle islamiste Ansar Dine a détruit plusieurs bars et hôtels qu’il associait à la consommation d’alcool et la prostitution, et s’est livré au pillage, mais à une échelle bien moindre. Un grand nombre de résidents locaux et quelques prisonniers qui avaient été tirés de prisons locales au cours de l’avancée des rebelles auraient également participé au pillage, dans de nombreux cas aux côtés des rebelles du MNLA.

Des témoins ont décrit plusieurs jours de pillage, qui ont commencé le jour où l’armée malienne a été soit contrainte de battre en retraite ou a abandonné ses positions dans ces zones. Les rebelles ont fait irruption dans les hôpitaux et les établissements médicaux, où ils ont pillé les biens ainsi que menacé et maltraité le personnel et les patients. Ils ont également pillé des bâtiments gouvernementaux locaux, des banques, des bureaux et des entrepôts d’aide maliens et internationaux, les maisons de représentants locaux, des écoles et des églises.

Le personnel hospitalier de Gao et de Tombouctou a déclaré à Human Rights Watch que les patients dans les hôpitaux publics locaux ont été contraints de quitter leurs lits et ont été laissés sur le sol après que les rebelles ont volé des matelas. Quatre patients à Gao, notamment des patients âgés sous oxygène, sont décédés après que le personnel terrifié s’est enfui, laissant les patients sans personnel médical pour s’occuper d’eux. Des témoins ont également décrit avoir vu les rebelles charger leurs véhicules et, dans quelques cas, de gros camions, avec des meubles, des ordinateurs, des imprimantes, des climatiseurs, des réfrigérateurs, des téléviseurs, des vêtements, des chaussures, du bétail et d’autres articles. Un grand nombre d’autres personnes ont signalé que les rebelles ont volé leurs motos et leurs voitures, souvent sous la menace des armes.

Les résidents de plusieurs villes et villages dans le Nord ont décrit la présence d’enfants n’ayant pas plus de 13 ans dans les rangs du MNLA et dans une moindre mesure au sein des milices arabes et d’Ansar Dine. Des soldats maliens, qui avaient été retenus captifs par les rebelles pendant des semaines, ainsi que d’autres témoins ont déclaré que des enfants avaient fait partie du MNLA depuis que celui-ci avait commencé les opérations dans le Nord en janvier. Les résidents ont observé certains enfants prendre une part active dans le pillage suite à la chute des villes et des villages aux mains des rebelles. Le Mali est un État partie au Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, qui interdit le recrutement et l’utilisation dans les hostilités d’enfants de moins de 18 ans par des groupes non étatiques armés

Les combattants d’Ansar Dine ont pris plusieurs mesures pour protéger les civils des pillages, violences sexuelles et autres exactions généralisées commises par le MNLA, les milices arabes, et les criminels de droit commun. Le groupe islamiste a mis en place des lignes d’appel directes et mené des patrouilles à pied et motorisées. Mais des témoins ont indiqué qu’Ansar Dine a également exécuté sommairement deux hommes à Gao et amputé les mains d’un rebelle du MNLA à Kidal dans le cadre de sa répression. Des résidents de Gao ont déclaré qu’au début du mois d’avril, Ansar Dine avait coupé l’oreille d’une femme pour avoir porté une jupe courte et fouetté des hommes qui avaient consommé de l’alcool et commis des larcins.

Le pillage de plusieurs églises, d’une école biblique et d’une station de radio chrétienne ainsi que la destruction d’icônes religieuses par le MNLA et des combattants d’Ansar Dine ont provoqué l’exode des résidents chrétiens de ces régions, selon des témoignages recueillis par Human Rights Watch.

Des témoins ont également signalé que le 2 avril, des soldats du gouvernement malien à Sévaré ont détenu et exécuté au moins quatre membres touareg des services de sécurité maliens, dont deux gendarmes, un gendarme cadet et une quatrième personne qui aurait été un soldat de l’armée. D’autres témoins ont rapporté à Human Rights Watch que depuis le début du mois d’avril, des soldats occupant des points de contrôle ont enlevé un grand nombre d’hommes ayant la peau claire, notamment des Touaregs, des Arabes et des Mauritaniens, voyageant en autobus entre le Sud contrôlé par le gouvernement et le Nord tenu par les rebelles. Il est à craindre que quelques-uns de ces hommes n’aient été exécutés.

Les combats dans le nord du Mali constituent un conflit armé au regard du droit international. Toutes les parties au conflit, y compris les groupes rebelles, sont tenus de se conformer au droit international humanitaire, qui interdit tout mauvais traitement des personnes en détention, le viol, le pillage, l’utilisation d’enfants soldats, et autres exactions. Les personnes qui commettent délibérément des violations graves du droit international humanitaire sont responsables de crimes de guerre. Les commandants sont redevables au titre de la responsabilité de commandement pour les crimes commis par leurs subordonnés s’ils étaient au courant, ou auraient dû avoir connaissance des crimes, mais ne les ont pas empêchés ni n’ont puni leurs auteurs.

Human Rights Watch appelle les dirigeants militaires et politiques de chaque groupe armé dans le nord du Mali à :

• Adopter toutes les mesures nécessaires pour respecter le droit international humanitaire.

• Émettre immédiatement des ordres interdisant le mauvais traitement des personnes en détention, le viol, le pillage, et autres violations du droit international humanitaire.

• Émettre immédiatement des ordres interdisant les attaques contre les civils et les structures civiles, notamment les établissements médicaux, les écoles et les lieux de culte.

• Cesser le recrutement et l’utilisation d’enfants de moins de 18 ans dans les hostilités, libérer tous les enfants présents dans leurs rangs, et travailler avec les agences de protection de l’enfance pour renvoyer ces enfants dans leurs foyers.

• Garantir et protéger les droits humains fondamentaux des civils dans les zones sous leur contrôle, notamment ceux qui ont fui leurs maisons et sont revenus.

• Mener des enquêtes et sanctionner de façon appropriée les commandants et les combattants qui se sont rendus coupables de violations du droit international humanitaire, notamment les enlèvements, le viol, le recrutement d’enfants soldats, le pillage et autres exactions. Suspendre ceux contre lesquels il existe des allégations de mauvais traitement crédibles durant les enquêtes en cours d’instruction.

• Cesser les châtiments cruels et inhumains prohibés par le droit international, tels que les exécutions, les flagellations et les amputations perpétrées par Ansar Dine.

• Faciliter l’accès impartial et sans entraves aux organisations fournissant une aide humanitaire.

• Mettre en œuvre toutes les mesures possibles pour avertir les personnes dans les zones sous leur contrôle de la menace des engins non explosés et chercher à écarter les civils des zones dangereuses, notamment par le marquage et la surveillance des zones touchées, l’éducation sur la manipulation des munitions non explosées et le partage des informations avec toutes les parties belligérantes sur le type, la quantité et la localisation des armes utilisées afin de faciliter la dépollution.

Human Rights Watch appelle également le gouvernement du Mali à inviter le Bureau du Haut Commissaire pour les droits de l’homme des Nations Unies pour surveiller et enquêter sur les violations de droits humains commises dans le nord du pays.

Suivez Afrik.com sur Google News Newsletter