Mais que peut l’Afrique ?


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afrique Ubuntu

Pour le continent africain, il se pose depuis bien longtemps cette problématique existentielle : pourquoi tel confinement périphérique ? Mais pourquoi cette acceptation silencieuse ou tacite d’un être-à-part-au-monde ? Et ce questionnement peut en charrier bien d’autres tant du côté de l’interprétation de l’histoire mondiale que de ses propres préjugés. On tombe dans le négatif. Pourtant, l’Afrique c’est une géographie singulièrement complexe, une démographie plutôt riche et des civilisations nombreuses.

Disqualifié ou auto-disqualifié, le continent africain manque à une cohérence d’ensemble mais abrite l’écho du monde. Elle est lieu de son retentissement. L’actualité mondiale s’y déroule de plein fouet ; directement ou indirectement. Bien sûr qu’il ne s’agit pas de mettre les oreilles à l’envers pour en faire taire le bruit. Le bourdonnement du monde est réel pour l’ensemble du globe ; peut-être que cela est finalement inhérent à cette globalisation dont les ficelles paraissent si subtilement voire inconsciemment prégnantes. Différencions clairement la mondialisation de la globalisation au regard de leur effectivité sémantique. La première – mundus – paraît plus descriptive/analytique et la seconde – globus – plutôt volontariste et coercitive. De toute évidence, nous sommes inscrits dans des champs d’application bien différents.

L’Afrique sait sa « place » et son « anti-place ». Dans ce second libellé, l’idée est de considérer le réel qui transgresse l’opportunité d’une légitimité africaine ; sa respectabilité en tant que chaînon essentiel dans la galaxie monde.

Avec ou sans la bénédiction des autres, l’Afrique se doit d’agir pour elle-même. Généralement, on attend d’elle, depuis l’extériorité au moins deux attitudes : au mieux qu’elle entre béatement dans la danse, au pire qu’elle ne puisse jamais se révolter ; qu’elle reste sempiternellement muselée. Et pourtant, elle se doit de le faire tant il est vrai que sa prétendue « inexistence » dans l’instance des décisions est à son désavantage complet et conforte son isolement.

La permanence de la désinformation et du mensonge sécrète l’opinion majoritaire ou plutôt celle de ladite communauté internationale. L’on s’offusque de plus en plus d’en entendre parler comme un dogme. Lorsque son discours résonne avec autorité, cette puissante communauté prétend subrepticement que l’Afrique n’existe pas. C’est elle qui régit l’architecture culturelle et sécuritaire du globe. Mais au nom de quoi sinon d’un pouvoir égoïste et malicieux ! Des guerres patriotiques sont admises pour les uns et pas pour les autres, les droits à géométrie variable au nom d’une rationalité logiquement indéfendable par-delà les toussotements de l’histoire, etc. Voici l’arrogance auquel l’on assiste passivement.

Foncièrement donc, pour l’Afrique, il ne s’agit pas d’entrer dans une démarche marxisante dont la lutte des classes, par le renversement d’un ordre, en établirait à l’identique l’érection. L’idée de mêmeté est caduque parce qu’il s’agit de poser l’humain comme finalité dans toutes sortes de domaines.

Dans les rapports humains, tout dominateur est habité par une curieuse odeur de revanche imaginaire. Parce que l’autre, le dominé, est susceptible de se retourner. C’est la démarche la plus plausible. La logique voudrait que cela soit ainsi. Autrement dit, que la Loi dite du Talion se radicalise comme loi naturelle ; cela semble se justifier. Mais au-delà de ce que la civilisation primitive comme celle voulue par le code d’Hammurabi ait pu instituer, qu’en est-il de l’humain au sens propre ? Quels peuvent être les éléments axiologiques qui nous différencient des autres espèces – en l’occurrence le règne animal que nous semblons quelquefois mépriser par on ne sait quelle lâcheté humaine ?

Personne n’a et n’aura la prétention d’une vue complète sur le monde. Cette disposition échappe aux prétentions, aux savoirs et aux compétences humains du fait d’une apoptose générale indiscutable malgré nous et intrinsèquement liée à notre humanité. Nul ne devrait considérer l’humilité comme une contre-exigence ; y compris les civilisations.

Lorsque retentit du bruit dans le monde, l’Afrique ne saurait s’en isoler. Le continent noir ne doit oublier qu’il fait partie de l’espace commun, d’une humanité qu’elle ne saurait répudier et abandonner aux seuls soins des autres. C’est aussi ici le lieu pertinent de l’Ubuntu considéré comme une théorie ou une vision du monde qui pose chaque individu ou sujet comme inévitablement associé à l’autre. On est dans cette idéalité harmonieuse « je-tu » que l’Afrique doit s’appliquer à elle-même pour s’émanciper de ses propres turpitudes politiques. Hors continent africain, Martin Buber publiait un ouvrage du même nom à Heidelberg dans un contexte bien particulier. La pertinence universelle de l’Ubuntu est indiscutable parce que cette philosophie fait de toute évidence sens.

Parce qu’une relation « je-tu » n’est pas basée sur la subalternisation mais sur la considération réciproque : « Je suis parce que tu es ». Plus qu’une inspiration démocratique avec ses contradictions possibles, son langage bien calibré, il s’agit ici d’une relation fondamentale à autrui sur une base axiologique. Ce dernier n’est pas envisagé comme autre mais instinctivement comme un moi autre. Ubuntu se développe à partir d’un « je-tu » qui n’est pas tension mais acceptation préalable au-delà des différences assumées et jamais imposées. Cela n’est absolument pas aux antipodes de ce que le kérygme religieux nomme « l’amour du prochain ».

Zachée Betche
LIRE LA BIO
Zachée Betche est né le 4 septembre 1970 à Maroua au Cameroun. Docteur en philosophie de l'Université de Lausanne, ce passionné de l'Ecole de Francfort consacre ses recherches aux problématiques contemporaines. L'essayiste suisso-camerounais est auteur de nombreux ouvrages.
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