Mahamat Ali, père de Zouhoura : « Le viol est normalisé » au Tchad


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Mahamat Brahim Ali, ancien officier de police tchadien, est le père de la jeune lycéenne Zouhoura, qui a subi un viol collectif après avoir été séquestrée durant cinq jours. Une affaire qui a enflammé le Tchad, provoquant des manifestations massives, d’autant qu’elle a été violée par des fils de hauts gradés de l’armée et de ministres. Installé en France, dans la ville de Nancy, depuis 2005, après avoir reçu trois balles, il revient pour AFRIK.COM sur le viol de sa fille.

A Paris,

AFRIK.COM : Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez appris que votre fille a été victime d’un viol au Tchad, alors que vous êtes installé ici en France ?

Mahamat Brahim Ali : Ça a été très difficile. Je n’arrivais pas à y croire. C’était vraiment horrible. Pendant trois jours, ni moi, ni mes deux autres enfants, ma fille de 16 ans et mon fils de 17 ans, ne pouvions manger. Même boire de l’eau, je n’y arrivais pas.

Comment se porte votre fille ? Avez-vous eu dernièrement de ses nouvelles ?

Aujourd’hui, elle va un peu mieux. Je l’ai eu au téléphone juste hier. Elle est sereine. Elle est soutenue et très entourée. De nombreuses Tchadiennes viennent régulièrement à la maison la voir et lui témoigner leur soutien.

Le viol est tabou au Tchad. Il est gardé secret, on n’en parle pas. Comment expliquez-vous que l’affaire autour de votre fille ait été si médiatisée, obligeant le Président Idriss Deby à réagir ?

Vous devez savoir que le viol est récurrent au Tchad au sein de toutes les communautés, même si on n’en parle pas. Zouhoura n’a pas vécu au Tchad, mais en France. Elle vivait ici avec moi, depuis sept ans. Elle n’a pas la mentalité des jeunes filles de son âge qui vivent au Tchad. Même au lycée, elle était considérée comme une étrangère et ne se sentait pas bien. Elle n’a pas caché ce qui lui est arrivé. Sans compter que j’ai aussi voulu que cette affaire soit connue dans le monde entier pour que tous sachent ce qui se passe au Tchad. J’ai dès lors ordonné qu’on diffuse les vidéos de son calvaire et toutes les photos pour que le viol au Tchad ne soit plus tabou, mais au vu et au su de tous.

Ça a d’autant été difficile pour vous de prendre une telle décision alors que vous étiez meurtri….

Oui, ce n’était pas évident. Mais il le fallait, car Zouhoura doit être la dernière fille violée au Tchad. Son cas est pour moi un mal pour un bien car désormais le monde entier saura que les viols sont systématiques au Tchad. Le cas de Zouhoura doit permettre à toutes les jeunes filles et femmes de vivre et s’exprimer librement au Tchad grâce à la très forte mobilisation des Tchadiens pour que plus jamais une telle chose n’arrive.

Pourquoi Zouhoura ne vit-elle pas avec vous en France ?

Elle a en fait décidé subitement d’aller au Tchad pour passer son bac là-bas. Pour que vous compreniez mieux, vous devez savoir pourquoi je vis en France depuis 2005. J’ai été évacué à Nancy après avoir reçu trois balles de mon agresseur alors que j’étais assis chez moi tranquillement à N’Djamena. Au Tchad, beaucoup de gens sont encore très arriérés. Au lieu de régler les conflits par le dialogue il préfère tuer directement la personne. Je suis en partie paralysé à cause des impacts de balles que j’ai reçues.

On le sait, les agresseurs de Zouhoura sont des fils de responsables tchadiens au pouvoir. En sait-on en sait un peu plus sur eux ? Pourquoi ne sont-ils pas encore traduits en justice ?

Ce ne sont pas des enfants de n’importe qui qui ont violé Zouhoura. Parmi eux, il y a des fils de généraux ainsi que celui du ministre des Affaires étrangères du Tchad. Personne ne sait réellement si la justice tchadienne va les poursuivre d’autant qu’il y a beaucoup de rumeurs qui circulent autour de tout cela. Ils auraient été conduits dans une prison du nord du pays, près de N’Djamena. Mais il faut savoir qu’il n’y a pas de justice au Tchad. Seuls les pauvres sont jugés. Les riches, eux, du fait de leur statut, bénéficient toujours d’une amnistie, c’est récurrent. Comme cela se fait régulièrement, les agresseurs de ma fille pourraient être envoyés dans d’autres pays africains, où ils vivront tranquillement leur vie sans être inquiétés. Puis au bout de deux ou trois ans, ils reviendront au Tchad comme si de rien n’était. C’est la norme au Tchad, ce n’est un secret pour aucun Tchadien. Le viol est normalisé.

C’est récurrent et personne n’ose en parler…

Il y a tant de choses qui se passent au Tchad, même si on les racontait, on ne nous croirait pas. C’est récurrent au Tchad. Vous savez, j’ai travaillé pendant dix ans dans la police tchadienne. On n’a pas le droit de parler de certaines choses qui gêneraient le pouvoir. Des filles de 10 ou 13 ans sont régulièrement violées par des responsables dans le cadre de rites de sorcellerie qui, d’après eux, leur permettraient de se maintenir au pouvoir. Souvent les familles le savent mais n’en parlent pas et il n’est pas rare qu’elles soient achetées par quelques billets pour que l’affaire soit close. Il se passe des choses incroyables dans ce pays. Mais personne n’en parle, car Idriss Déby est aussi soutenu par des pays comme la France, en échange de son aide militaire dans le Sahel. Ce soutien de la France à Idriss Deby a de lourdes conséquences pour les Tchadiens car beaucoup de violations des droits de l’Homme passent sous silence et ne sont pas médiatisées.

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