Madiop Dieng, ramasseur de sel au Lac rose


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Madiop Dieng. Profession : ramasseur de sel

En plus d’être une merveille de la nature, le Lac rose au Sénégal, cet ancien bras de mer, est une source intarissable…de sel. Pour récolter cet ingrédient que l’on retrouve dans toutes les cuisines du monde, ce sont les bien nommés ramasseurs de sel qui s’échinent à la tâche. Madiop Dieng en est l’un d’eux. Rencontre avec un chercheur d’or blanc.

« Je m’appelle Madiop Dieng, je suis ramasseur de sel ». Et cela fait bientôt 10 ans que c’est le quotidien du Sénégalais. Le sel est à portée de main mais la tâche est rude : il faut plonger dans les profondeurs du célèbre Lac rose [[ A condition que le soleil soit au zénith, et que le vent remue les fonds marins afin que les algues, qui sont à l’origine du phénomène, prennent cette coloration]], au Sénégal. Situé à 40 kilomètres au Nord de la capitale Dakar, le lac Retba – de son vrai nom – est non seulement une curiosité de la nature, qui doit sa renommée au rallye Paris-Dakar, mais aussi une véritable mine…de sel. Entre 380 et 400 grammes de sel par litre d’eau (contre 30 à 38g/l pour l’eau de mer) pour une étendue d’eau qui fait 5 km de long et 800 m de large.

Cette richesse, il le doit à son ancien statut de bras de mer. Cette dernière, dont le lac a été séparé par les dunes et la sècheresse, se trouve à 800 m de là. Les explications de Madiop Dieng : « L’eau de mer qui s’est rétractée est très concentrée. Et donc avec l’évaporation, le sel se dépose toujours au fond du lac. Il y a toujours du sel dans le lac. Si vous remplissez votre pirogue à un endroit et que vous revenez deux ou trois jours plus tard, vous trouverez encore du sel.»

Merveille de la nature et mine de sel

Les journées de Sieur Dieng commencent tôt depuis l’âge de 18 ans. Ses outils : un bâton, un tamis et une pelle. Dès 6 heures, avec sa pirogue de location numérotée 1962, numéro que porteront également ses tas de sel sur la berge, il se dirige vers le milieu du lac, à au moins 1,5 m de profondeur. « L’eau vous arrive jusqu’à la poitrine. Avec un bâton dont la pointe se termine par une pointe en fer, le ramasseur casse le sel cristallisé qui se trouve au fond de l’eau. Quand il a cassé une grosse surface, il se sert d’un tamis qu’il tient entre ses deux jambes et qui est raccroché à son cou grâce à une corde pour collecter le sel qu’il racle grâce à une pelle. S’il sent, entre ses pieds, que le tamis est bien rempli, il le tire. » Travailler en eaux salines n’est pas toujours chose aisée, il faut s’en tenir à une hygiène de vie et respecter les règles. « Travailler deux jours et se reposer quatre autres jours. Il faut bien manger et bien dormir. Sinon le sel attaque les poumons et ce n’est pas bon pour la peau. Si vous continuez à travailler, vous avez des plaies.»

Pour se protéger, les ramasseurs de sel s’enduisent de beurre de karité. Une trop longue exposition au sel peut être néfaste bien que le sel possède des vertus : il soigne les petits boutons, les hémorroïdes et les rhumatismes. A la fin d’une bonne journée de travail qui s’achèvera aux environs de 14 heures, il aura rempli de sel trois pirogues. Soit trois tonnes d’un sel gris, au sortir du lac, mais qui blanchit à l’air libre. C’est aux femmes que revient la lourde tâche, c’est le cas de le dire, de décharger la pirogue. Les bassines qu’elles portent sur leurs têtes pèsent entre « 27 et 30 kg » et leur rémunération se fait en nature. Elles se partageront plus tard la moitié d’une pirogue, soit 500 kg, dont l’autre partie est reversée au propriétaire de la pirogue. « Nous louons chaque jour les pirogues, précise Madiop, nous n’avons pas les moyens d’en acheter car elles sont chères ».

Un travail qui peut vous ronger mais qui nourrit son homme

Autre avantage : ce sont les femmes qui vendront les premières aux grands commerçants qui débarquent avec leurs camions à destination de l’intérieur du pays, du Bénin, de la Côte d’Ivoire ou du Togo. Ils achètent directement le sel aux ramasseurs. « Ils arrivent avec leurs sacs pour repartir avec le sel raffiné et iodé grâce à des machines de raffinage alimentées par des groupes électrogènes » qui trônent aux abords des montagnes de sel. « Nous vendons chaque année environ 24 000 tonnes de sel », poursuit-il. Le prix de la tonne varie entre 8 et 25 000 F CFA (35 euros) selon la période.

Et M. Dieng y trouve son compte. « Cela me permet de nourrir ma famille », en l’occurrence ses parents et ses deux sœurs qui vivent avec lui sur le site lac Rose, près de 8 mois dans l’année. Il habite dans les cabanons qui servent de gîte aux travailleurs saisonniers qui viennent de Casamance, de Guinée ou du Mali. « Entre août et septembre, nous nous rendons tous à Yanga dans notre village après avoir fait les provisions pour les trois mois durant lesquelles nous y séjournons ». Bien évidemment, pas besoin d’acheter du sel. Car « nous sommes tous salés ici », dixit un Madiop hilare.

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