« Luanda Leaks » : Isabel dos Santos au centre d’un scandale financier international


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Isabel dos Santos
Isabel dos Santos

Après les révélations des « Luanda Leaks » sur la manière dont de nombreuses sociétés financières seraient parvenues à aider Isabel dos Santos à cacher près d’un milliard de dollars au fisc, l’avenir de la femme la plus riche d’Afrique semble s’assombrir.

L’Angola fait partie de ces paradoxes bien connus en Afrique : État riche mais peuple pauvre, en raison notamment d’un niveau de corruption alarmant. En 2017, le pays pointe à la 167ème place du classement de Transparency International. Cette même année, Joao Lourenço arrive au pouvoir, après les trente-huit ans de règne de José Eduardo dos Santos (1979-2017), et décide de lancer une vaste opération de lutte contre la corruption. Le but : « récupérer les ressources dispersées dans le monde entier », déclare-t-il lors de son premier discours devant l’Assemblée nationale, en octobre 2017.

Rapidement, le clan de l’ancien président est visé : son fils, José Filomeno dos Santos, accusé de détournement et de blanchiment d’argent lié au fonds souverain angolais – qu’il a dirigé – ; sa fille, surtout, Isabel dos Santos, ancienne patronne du groupe d’État pétrolier et gazier Sonangol, poursuivie pour détournement de fonds publics. C’est d’ailleurs son nom qui ressort massivement de l’enquête conduite par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), révélée le 19 janvier dernier, qui a débouché sur le scandale des « Luanda Leaks ».

« Tout le monde voulait sa part du gâteau »

Luanda, la capitale angolaise, est l’une des villes les plus chères au monde, comme le révélait un documentaire d’Arte en 2018. Où « la construction de nouveaux gratte-ciels témoigne de la folie immobilière et des richesses engrangées grâce à la manne pétrolière », tandis que « 55 % de la population doit vivre avec moins d’un dollar par jour ».

Le « responsable » de la fuite de 715 000 documents, qu’ont pu éplucher quelque trente-six médias internationaux – la BBC, le New York Times, Le Monde entre autres –, un lanceur d’alerte portugais, Rui Pinto, déjà à l’origine des « Football Leaks » quelques années plus tôt. Six téraoctets de données ayant transité par la plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique (PPLAAF), qui auraient permis de mettre au jour comment de nombreuses sociétés financières et de gestion sont parvenues à aider Isabel dos Santos, la femme la plus riche d’Afrique, à cacher près d’un milliard de dollars aux autorités fiscales.

« Des sociétés européennes, portugaises pour nombre d’entre elles, ont largement contribué au système mis en place par Isabel dos Santos, explique Jon Schubert, professeur à l’université Brunel de Londres, cité par Le Point. Dans les années 2000, à une époque où les finances du Portugal étaient dans le rouge, il était bien commode de ne pas regarder de trop près ce qui se tramait depuis l’Angola. Cela coïncidait avec un boom économique sans précédent en Angola. Les hydrocarbures, la construction, les télécommunications…, le pays prospérait dans de nombreux domaines. Tout le monde, y compris à l’étranger, voulait sa part du gâteau ».

Parmi les établissements visés, des cabinets d’audit, d’avocats ou des sociétés de conseil, qui n’auraient jamais réellement cherché à comprendre d’où venait l’argent de la fille de l’ex-président angolais. Notamment les « Big Four », les quatre plus grands cabinets comptables du monde : Deloitte, Ernst & Young, KPMG et PwC. Ceux-là auraient pu bénéficier d’un défaut de régulation touchant les sociétés de conseil, qui ne sont pas assujetties aux mêmes règles que les banques en matière de blanchiment d’argent — elles n’ont par exemple aucune obligation légale de s’informer sur leurs clients.

Traverser les frontières

En attendant, les poursuites judiciaires s’enchaînent, et même au-delà des frontières angolaises. Déjà inquiétée par la justice de son pays pour détournements de fonds publics, Isabel dos Santos est également sous le coup d’une accusation de blanchiment d’argent portée par la justice portugaise, qui s’interroge sur l’origine des fonds investis par celle qui était alors présidente de l’entreprise d’État Sonangol.

Aux États-Unis aussi, Isabel dos Santos pourrait être inquiétée. Le président angolais a en effet sollicité l’aide du département de la Justice et du département du Trésor américain pour qu’ils gèlent les avoirs de la fille de l’ex-chef de l’État angolais. Pour l’instant, ces demandes n’ont reçu aucun écho favorable – Joao Lourenço n’a d’ailleurs toujours pas rencontré son homologue américain, Donald Trump, malgré ses efforts. Mais le nouveau héraut de la lutte anti-corruption en Angola semble prêt à tout, quitte à traverser les frontières et l’Atlantique, pour « récupérer les ressources dispersées dans le monde entier ».

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