Littérature-monde : une imposture !


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Aimé Eyengué

S’il est une évidence, qui ne peut être niée, c’est que le monde est fait de différences. Et, ce sont les différences qui l’enrichissent. D’autant plus, quand on les laisse s’exprimer aisément, quand on ne les bâillonne guère par plusieurs artifices possibles de l’hégémonisme de la raison du plus fort. S’il y a le monde occidental, il y a le monde méridional ; s’il y a des écrivains du nord, il y a des écrivains du sud (parce qu’un écrivain reste, avant tout, un être de chair). S’il y a le monde, il y a le pays (au sens premier du terme) ; et, il faut bien qu’il y ait un pays et un monde, pour que l’échange continue. De la même façon, un écrivain part d’un terroir ou peint des tableaux d’instants ‘‘I’’ d’un terroir ou des terroirs, réels ou/et imaginaires.

Aimé Eyengué

Au vu de cette observation générale, le concept de Littérature-monde ne serait qu’une vague éphémère, qui ne monte que pour agiter les océans paisibles, charriant par la même occasion ses protagonistes au gré des vents et des océans qui les éjectent à la face du monde.
En fait, c’est grâce à l’épisode du Festival Etonnants Voyageurs (à Brazzaville du 13 au 17 février 2013), qui a mis de côté un grand nombre d’écrivains talentueux originaires du Congo-Brazzaville, pour aller célébrer urbi et orbi le ‘‘sacre’’ d’Alain Mabanckou, que nous nous sommes rendu à l’évidence que nous avons plutôt affaire là à un concept bling-bling, mieux un arbre qui cache la forêt.

Certains esprits éclairés n’ont-ils pas, avant nous d’ailleurs, entrepris de questionner cette invention quelque peu ubuesque, qui n’a d’égale que l’esthétique de son plumage, comme pour « questionner la validité de cette nouvelle catégorie littéraire de « littérature-monde en français » en l’analysant à la fois sur le plan méthodologique et institutionnel de façon à faire apparaître les enjeux masqués du débat dont certains dépassent largement le cadre de la littérature » ? (C. ALBERT, in « La littérature-monde en français » : une nouvelle catégorie littéraire ?)

Depuis 2007, les langues n’ont pas tari en mots antagoniques à ce concept monté de toutes pièces comme pour tenter d’exploiter la misère ou les déboires des autres, à l’instar des stars du show-biz qui se lancent dans l’Humanitaire.

Et, parmi toutes ces voix discordantes, s’élevait, au sommet, celle de l’actuel Secrétaire Général de la Francophonie, promoteur du Prix des Cinq Continents, dont Alain Mabanckou (un des signataires du Manifeste pour une Littérature-monde en français) est un des récipiendaires. Elle pourfendait quelque tares de cette notion :
« permettrez de vous faire irrespectueusement remarquer, mesdames et messieurs les écrivains, que vous contribuez dans ce manifeste, avec toute l’autorité que votre talent confère à votre parole, à entretenir le plus grave des contresens sur la francophonie, en confondant francocentrisme et francophonie, en confondant exception culturelle et diversité culturelle ».

Et, sur le blog d’Alain Mabanckou, on pouvait lire, la même année, la réaction on ne peut plus directe d’un internaute sur cet avatar : « Il y a quelques contradictions dans la démarche, et elles nous font penser que les signataires de ce manifeste sont les notables de cette nouvelle tendance : littérature-monde. Ils affirment que la langue n’appartient pas à la nation, mais ils laissent à l’écart nombre de leurs collègues, talentueux et ostracisés par la collection Continents Noirs. Je n’achèterai pas le manifeste. Je le chercherai peut-être en bibliothèque. Que Gallimard arrête de se foutre de nos gueules, et on croira ce que ces 44 auteurs en quête d’honneurs (surtout les nôtres, qui se sentent accueillis dans la mafia littéraire, et qui ne sont pas à l’initiative du manifeste) nous disent, et on croira que Diouf est dans l’erreur. Au moins, sa posture à lui est claire. Celle des écrivains l’est moins. ».

Une Littérature-monde : n’est-ce pas un appauvrissement de la littérature ?

Littérature-monde ? N’est-ce pas là une manière d’opérer un suicide collectif sur la face du monde, en signant l’arrêt de mort des diversités littéraires, remplies de nuances, d’implicites culturels ou de sources d’inspirations différentes, que de prôner une telle hypocrisie ? Les 44 signataires de ce manifeste ne sont pas sans savoir toutes les nuances qui existent de fait dans le monde : du monde francophone au monde lusophone ; du monde anglophone au monde hispanophone… Qu’adviendrait-il alors des différences entre les courants littéraires classiques et les nouvelles tendances d’écriture littéraire, qui déjà enrichissent à foison le paysage littéraire ? Les vers de Mallarmé étaient classiques mais ceux de Césaire libres… mais on les aime tels qu’ils sont, ou on ne les aime pas… D’ailleurs, il existe plusieurs mondes, d’autant plus pour un littérateur, un homme aux divers univers.

Alors, nous refusons de cautionner cette tendance illusionniste d’un monde merveilleux qui, au fond, ne contribuerait qu’à reproduire un univers d’hégémonisme qu’elle feint d’attaquer avec des galaxies de stars de la plume toujours en quête de plus de gloire individuelle. Il faut tout simplement stopper cette manie qui veut casser du sucre sur le dos des autres. Car, cette tendance à vouloir berner les masses dans les illusions d’un monde merveilleux, en gommant et en niant subrepticement les réalités diverses bien compliquées, nous semble être, sinon une imposture, du moins une erreur.

« Ce qui tend à signifier que cette catégorie de « littérature-monde en français », annoncée à grand bruit, est bien une catégorie fictive qui, pour séduisante qu’elle soit, ne recouvre aucune réalité », peut-on renchérir avec le propos de C. ALBERT, mais aussi de B. WILFERT-PORTAL «Pour une littérature-monde est traversé de contradictions, de difficultés et d’enjeux non-dits qui invitent à le lire au moins autant pour ce qu’il ne dit pas que pour ce qu’il dit. ».

Le fait de monter au créneau non pas à l’occasion de quelque festivités littéraires mais plutôt pendant le débat de l’élection présidentielle français de 2007 a mal caché de surcroît l’effet d’un coup médiatique recherché par les 44. L’Etat peut-il seulement gendarmer la littérature, peut-on se demander ? La littérature ne traverse-t-elle pas les frontières par ses lecteurs ?

En tout cas, le lecteur, de quelque contrée puisse-t-il être, ne demande qu’à avoir facilement accès à toutes les littératures possibles, mais pas à une littérature imposée par des microcosmes bien huilés avec des logiques purement marketing : il ne faudrait pas lui imposer un plateau, qui se résumerait à une ‘‘Littérature-monde’’.
Les chantres de la Littérature-monde devraient simplement se rendre à l’évidence que, même avec la mondialisation, les pays, les nations existent encore, et leurs peuples se retrouvent dans les littératures différentes, parce qu’ils sont différents, par principe ; mais ce n’est pas pour autant qu’ils sont tous renfermés.

S’il n’y avait pas une diversité de terroir comme maintenant, il n’y aurait plus alors qu’une littérature-monde, une espèce de bulle, qui se suffise à elle-même, et qui n’échangerait avec quelque autre entité. On assisterait, comme qui dirait, à un spectacle d’égos surdimensionnés (qu’on n’applaudirait pas des deux mains), d’un monde littéraire uniforme, un cercle fermé de nombrilistes : du genre, « c’est nous la Littérature, après nous, il n’y a rien », « c’est nous qui décidons le monde, personne d’autre », « c’est nous le monde ! », « c’est nous qui façonnons l’Afrique qui vient…, c’est nous…, c’est nous…, c’est nous… ».

La littérature-monde ou comment bâillonner la littérature tout simplement

La littérature-monde n’existerait-elle pas déjà le plus naturellement du monde, dans une forme plutôt normale (plurielle), pour qu’il fallût qu’on l’inventât de toutes pièces sans son pesant d’or ? Quelquefois, des idéologisations, des packagings ou des cargaisons de pratiques attentatoires, que dis-je, ostentatoires, n’ont servi qu’à mal cacher des calculs de mesquinerie.

A vouloir conceptualiser coûte que coûte, pour donner l’impression de jouer son va-tout intellectuel à la faveur de quelque cause alors qu’il n’en est rien, on finit par se faire avoir dans la doxa des paradoxes. L’observation de C. ALBERT ne contredirait pas notre propos :
« Cet embarras se discerne sans peine dans les propos, un peu confus, d’Alain Mabanckou qui revient sur la définition qu’il donnait, quelques jours avant la publication du manifeste (Le Monde, 19 mars 2006), de l’écrivain francophone comme un écrivain « dépositaire de cultures, et d’un tourbillon d’univers ».

Une autre observation déshabille la Littérature-monde : « à certains égards, sa vision est aussi idéologique et nationale que celle qu’elle dénonce ».

Dans ces conditions, on peut se demander si seulement les tenants de ce manifeste ont pu, à ce jour, mesurer les retombées de cette ‘‘idéologie’’ de plus : Quel bilan mondial peuvent-ils en tirer ? Cette littérature-monde n’est-ce pas qu’un roman de mauvais goût ? N’est-ce pas un prétexte pour bâillonner la littérature tout court, avec des manipulations convenues de sommets, comme de sortes de connivences entre amis ou encore de petits meurtres entre amis, qui s’opèreraient jusqu’au niveau de divers prix littéraires, comme une épuration littéraire ? Peut-on seulement nous dire combien d’écrivains francophones laissés à la marge par une politique éditoriale douteuse ont déjà été intégrés dans ce ‘‘nouveau monde’’ ? Les questions sont légions, le doute patent.

Et les littératures nationales dans tout ça ?

On peut convenir que la littérature dépasse le cadre national, pour alimenter le concert des nations. Seulement, comme nous l’avons fait observer plus haut, elle procède toujours de quelque-part et de quelque époques (du monde d’hier au monde d’aujourd’hui, tout comme le monde d’aujourd’hui n’est pas le même que le monde d’hier). Aujourd’hui, les réalités s’imbriquent et changent, par la force des choses : c’est dire qu’il n’y a pas besoin d’une Littérature-monde pour que les littératures cohabitent, mais qu’il faut juste des éditeurs mieux outillés pour les écrivains et des lecteurs en grand nombre à la littérature (et aux littératures). Henri BERGSON (in Le bon sens ou l’esprit français) semble postuler dans le même sens :
« En règle générale, je doute qu’on puisse comprendre et sentir parfaitement la littérature française si l’on ignore la littérature latine », comme pour dire qu’une littérature particulière englobe in extenso le monde :

« Ordre, proportion, mesure, justesse et souplesse d’une forme qui s’adapte exactement à ce qu’elle veut exprimer, plénitude et rigueur d’une composition qui rend le tout immanent à chacune des parties mais dessine nettement chaque partie dans le tout ».
En effet, il n’existe pas une littérature mais des littératures, d’auteurs comme de pays. Même C. ALBERT le rappelle en citant Casanova (1999) : « les théories de Herder qui faisaient de la littérature l’expression d’une nation étaient justifiées à l’heure des revendications nationalistes européennes et [ont servi], à nouveau, à fonder l’émergence de nombreuses littératures nationales francophones au 20ème siècle ».

N’est-ce pas d’ailleurs A. Mabanckou qui soutient toujours que, en France ou ailleurs, un noir d’origine congolaise n’a forcément rien à voir avec un noir haïtien, etc. ? Pourquoi alors ne peut-il pas a fortiori comprendre qu’il y a une littérature congolaise tout simplement et qu’il en fait partie, qu’il le veuille ou non, de par ses origines congolaises (lui qui se targue d’être ‘‘citoyen du monde’’ et adepte d’une Littérature-monde, parce que né au Congo, vivant en France et aux Etats-Unis) ?

C’est l’imaginaire africain, par exemple, pour ne pas dire congolais, qui a fait l’œuvre aujourd’hui encensée d’Alain Mabanckou. La négation de cette évidence est sûrement un problème identitaire propre à l’auteur, qui l’a d’ailleurs bien souvent avoué lui-même dans ses différents discours. Cela requiert un simple retour aux sources de sa part, mais ne vaut pas pour ainsi dire l’érection de tout un concept fourre-tout qui ne ferait qu’ajouter de la confusion des genres au tohu-bohu humain.

En 2005, par exemple, reconnaissant le fait de la littérature congolaise (tout comme de son existence élogieuse), mais essayant quand même d’indexer les écrivains congolais comme étant responsables de la crise de cette même littérature, Alain Mabanckou écrivait dans son blog ce qui suit :

« Il serait illusoire de compter sur une gloire passée, de dormir sur nos lauriers en nous astiquant le nombril avant d’éructer au petit matin avec le chant du coq. En littérature il n’y a pas de grade pour les anciens tirailleurs ou les vétérans du Vietnam. Les médailles n’apportent rien en la matière. C’est en empruntant les chemins de l’idéologie et de la démagogie que nous autres auteurs avons contribué à anesthésier nos Lettres et à ne plus offrir aux héritiers un projet littéraire digne de ce nom. La crise de la littérature congolaise doit être imputée à l’écrivain congolais lui-même. Il tourne en rond, parade, caquète, se vautre dans une paresse de gastéropode et ne voit pas le cours des choses arpenter d’autres directions ».
Est-ce qu’il n’a finalement pas fini lui-même par avoir une grosse tête avec les médailles, et par tomber dans les idéologies qu’il a voulu décrier avec force et menus détails en 2005 ? Lucide, un internaute, réagissant à son article, s’était exprimé en ces termes : « La crise dont vous faites mention n’est pas inhérente à la structure de l’écrivain lui-même. A côté de quelques écrivaillons qu’on peut compter, je crois qu’il y a des jeunes congolais très talentueux. C’est plutôt la difficulté d’être publiée qui fait croire que notre littérature sombre. Pendant la période d’or des vétérans de cette littérature, la publication d’un manuscrit n’était pas aussi difficile qu’elle ne l’est aujourd’hui. Pensez-vous qu’à l’époque de Sony ou U tam’si, tous ceux qui aspiraient à l’écriture étaient bons ? N’est-ce pas qu’Alain Mabanckou a eu du mal à publier son premier roman Bleu-Blanc-Rouge ? Est-ce le manque de qualité qui justifiait cette difficulté ? »

Retourner ne fût-ce qu’aux sources littéraires du terroir de ses origines ferait certainement du bien à l’auteur de Verre cassé, qui franchement commence à irriter nombre de ‘‘marginalisés’’ des places littéraires (non pas faute de talents !). Car, ce n’est pas en faisant usage de la méthode Coué (employée dans ce cas comme une vendetta à l’encontre des écrivains congolais plutôt victimes du politiquement correct, qu’il a châtiés par mille et un mots et de mille et une manières), ou des manies d’avilissement tendant à ringardiser ces derniers, qu’il pourrait faire asseoir son hégémonie sur la littérature africaine, encore moins sur les littératures du monde (avec son Afrique qui vient qu’il va vendre à Brazzaville avec le Festival Etonnants Voyageurs).

Si tant est que les porteurs du manifeste pour la Littérature-monde viseraient l’égalité entre les écrivains français et les écrivains francophones, en terre française, c’est qu’ils ont dû déceler quelque discriminations à ce sujet en France, non ? Alors, pourquoi Alain Mabanckou, qui a choisi son camp, reproche-t-il à l’Homme Noir de se plaindre ? Puisqu’il reconnaît qu’il y a problème : n’est-ce pas s’indigner et le faire savoir tout le temps qui fait bouger les choses ? Peut-être que les prix littéraires ont fait perdre pied à cette fierté que les Congolais revendiquent mais, qui, elle-même, ne cesse de faire la moue, au point de continuer à cracher dans la soupe ! C’est une erreur que de confondre un parcours personnel à une cause commune qui demeure permanente. Autrement, c’est faire acte d’opportunisme de bazar, pour son nombril et son ventre. En ce moment-là, il ne faut même pas feindre de vouloir porter les causes communes, lorsqu’on a jamais eu la moindre volonté d’un Césaire, d’un U tam’si ou d’un Jean Malonga (premier écrivain congolais, à l’honneur cette année) pour combattre aux côtés des marginaux ou des stigmatisés, parce qu’on est appelé à une sorte de pays mêlé, à une ‘‘plus grande vocation’’, plutôt bling-bling et faite de tapage médiatique : la conquête du Monde !

« Le problème avec les Hommes qui disposent d’un talent exceptionnel est qu’ils se donnent parfois le droit de faire n’importe quoi. C’est ce que vient d’illustrer le lauréat du prestigieux prix Renaudot 2006 », pouvait-on lire de la plume de Raoul Nkuitchou Nkouatchet (Afrik.Com), à propos de son Sanglot de l’Homme Noir :
« Il dit ça et là des choses très justes, avant de s’égarer dans des logorrhées où il montre comment ce que l’Afrique a de plus brillant est souvent tenté par la facilité, la fuite, la fatuité. », tempête-t-il.
Nous n’oublions pas, pour notre part, qu’il faut à un homme des racines, pour qu’il tienne debout ; et qu’un homme, comme un arbre, ne tient pas sur les racines d’un autre arbre. Nous ne nous perdons pas, et c’est sûr : car les anciens nous ont rassuré à ce propos.
Comme les travers de la mondialisation appellent le sursaut culturel dans tous les pays, il faille bien que les littérateurs du monde se rendent à l’évidence de la menace que peut contenir la notion de Littérature-Monde, tel un ogre littéraire.

Car il faut bien que le plan local, le terroir, le pays, continuent à fournir, librement, au monde des littératures de tous les goûts, au nom de la diversité.

Ce n’est ni une Littérature-monde, ni un écrivain, qui peut faire le printemps. Ce sont plutôt, des littératures, des écrivains, alignés ou non alignés (du sérail ou de la rue), au-delà des 44, solidarité oblige, qui le peuvent… et encore ! Au Congo, le pays dont Alain Mabanckou est originaire, on redit à souhait dans la culture du terroir : Mosapi moko esokolaka elongui té (un seul doigt ne peut jamais laver un visage). Or, actuellement, je ne connais pas un seul écrivain d’origine congolaise qui ne se plaigne du « manque de solidarité » de ce talentueux écrivain à l’égard des écrivains d’origine congolaise qui tentent d’émerger (voire des écrivains africains damnés par la politique éditoriale en France). Le constat est plutôt tel, qu’il se désolidarise même à souhait, ‘‘au gré de ses calculs’’ (peut-être parce qu’il n’a jamais été aidé lui-même, qui sait).

L’opinion moins éclairée peut qualifier d’envieux ou de jaloux le quidam qui se permet de faire remonter à la surface une indignation qui délie les langues tout bas pour essayer de faire descendre Alain Mabanckou de son piédestal. Cependant, Bafoua, bafoua, ba sala, ba sala (pour dire qu’il fallait bien qu’il y ait quelqu’un qui déclenche les hostilités déjà rampantes), il faut considérer la mise à l’écart d’écrivains et éditeurs de la diaspora congolaise, qui ont souhaité être de la fête du livre de Brazzaville (leur terre historique) organisée par le Festival Etonnants Voyageurs, et codirigée par Alain Mabanckou et Michel Lebris (deux porte-voix du manifeste pour une Littérature-Monde en français), pour réaliser seulement qu’il était temps de monter au créneau afin de dénoncer cette imposture de Littérature-monde qui ne dit pas son nom. On peut percevoir par là même que cette nouvelle tendance commence à causer bien de dommages collatéraux. C’est pourquoi nous appelons à la vigilance les peuples libres du monde francophone (notamment ceux d’Haïti), contre tout endoctrinement des masses avec cette logique de Littérature-Monde qui peut nous réserver bien de surprises désagréables à l’avenir ; pour ce faire, nous leur dédicaçons ces quelques vers ci-après exprimant notre ras-le-bol :

L’enfer des mots
J’ai bu des litres de mots,
Sans jamais dire mot ;
Ma pensée les digère mal,
Car elle reflue l’infernal,
Les éjectant en palinodie à ciel ouvert,
Comme un rebut salivaire,
Par temps de verte colère.
(in Briseurs de Rêves, L’Harmattan, 2013)

A raison certainement, tous ces littérateurs congolais regrettent, nostalgiquement, la solidarité des premières générations d’écrivains congolais entre eux. Sans avoir été couronnés de quelque prix Renaudot, ils semblent, néanmoins, avoir été ce qu’ils ont été, c’est-à-dire solidaires, dans un monde solidaire. Il n’y a qu’à voir l’engouement que tous ces écrivains manifestent fièrement à vouloir célébrer avec faste les noces de diamant de la littérature congolaise qui a totalisé ses 60 ans officiels cette année (1953-2013). Dans le même temps, Littérature-monde oblige, Alain Mabanckou, qui devrait s’impliquer manifestement à cet événement d’envergure, de par son rayonnement littéraire, n’y fait aucun cas (même pas à l’occasion du Festival Etonnants Voyageurs de Brazzaville, au vu des Programmes de ce festival). Pourtant, des voix multiples, dont celle de la plume camerounaise citée plus haut, n’ont eu de cesse de l’interpeller d’une manière ou d’une autre :

« Il y a quelque chose de déroutant dans la profession de foi française d’un Africain de ce rang. Quitte à aimer la France, ce qui est parfaitement concevable, on s’attendrait à ce qu’un auteur connu et reconnu comme Alain Mabanckou le fasse sobrement. Parce qu’il va de soi qu’Alain Mabanckou est plus utile au Congo et à l’Afrique qu’à la France (…). Alain Mabanckou rappelle lui-même, en page 9 de son ouvrage, que l’histoire de l’Afrique s’écrira avec patience et sérénité : il a mille fois raison. Mais comment cette histoire s’écrira-t-elle, si à chaque fois les meilleurs enfants de ce continent s’empressent de faire bruyamment allégeance ailleurs ? » (Raoul Nkuitchou Nkouatchet).

Qui peut seulement croire que c’est Alain Mabanckou et son cercle fermé qui pourraient écrire l’Afrique qui vient, après avoir compris le propos de Raoul Nkuitchou Nkouatchet ci-dessus ?
Comment aller expliquer aux Congolais qu’une écrivaine aussi talentueuse que Liss KIHINDOU (d’origine congolaise et bien connue du Magazine Amina) ne fait pas partie de l’Afrique qui vient, si ce n’est une imposture ?

Comment aller expliquer aux Congolais que Ghislaine SATHOUD écrivaine (d’origine congolaise) plusieurs fois primée et basée au Canada ne fait pas partie de l’Afrique qui vient, si ce n’est de la malhonnêteté intellectuelle ?

Comment aller expliquer aux Congolais que leur littérature est en crise et qu’Etonnants Voyageurs est descendu à Brazzaville pour la ‘‘ressusciter’’ avec son Afrique qui vient, lorsqu’on sait que l’on n’est vraiment loin d’être en phase avec l’Afrique qui vient vraiment.
La vraie Afrique qui vient, ce n’est pas celle que l’on voudrait mettre, avec la Littérature-monde, sous les feux médiatiques évanescents.
La vraie Afrique qui vient, ce n’est pas celle que l’on voudrait trier avec les méthodes de l’immigration choisie.

La vraie Afrique qui vient n’est pas une Afrique imaginaire, mais c’est une vraie Afrique, c’est une Afrique ouverte et non fermée, c’est une Afrique qui se cherche encore, qui cherche encore sa place dans la mondialisation, et ne peut se payer le luxe de se faire embarquer pour une destination inconnue avec une pseudo-Littérature-Monde aux contours complètement flous, lorsqu’elle sait qu’elle n’a pas encore vraiment réhabilité sa vraie identité, lorsqu’elle sait qu’elle n’a pas encore trouvé sa place dans les rapports de forces de la mondialisation.

L’Afrique qui vient n’a pas besoin de maître ou de contremaître. Elle est faite de diversité, de prise de conscience et de partage ; elle saura trouver son chemin dans la multitude des voix de ce continent, voix qui ne sont pas forcément encadrées, voix que voudrait borner le convoi de la Littérature-Monde qui va faire escale à Brazzaville avec le Festival Etonnants Voyageurs, parti vendre son Afrique qui vient aux peuples de Brazzaville. Chiche !

Non ! on ne déplace de grands médias internationaux pour un spectacle qui ne correspond en rien à l’Afrique qui vient vraiment.
Non ! Ne livrons pas l’Afrique qui vient à des mauvais souvenirs qui ne sauraient ressurgir en nous avec des avatars aussi malencontreux que ceux que les meneurs de la Littérature-Monde voudraient nous imposer avec leur Afrique qui vient à eux !

Agir local pour bien émerger global

Miser local pour émerger global est une démarche plutôt respectueuse des différences et de leurs richesses. Il nous semble qu’il serait opportun à quiconque voulant marquer de son empreinte l’Histoire du monde de veiller sur ses racines et de les entretenir, comme pour garder les pieds sur terres, savoir d’où il vient, et réclamer, que dis-je, déclamer, haut et fort son identité avec une plume du feu de Dieu, comme sut bien le faire cet illustre martiniquais-là, le père de la négritude.

A ses dépens, peut-être, Alain Mabanckou a commencé à le comprendre, après plusieurs désillusions et moult impostures à lui-même, comme Pointe-Noire lui a concédé ses ‘‘lumières’’, en lui rappelant qu’il n’était pas en exil et que sa terre natale lui reste hospitalière même avec toutes ses imperfections. Mais ce sont les mêmes Lumières qu’il a du mal à partager avec ses confrères écrivains d’origine congolaise leur préférant les podiums, les paillettes et les médias du monde entier, pour sa gloriole. Faire déplacer une Radio française de renom pour des directs à Brazzaville pendant le Festival Etonnants Voyageurs n’a pas coûté plus chers que quelques billets d’avions que ce festival (avec son accord) auraient pu payer à quelques écrivains de plus à inviter à l’évènement pour que la fête fût vraiment à la hauteur des attentes ? De surcroit qu’il y en a qui ne cherchaient qu’une invitation (sans billet d’avion). Non, cette réalité hallucinante (et incroyable mais vraie) frise purement et simplement de la mauvaise foi !

A l’instar d’autres illustres de la plume, et au-delà des mots et des paillettes, Alain Mabanckou devrait, réellement, apprendre à agir vraiment pour l’honneur de sa terre d’origine.

« Qui imagine un Mongo Béti ou un Wole Soyinka, qui ont pourtant passé des décennies de leur vie dans leur « ancienne métropole », consacrer un livre de 180 pages à batailler avec le Français ou l’Anglais « de souche » pour le convaincre de sa stricte appartenance à la même patrie que lui ? Qui plus est, le « lectorat de raison » étant friand de ce genre de choses, il faut lui servir de longues considérations sur la « noirceur » des mœurs des « Noirs » pour capter son attention, avant de lui asséner qu’on garde la même distance vis-à-vis de ces gens-là que chaque lecteur métropolitain. », a pourfendu le Camerounais Raoul Nkuitchou Nkouatchet. Au Congo, on dit, en substance : « un morceau de bois, même s’il fait 100 ans dans un marigot, ne se transforme jamais en caïman ».

Nous persistons à croire que le feu des origines, le local, demeure à ce jour la conscience de la mondialisation, et la conscience reste la mesure de l’homme. Alors, une mondialisation sans conscience n’est que ruine de l’homme.

Et, J-J. Rousseau, l’a dit avant nous en d’autres termes :
« S’il y a des sociétés, c’est que le bien général veut qu’il y en ait (…). Enfin, si tout est bien comme il est, il est bon qu’il y ait des Lapons, des Esquimaux, des Algonquins, des Chicachas, des Caraïbes, qui se passent de notre police, des Hottentots qui s’en moquent, et un Genevois qui les approuve (…) Les hommes différents tellement selon les temps et les lieux qu’avec une pareille logique, on serait sujet à tirer du particulier à l’universel des conséquences contradictoires et fort peu concluants. Il ne faut qu’une erreur de géographie pour bouleverser toute cette prétendue doctrine qui déduit ce qui doit être de ce qu’on voit. » (in Deux lettres sur l’individu, la société et la vertu)

Pour ne pas conclure

Pour ne pas conclure, nous avons maintenant la certitude que la Littérature-Monde, c’est beaucoup de bruit pour rien, pire : de l’exhibition pour faire de l’ombre à l’écriture tout simplement et servir les intérêts de quelques-uns au détriment de tous. C’est pourquoi, nous sommes convaincus qu’elle ne va pas tarder à accoucher d’une autre souris, parce que son imposture va être dévoilée partout, au-delà de notre critique.

Toutefois, loin de nous l’esprit de triomphalisme, rampant plutôt du côté des nouveaux conquérants du monde, nous suggérons humblement aux tenants de ce manifeste pour une Littérature-monde en français qu’ils rebroussent chemin, pour qu’on remette tout à plat et qu’on reconsidère en agora le débat littéraire sous d’autres auspices et sur des vraies bases.

Nous appelons purement et simplement au boycott du l’ouvrage l’Afrique qui vient censé être publié à partir de cette étape Etonnants Voyageurs de Brazzaville, car, au-delà des mots, cet ouvrage a ignoré purement et simplement les vraies valeurs africaines.

Distribuer gratuitement ce livre pour débats serait la démarche judicieuse que pourrait suivre son éditeur, au cas où il tenait à cœur à ses auteurs de faire amende honorable.

Ecrivains du monde, réhabilitons le débat ! Ecrivains du monde, restez lucides ! Car, comme, on l’aurait dit Rousseau : « Vous philosophez trop bien pour prononcer là-dessus aussi légèrement que

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