Liberté de la presse en Afrique : entre censure, autocensure et résistances


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Liberté de la presse au Burkina Faso

Journalistes emprisonnés, médias fermés, autocensure rampante… En Afrique, la liberté de la presse reste un combat quotidien. Entre répression politique, dépendance économique et menaces sécuritaires, les journalistes font face à une pression multiforme. Pourtant, une génération engagée cherche à reconstruire des espaces d’expression plus libres.

Censure politique : quand les régimes verrouillent l’information

Dans de nombreux États africains, la censure demeure institutionnalisée, qu’elle soit brutale ou subtile. Certains gouvernements n’hésitent pas à suspendre des médias, expulser des journalistes étrangers ou incarcérer des reporters sous couvert de sécurité nationale.

L’assassinat du journaliste camerounais Martinez Zogo, après ses révélations sur des détournements de fonds publics, en est un exemple tragique. Il incarne les risques encourus par ceux qui enquêtent sur des sujets sensibles.

Marc-Alexis Roquejoffre, journaliste et fondateur de l’IFIC, observe une mutation des formes de censure : « Là où elle était autrefois frontale, elle devient aujourd’hui plus sophistiquée : pressions économiques, législations floues, blocages numériques… »

Le numérique, loin d’être un espace totalement libre, devient aussi un terrain de contrôle. Marc-Alexis cite l’exemple de l’Iran qui, en début de guerre avec Israël, a immédiatement coupé l’accès au numérique. La vraie tension vient du rapport au temps. « Beaucoup de régimes cherchent à maîtriser le récit national, à imposer une version unique de la réalité, une version calme, conciliante et parfaitement tranquille qui s’oppose au temps court du récit de l’actualité. Or, une presse libre remet cela en cause. », renchérit-il.

Autocensure : la pression invisible des dépendances économiques

Plus discrète que la censure d’État, l’autocensure ronge l’intégrité des rédactions. Souvent dictée par la précarité des journalistes ou la dépendance des médias à la publicité institutionnelle, elle pousse à éviter certains sujets jugés “sensibles”. Un journaliste nigérien résume : « On évite de critiquer le Maire sinon le journal n’aura plus la subvention. » Marc-Alexis Roquejoffre nuance : « L’indépendance, ce n’est pas l’isolement. C’est poser un cadre avec ses bailleurs : “Nous acceptons votre soutien, mais pas votre ingérence.” »

Au Bénin, la question sécuritaire devient particulièrement délicate. Un journaliste à Banouto témoigne : « Avec les mesures restrictives prises par les autorités sur le traitement des attaques terroristes, j’ai décidé de renoncer aux sujets de ce type. Un article de presse destiné à informer le public sur les incidents qui surviennent peut être interprété comme une attaque terrorist. »

Les règles strictes, comme l’obligation d’obtenir l’aval des autorités sécuritaires pour traiter de certaines questions, créent une forme de contrôle indirect : « On finit par ne rapporter que ce que les sources officielles veulent bien dire. »

Le journalisme africain sous pression : entre usure et renoncement stratégique

Parfois, l’autocensure ne relève pas d’une peur immédiate, mais d’un phénomène d’usure. « Les journalistes ne censurent pas toujours par peur directe. C’est souvent une stratégie de survie », confie Marc-Alexis Roquejoffre.
« Entre les pressions économiques, l’ambiguïté juridique, et les refus de réponse systématiques, certains sujets ne passent jamais la phase de validation éditoriale. »

Cette réalité est aggravée par le développement de lois floues, comme les codes du numérique, qui peuvent être utilisés pour criminaliser une publication sous prétexte de “harcèlement en ligne” ou de “désinformation”.

Former pour résister : éthique, outils et esprit critique

Face à ces multiples formes de pression, la formation des journalistes apparaît comme un levier stratégique pour préserver la liberté d’informer.
« Informer librement, ce n’est pas nier les contraintes, c’est apprendre à les identifier et à les contourner sans trahir sa mission », insiste Marc-Alexis.

Des écoles de journalisme comme l’ESJ Abidjan ou l’E-jicom à Dakar œuvrent pour former des professionnels plus résilients. L’IFIC (Institut de Formation à l’Information et à la Communication), notamment, propose une formation cross-media axée sur :
* la production de contenus numériques,
* les podcasts et formats mobiles,
* le journalisme de solution,
* l’analyse critique des récits dominants.

Ces programmes intègrent également une expérience de terrain dans des pays comme le Bénin ou la Côte d’Ivoire, afin de confronter les étudiants à la réalité des tensions démocratiques.

« La formation est un acte de résistance. Elle permet de créer des journalistes capables d’évoluer dans des contextes instables, tout en gardant une éthique professionnelle forte. »
La liberté de la presse en Afrique ne se mesure pas uniquement au nombre de journalistes incarcérés. Elle se lit aussi dans les sujets abandonnés, les angles écartés, les enquêtes jamais publiées.

Face à la censure politique et à l’autocensure économique, former une nouvelle génération de journalistes rigoureux, lucides et engagés est une urgence démocratique.

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Sidoine observe, écoute et raconte l’Afrique telle qu’elle se vit au quotidien. Sur Afrik.com, il mêle récits, portraits et analyses pour donner chair aux événements et aux débats qui animent le continent
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