Les yeux dans les yeux de l’Ethiopie


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Le Français Jean-Luc Viardin a photographié, au gré de trois mois d’un lent voyage, des centaines d’Ethiopiens villageois, nomades ou citadins. Bientôt réunie dans un livre, son oeuvre éclate d’un humanisme à la force irrésistible, loin des clichés d’une Ethiopie qui serait à la dérive.

Les travaux des champs avec une araire antédiluvienne… un vendeur ambulant, ses bâts et autres harnachements… un milicien sonnant le cor… des cheminots désignant leur locomotive aussi vaillante que cabossée, parce que les vaches se poussent mais pas les chameaux… des tentes toucoul toutes différentes, et toutes assemblées par les femmes Afar selon le même procédé… des musulmans, des chrétiens, des animistes… des armes, partout, encore et toujours : la  » kalash  » pour protéger le bétail, tuer un  » ennemi  » de rencontre ou, le plus souvent, épater la galerie… Toute l’Ethiopie campagnarde a défilé sous l’objectif ami de Jean-Luc Viardin.

Défilé n’est pas le mot : l’Ethiopie a participé, de tout coeur, au travail de restitution de sa propre image à laquelle le photographe français l’a conviée.

Jean-Luc Viardin travaille habituellement à Paris. Il réalise des reportages publicitaires pour le compte des plus grandes marques du luxe à la française. En dépit de sa curiosité des hommes et des cultures, c’est presque par hasard qu’il en est venu à arpenter, trois mois durant, les mauvais sentiers de l’Ethiopie avec 180 kilos de matériel, une assistante et un accompagnateur –  » un copain français doué d’un flair surdéveloppé pour distinguer les gentils des méchants. Il a été mon assurance – vie « . Les hommes, Jean-Luc Viardin les connaît bien aussi. Pourtant, c’est pour saisir des paysages qu’il est allé une première fois déployer sa chambre photographique dans le désert.

Chaque modèle emporte sa photo

C’était dans le Sinaï, au coeur d’un climat rude, dépaysant au possible par rapport à la quiétude des confortables studios parisiens. Pour aller plus loin, il n’était pas besoin de faire plus de kilomètres : la nouvelle frontière était humaine.

Au mercato d’Addis, dans les highlands du Nord dont les sommets s’élèvent à plus de 4 000 mètres, dans les savanes du territoire des Afars, des hommes et des femmes incroyablement divers se sont prêtés à l’exercice que leur proposait Jean-Luc à sa façon simple et directe :  » Quand nous arrivions dans un village ou un campement, nous commencions par demander l’autorisation de rester un peu. Puis nous déchargions le matériel et l’installions au centre. Les gens venaient petit à petit. Ceux qui le voulaient étaient photographiés, souvent avec un objet ou un attribut qui leur était cher. Ensuite, je donnais au modèle une épreuve polaroïd de son portrait. Nous restions trois ou quatre jours sur chaque site. Pas plus, pour ne pas perdre la spontanéité de la rencontre. « 

Jean-Luc se souvient d’un temps, lointain, où il a voyagé en touriste :  » Combien de fois j’ai, comme tous les Occidentaux, promis à des gens de leur envoyer la photo que je prenais d’eux, avant d’oublier à mon retour chez moi… «  Cruel oubli, face à des peuples privés de leur représentation :  » Souvent dans les villages, la première chose que font les enfants, c’est de se regarder dans les rétroviseurs des voitures de passage. « 

Un pont entre deux mondes

La relation qui se noue entre le photographe et ses modèles – parfois nombreux sur une même image – est un échange équitable. En offrant ses photos à des centaines d’Ethiopiens, Jean-Luc s’est constitué une oeuvre d’une force considérable, une oeuvre à lire sans mots qui exprime sa foi passionnée dans le destin de ces peuples d’Ethiopie. Dans les regards raisonnables de ses paysannes adolescentes, par exemple, surgit la résignation de leur condition de trop jeunes promises, mais aussi l’espoir du changement.

Les sourires adressés à Jean-Luc sont des ponts jetés entre deux mondes qui ne pourront plus s’ignorer longtemps. En les fixant, on comprend aussi que la terre natale de l’humanité n’est pas la vallée de larmes qu’on décrit vite, trop vite en Occident.

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