Les relations sexuelles entre générations remises en cause en Ouganda


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Dans la plupart des régions de l’Ouganda, comme dans de nombreuses autres parties du monde, il est courant qu’un homme soit plus âgé que sa partenaire ou son épouse. En conséquence, en menant une campagne de lutte contre les relations sexuelles entre personnes de générations différentes, Population Services International (PSI), une organisation non gouvernementale (ONG) spécialisée dans le marketing social, a ouvert la voie à un débat animé.

« Selon les normes sociales [ougandaises], les hommes âgés se marient avec des femmes plus jeunes. Cependant, PSI remet ces normes en question, sauf s’il s’agit d’un mariage légalement reconnu », a déclaré Julius Lukwago, directeur des communications auprès de PSI-Ouganda.

Dans le cadre de sa campagne, PSI a défini les relations sexuelles entre personnes de générations différentes comme étant des relations sexuelles hors mariage entre un homme et une femme ayant une différence d’âge d’au moins 10 ans.

Pour mener à bien sa campagne, l’ONG PSI est présente sur les ondes de la radio, à la télévision et sur les panneaux publicitaires. Elle a même créé des clubs pour les jeunes étudiantes, les « Go Getters » (« Les battantes »). L’objectif de cette campagne est de réduire le nombre de nouvelles infections à VIH chez les jeunes femmes vulnérables.

En effet, le taux de prévalence du VIH chez les jeunes femmes âgées entre 15 et 24 ans est quatre fois supérieur à celui enregistré chez les hommes du même âge. Parmi les hommes ougandais, ce sont ceux qui appartiennent à la tranche d’âge des 35-44 ans qui sont les plus vulnérables au virus. C’est également cette tranche d’âge qui compte le plus de « papas gâteaux ».

Selon les résultats d’une étude menée en 2003 par l’Université John Hopkins, basée aux Etats-Unis, la différence d’âge entre les jeunes femmes et leurs partenaires sexuels serait un important facteur de contamination.

Toujours selon cette étude, si l’on enregistre un taux de prévalence du VIH aussi élevé chez les jeunes femmes, c’est à cause, du moins en partie, des relations sexuelles qu’elles ont avec des partenaires plus âgés.

Cependant, aux yeux de beaucoup d’Ougandais, la campagne de PSI dénonce des relations « normales ». En effet, une différence d’âge de 10 années au sein d’un couple est un phénomène courant dans ce pays de l’Afrique de l’Est.

« Sur certaines affiches, l’homme semble avoir une trentaine d’années et la fille a l’air d’être une étudiante, c’est une situation courante », a estimé Denis Jjuuko, qui gère Prime Time, une entreprise locale de relations publiques.

Denis Jjuuko a rappelé que la tradition veut que les hommes subviennent aux besoins de leur femme ou partenaire.

En outre, la dynamique économique qui accompagne le phénomène des papas gâteaux est profondément ancrée dans les normes de la société, a-t-il poursuivi.

« [PSI] doit s’attaquer aux causes du phénomène des papas gâteaux, c’est-à-dire au marasme économique et à la pauvreté », a-t-il dit.

Patricia Wamala, de l’ONG Straight Talk Foundation qui s’intéresse aux jeunes et à la santé de la reproduction, est l’un des partenaires de PSI pour cette campagne. Selon Mme Wamala, l’initiative lancée par PSI porte davantage sur la dynamique du pouvoir au sein d’une relation sexuelle entre personnes de générations différentes que sur la différence d’âge.

« Les hommes exercent une pression sur les filles pour que ces dernières acceptent d’avoir des rapports sexuels avec eux, souvent non protégés, et leur proposent en échange de leur verser de l’argent et de leur payer leurs frais de scolarité. Ce n’est pas tant la différence d’âge qui constitue un problème, mais cette pression », a-t-elle déploré. « Néanmoins, une jeune adolescente de 15 ans n’est pas en mesure de faire des choix raisonnés lorsqu’il est question de sexualité. »

Straight Talk Foundation a élargi la campagne aux écoles secondaires, s’adresse aux élèves les plus âgées et forme des animateurs qui, à leur tour, sensibilisent les élèves à la notion de carrière, à la sexualité et à l’établissement d’objectifs.

Modifier le regard de la société

Julius Lukwago de PSI a reconnu qu’il était facile de s’adresser aux jeunes filles, en menant des programmes dans les écoles, mais qu’il était en revanche beaucoup plus difficile d’atteindre les papas gâteaux.

« C’est un défi car ces hommes âgés sont difficiles à identifier », a-t-il expliqué.

Cependant, « durant nos discussions avec les papas gâteaux, nous avons noté que ce qui les faisait le plus réagir, c’était l’idée selon laquelle leurs propres filles pouvaient entretenir des relations similaires », a-t-il dit. « En conséquence, sur les ondes de la radio et à la télévision, nous insistons sur le fait qu’un autre homme peut être le papa gâteau de leur fille. »

Les jeunes femmes doivent avoir une meilleure estime et une plus grande confiance en elles afin de résister aux avances faites par les hommes plus âgés. Ainsi, pour sa campagne, PSI a fait appel à des entreprises qui proposent des stages aux membres des clubs « Go Getters ».

« Nous offrons la possibilité à ces filles de travailler pour des entreprises comme Coca Cola, Total et la banque Stanbic. Ainsi, elles peuvent se familiariser avec le monde du travail et développer un appétit pour ce genre de revenus plutôt que pour l’argent versé par les papas gâteaux », a dit Julius Lukwago.

En outre, PSI encourage les parents et les adolescents à parler ouvertement de la sexualité, un sujet traditionnellement tabou dans la plupart des cultures ougandaises, afin de créer des réseaux de soutien pour les jeunes.

« J’ai déjà proposé des stages à des étudiants, mais ces derniers dénigraient les petits métiers, comme ceux offerts dans la restauration », a-t-il souligné. « Ils ont besoin d’être encouragés à gagner leur propre revenu, ils doivent apprendre à commencer au bas de l’échelle et à gravir les échelons ».

David Kasasa, le doyen des étudiants de l’Université Nkumba en Ouganda, a reconnu que les filles étaient attirées par les choses matérielles et que c’était pour cette raison qu’elles acceptaient d’entretenir des relations avec des hommes plus âgés. Les relations sexuelles entre personnes de générations différentes sont très répandues à l’université.

« Elles veulent vivre au-dessus de leurs moyens, elles veulent avoir un téléphone portable, des vêtements, une belle coiffure, mais elles n’ont pas l’argent nécessaire », a-t-il dit.
« Les clubs ‘Go Getters’ sont une bonne initiative, car les filles se rendent comptent qu’elles peuvent s’offrir elles-mêmes ces choses, qu’elles n’ont plus besoin d’un homme pour cela ».

David Kasasa a déclaré que de plus en plus d’étudiantes assistaient aux réunions bimensuelles du club « Go Getters » de son université, depuis le lancement de la campagne.

Selon Susan Kaneche (un nom d’emprunt), étudiante en deuxième année d’administration publique à l’Université chrétienne ougandaise, la campagne portera ses fruits et les étudiantes réfléchiront aux conséquences de leurs actes.

« A la télévision, vous voyez cet homme, puis vous apprenez qu’il est séropositif, vous avez peur qu’il vous contamine si vous avez une relation avec lui », a-t-elle confié. « Cela vous fait regarder au-delà du beau téléphone et des vêtements qu’il peut vous offrir ».

Photo: PSI / « Tu peux vouloir le télephone, les repas à l’extérieur, les vêtements originaux… mais as-tu besoin du VIH? », demande une des affiches de la campagne de lutte contre les relations sexuelles intergénérationnelles

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