« Les Prédateurs »: la vraie fausse histoire d’Elf


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Plus de dix ans de la vie de la multinationale pétrolière Elf, étroitement imbriquée à la vie politique française, portée sur les écrans de la télévision. Les Prédateurs, fiction en deux volets dont la première partie est diffusée ce lundi sur la chaîne cryptée française Canal +, revient sur « l’affaire Elf », reflet d’un système où dirigeants français et africains s’allient pour piller les richesses des pays d’Afrique. Un thriller factuel et didactique au coeur de la « Françafrique » réalisé par Lucas Belvaux et servi par un casting exceptionnel.

« Pour la majorité des Français, l’affaire Elf se résume à une paire de chaussures offerte à Roland Dumas par sa maîtresse d’alors, Christine Deviers-Joncour. Mais l’affaire Elf, c’est surtout le pillage des ressources africaines. C’est l’un des axes les plus importants de cette affaire et c’est celui que nous avons choisi de privilégier », explique Lucas Belvaux, le réalisateur du téléfilm Les Prédateurs. La fiction en deux parties, dont le premier volet est diffusé ce lundi, met en images le plus important scandale politico-financier de cette décennie dans l’Hexagone.

Tout commence en 1988. Loïk Le Floch-Prigent, véritablement incarné par Aladin Reibel tant la ressemblance physique est frappante, ancien président-directeur général de la firme pharmaceutique Rhône-Poulenc, veut à tout prix devenir le patron d’Elf Aquitaine. Et bientôt « un roi du pétrole ». Bien que favorable à sa candidature, le président François Mitterrand doit prendre en compte les voix qui s’élèvent contre sa nomination éventuelle. Intervient alors Alfred Sirven que Le Floch-Prigent a recruté lors de son passage à la tête du groupe pharmaceutique français. Il fera du lobbyng auprès de Roland Dumas par le biais de sa maîtresse d’alors pour que ce proche de Mitterrand appuie la candidature de Loïk Le Floch-Prigent. Ce dernier est finalement nommé à la tête du groupe en 1989.

Le Floch-Prigent n’invente rien, mais innove

L’entreprise se trouve déjà de plain-pied dans un système où le gouvernement français corrompt à tout va les responsables des pays africains complices, notamment le Congo et le Gabon, pour préserver ses gisements africains. Si Loïk Le Floch-Prigent n’a pas inventé la « Françafrique « et les « les frais de préconnaissance, les abonnements et les préfinancements », autant de pots-de-vins qui ne disent pas leur nom, il en devient l’un des plus zélés serviteurs. Le PDG d’Elf forme avec Alfred Sirven, interprété par un Philippe Nahon cynique à souhait, le nouveau « directeur aux affaires générales » et André Tarallo (Claude Brasseur), le « monsieur Afrique» de la firme, un trio infernal qui participe en 1991 et 1997 à deux coups d’Etat au Congo.

Les Prédateurs, ce sont les excès d’un homme capricieux et lâche aussi bien dans sa vie professionnelle que privée qui a fait d’Elf sa vache à lait. Loïk Le Floch-Prigent n’est jamais en manque d’idées pour dépenser l’argent qu’il gagne sur le dos de la multinationale et que Sirven redistribue aux partis politiques français toutes tendances confondues. Les Prédateurs, c’est aussi toutes les concessions que l’exécutif français est prêt à faire pour obtenir les faveurs d’Omar Bongo (Pascal N’Zonzi), le président gabonais, ou de son homologue congolais, selon les époques Pascal Lissouba (Alex Descas) ou Denis Sassou-Nguesso. Un pouvoir qui s’utilise moins pour développer que piller sans vergogne la manne pétrolière au détriment des citoyens. Cette relation particulière entre la France et ses fournisseurs de pétrole donnerait presque les clés du déplacement controversé du président Nicolas Sarkozy au Gabon pour son premier voyage officiel en Afrique.

Réalité ou fiction : l’affaire Elf captive toujours autant

En 1993, l’arrivée d’Edouard Balladur à la Primature française chasse Loïk Le Floch-Prigent de la présidence d’Elf.
Le pseudo-soutien de Jacques Chirac qui accède au pouvoir en 1995, n’y changera rien. Il est remplacé par Philippe Jaffré qui souhaite se désolidariser de la gestion de son prédécesseur en portant plainte contre lui alors qu’un dossier vient d’être ouvert sur les pratiques financières de la multinationale. L’affaire est confiée à la juge Eva Joly, un rôle taillé sur mesure pour l’excellente Nicole Garcia. Le procès n’aura lieu que dix ans plus tard, en 2003, après de multiples auditions, interpellations et mises en détention préventive. Alain Sirven, qui s’est enfui pendant l’enquête judiciaire, sera appréhendé en 2001 et témoignera lors du procès.

La réalisation de Lucas Belvaux s’articule autour de faits et d’images d’archives pour entraîner le téléspectateur au cœur d’une affaire développée de façon chronologique. Ambition affichée : être au plus près de la réalité. « Le scénario du film a été écrit à partir des minutes du procès et d’informations avérées et recoupées », précise Lucas Belvaux. Certaines scènes remplissent d’ailleurs fort bien leur mission didactique. Comme cet entretien imaginaire entre Tarallo et Le Flock-Prigent, le premier expliquant au second le fonctionnement de la multinationale dont il vient de prendre les rênes. « Même quand on a suivi l’affaire Elf, il est facile de se perdre dans le déroulement d’une affaire qui s’étale sur 10 ans. Ce qui est intéressant ici, c’est l’effet de synthèse. J’ai l’impression d’être allé à l’essentiel, au cœur de la « Françafrique », poursuit le réalisateur ». Le pari est osé d’autant que certains des protagonistes, dont l’implication dans l’affaire Elf a été mise à jour, ont déjà tenté des procès pour diffamation.

Les arcanes du pouvoir mis à nu

Les Prédateurs, en dépit de son parti-pris, parvient à rester captivant de bout en bout, un thriller rondement mené qui bénéfice d’une pléiade d’acteurs qui dépeignent avec justesse des personnages dont la dimension dramatique intrinsèque se prête au récit cinématographique. « Je me suis appuyé sur un scénario bien écrit, le récit d’une affaire qui est en elle-même un thriller, remarque Lucas Belvaux. Il y a d’abord le coup et ensuite l’enquête judiciaire. La tension vient essentiellement des relations entre les personnages qui ont dans le temps des intérêts antagonistes.»

Au total, environ quatre heures de révélations, d’indignations, de rire qu’on ne pouvait voir que sur une chaîne privée tant le sujet est délicat, mais surtout de révolte face à un système qui bien que, maintes fois dénoncé, perdure. Aussi bien en France, que sur le continent africain. La géopolitique et les intérêts économiques semblent suffire à justifier les pires agissements. Provoquer des guerres civiles et le massacre de milliers d’Africains des tours de la Défense, où se niche le siège de la compagnie Elf, ne semble émouvoir personne. Sauf peut-être le spectateur.

Les Prédateurs, téléfilm en deux parties, 2×110 min réalisé par Lucas Belvaux

avec Aladin Reibel, Philippe Nahon, Nicole Garcia, Claude Brasseur

Lundi 15 et 22 octobre à 20h50 sur Canal +

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