Les Ivoiriens se prononcent sur la crise


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Il y a deux présidents en Côte d’Ivoire. Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara ont prêté tous deux serment samedi, à Abidjan, devant le conseil constitutionnel. L’un de vive voix, l’autre par écrit, puis ils ont nommé chacun leur premier ministre. Dans ce remue-ménage post-électoral, l’avis de la population, qui s’est exprimée le 28 novembre dans les urnes, ne semble plus préoccuper les politiques. Afrik.com est allé à sa rencontre dans la capitale, Abidjan.

« C’est reparti, on n’est vraiment pas prêt de sortir de l’auberge !» Ce constat, partagé par nombre d’Ivoiriens, est celui d’Alain Gnawa, un pâtissier de 31 ans qui vit à Abidjan. Il ne croit plus à une paix durable et à la stabilité en Côte d’Ivoire. « Vous imaginez, nous confie-t-il, j’ai eu mon baccalauréat en juin 2000, et ce diplôme qui devait m’ouvrir les voies d’un emploi stable a plutôt coïncidé, deux années après mon entrée à l’université, avec une crise. » Il fait un grand geste dans le vide, marquant sa lassitude, avant d’ajouter : « Dix ans de ma vie… partis en fumé ». Heureusement Alain a su retomber sur ses jambes et se trouver une âme de pâtissier, il arrive a gagner sa pitance quotidienne. Mais avec cette situation tendue et le couvre-feu, il fait à peine la moitié de ses recettes habituelles.

Nombreux sont ceux qui, comme lui, ne sortent plus ou ne se risquent plus loin de chez eux. Mlle Assoumou, une jeune cadre de 29 ans, n’a pas regagné son bureau depuis cinq jours. Lorsqu’on lui demande pourquoi, sa réponse fuse : « Mais quelle question ! Vous ne voyez pas la situation ? Je n’ai pas peur de faire ce que j’ai envie de faire dans mon pays, mais je reste chez moi à cause de la tension entre les militants Rhdp et Lmp [qui soutiennent respectivement Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo, ndlr]. Nul ne sait à quel moment les pneus vont s’embraser et les gens mourir. » Elle marque une pause, puis reprend son explication. « La dernière fois que je suis sortie de chez moi, nous raconte-t-elle, c’était pour assister à un mariage. J’ai vu en chemin des militants du Rdr qui manifestaient leur mécontentement contre l’investiture du président Gbagbo en brûlant des pneus à l’avenue 8, à Treichville… On a dû rester longtemps dans la circulation pour passer le contrôle des forces de défense et de sécurité (fds). Donc je préfère rester chez moi. Quand le calme reviendra, j’y crois d’ailleurs, on pourra être plus libre de nos mouvements. »

Gbagbo ou Ouattara ?

Pour Aloïs B. entrepreneur vivant à Yopougon, au quartier Maroc, « la situation est préoccupante parce que ces élections devaient nous sortir de 11 ans de crise. Mais vue la manière dont on s’en sort, on est plutôt en train de s’enfoncer dans la crise. ». Pour Aloïs B, qui se déclare neutre et d’aucune appartenance politique, « il n’y a pas deux présidents parce qu’on a un président qu’on voit, qui a accès aux médias publics ivoiriens, qui peut s’adresser au peuple et on a un autre que personne ne voit. » Selon l’entrepreneur, le président est celui qui « a décrété un couvre-feu depuis une semaine et que les Ivoiriens dans leur grande majorité respectent. Jusqu’à preuve du contraire, c’est Gbagbo qu’on voit. » Le différend entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara demeure surmontable. « Je pense qu’en politique tout est possible… il y aura forcément un terrain d’entente ; ils y arriveront j’en suis sûr », estime-t-il.

Pour Y. Kambou, représentant fédéral Lmp, il n’y a pas débat. La victoire de Laurent Gbagbo est nette et définitive. « Il n’y a aucun problème en Côte d’Ivoire, d’autant plus que ce pays comme tout autre a ses lois. La loi est assez claire au sujet de la proclamation des résultats pour ce qui concerne la présidentielle en Côte d’Ivoire. J’imagine mal un scénario Alassane Président, après que le Conseil constitutionnel a décidé le contraire. » Pour le membre du parti de Laurent Gbagbo, « il faut que chaque Ivoiriens sache, et Alassane en particulier, que s’il veut être président il faut qu’il apprenne à respecter les institutions de ce pays dont la plus haute est la présidence qu’il convoite. Nous ne sommes pas dans un pays où les lois et textes ont été régis par la communauté internationale ! Non ce sont les Ivoiriens qui en ont décidé ensemble, c’est a eux seuls d’en juger les insuffisances ».

Les partisans d’Alassane Ouattara que nous avons rencontrés a Yopougon, au quartier Wassakara, ne sont, bien sûr, pas de cet avis. Parmi eux, Doumbia Youssouf, originaire du nord de la Côte d’Ivoire par son père et bété par sa mère. « Ma décision de militer au sein du Rdr, nous explique-t-il, a été prise depuis quelques années déjà lorsque j’ai été victime d’une rafle alors que j’avais mes papiers au complet. Les forces de l’ordre qui m’ont arrêté ont dit que mes papiers étaient faux et que je n’étais pas Ivoirien. J’ai du parler le bété, l’ethnie du président de la République, pour qu’on me relâche. Depuis ce jour j’ai compris le combat du Rdr. Et c’est encore ce même mépris qui s’est caractérisé dans la décision du Conseil constitutionnel d’écarter tout nordiste du pouvoir précisément Ado [Alassane Dramane Ouattara, ndlr]. Pour lui, la page Gbagbo doit être tournée : « J’encourage la communauté internationale à mener sa mission jusqu’au bout pour qu’une fois pour toute le discours sur l’ivoirité se taise à jamais et que triomphe la justice et la vérité. »

C’est dans une atmosphère de méfiance et de grande tension que les Ivoiriens vivent l’après scrutin, chacun se demandant qui de Laurent Gbago ou d’Alassane Ouattara présidera effectivement à la destinée de la Côte d’Ivoire durant les cinq prochaines années.

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