Les hôteliers nigériens enragent après les Jeux de la Francophonie


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Les hôteliers nigériens n’ont toujours pas compris ce qui leur est arrivé. Le gouvernement nigérien leur avait demandé depuis trois ans d’être prêts pour les Jeux de la Francophonie, mais lorsque l’événement a débuté, en décembre dernier, certains des hôtels flambants neufs, rénovés ou construits avec l’aide fiscale de l’Etat, sont restés vides. Les professionnels de l’hôtellerie réclament aujourd’hui un rééchelonnement de leur dette.

« Je crois que de tous les hôteliers, j’ai été le dindon de la farce », se plaint Hamidou Moussi, patron de l’hôtel Nikki, à Niamey. Lui et ses collègues de la capitale nigérienne en ont gros sur le coeur. Plus souvent aux devants de l’actualité pour sa pauvreté et la malnutrition chronique qui le mine, le Niger ne voulait pas rater ses Jeux de la Francophonie. Alors dès 2003, les autorités ont demandé aux hôteliers de préparer l’événement en améliorant leurs structures d’accueil. Avec les aides fiscales de l’Etat, des entrepreneurs ont fait pousser de petites pensions d’une vingtaine de chambres et les patrons d’hôtels ont rénové leurs établissements. Mais lorsque la fête a commencé, le 7 décembre dernier, pour dix jours, personne n’est venu. Ou alors si peu.

« Le comité national d’organisation des Jeux de la Francophonie (CNJF) a réservé toutes mes chambres, il a confirmé par écrit, demandé 150 couverts par jours – cinquante le matin, le midi et le soir – du 3 au 19 décembre. J’ai acheté la nourriture, j’ai bloqué les chambres et même refusé quatre fois à Alphadi de loger ses invités du Fima (Festival international de la mode africaine, du 29 novembre au 3 décembre). Mais ils n’ont envoyé personne », poursuit Hamidou Moussi, dont la pension compte quatorze couchages. Comme lui, de nombreux hôteliers auprès desquels le CNJF avait réservé des chambres se sont retrouvés avec des établissements vides ou à moitié remplis, avec de la chance.

Aides fiscales à la rénovation

« J’hésitais encore à faire des bureaux de ma maison, raconte encore le directeur du Nikki. Mais ce sont des agents de la Francophonie qui sont passés et qui m’ont eux-mêmes donné l’idée d’en faire un hôtel ». Leurs arguments étaient de poids et l’entrepreneur nigérien n’est pas le seul à avoir construit juste avant les Jeux de la Francophonie, en juillet 2005 dans son cas, afin de profiter des aides fiscales accordées par les autorités. « Après une demande en novembre 2004 de l’Association nationale des professionnels du tourisme (ANPTH), l’Etat a consenti à une exemption « de taxes et de droits de douane pour tous les matériaux de construction ou matériels d’hôtellerie importés, la TVA étant de 19% et les droits de douane oscillant entre 45 et 80% », explique Robert Oreja, directeur de l’hôtel Terminus et président de l’ANPTH.

« Les gros investisseurs ont également été exonérés d’impôts fonciers et de patente pour une durée de trois ans, » ajoute-t-il. Des aides qui n’ont pas évité aux hôteliers de s’endetter auprès de banques pour contracter des crédits. « Le plus intéressant était celui de la Banque européenne pour l’investissement (BEI), déjà à 11% et remboursable à moyen terme, c’est-à-dire au maximum sept ans », se souvient Robert Oreja.

« Un budget sans cesse revu à la baisse »

Aujourd’hui, le ministère du Tourisme a écrit aux banques qui ont accordé des crédits pour leur demander de différer leurs remboursements. « Ils ont promis d’étudier les dossiers au cas par cas », explique Ibrahim Boubacar, directeur de l’aménagement touristique au ministère du Tourisme. Hamidou Moussi se souvient que dès le moment où la présidence a été mise au courant de l’absence de clients dans les hôtels, des agents ont été envoyés tous les jours pour vérifier que les chambres réservées par le CNJF étaient effectivement vides. Mais il ne sait toujours pas ce qui s’est passé. « Selon la rumeur, des clients auraient été amenés vers des villas privées, rapporte-t-il. J’ai même croisé le chef de la délégation togolaise, qui devait loger à mon hôtel… »

L’organisation de la Francophonie était injoignable mercredi, mais selon Ibrahim Boubacar, le problème « est que toutes les délégations ne sont pas venues. Et celles qui sont venues étaient moins fournies que prévu. D’autre part, il semble que les finances n’aient pas suivies, poursuit-il. Ni l’apport extérieur ni l’apport nigérien, qui constituaient le budget, ne correspondaient à ce qui avait été annoncé. Ainsi, près de 170 arbitres et accompagnateurs qui devaient être logés en hôtels par le CNJF se sont retrouvés dans le village de la Francophonie. Ce qui a représenté un manque à gagner pour les hôtels ».

Vers un tourisme de Congrès

Un manque vite calculé pour cet hôtelier qui souhaite garder l’anonymat : « ils ont payé 200 euros pour quinze jours, nourris et logés au village», enrage-t-il. Son hypothèse : le budget a été grevée lorsque le luxueux hôtel Gaweye a été réquisitionné pour les chefs d’Etats. Mais cette réquisition était prévue de longue date, répond Ibrahim Boubacar, qui regrette qu’une infime partie de « la quarantaine » de chefs d’Etats annoncés soit finalement venue.

Autre hypothèse, pour ce même hôtelier anonyme heureux d’avoir pu accueillir une trentaine de personnes : l’augmentation du prix. Il explique avoir lui-même augmenté ses tarifs de 5 000 FCFA (7,6 euros) pour amortir le coût des travaux d’extension de son établissement à cinquante couchages. « Mais d’autres sont passés de 35 à 70 000 FCFA (53 à 106 euros) et se sont retrouvés vides », explique-t-il. A l’hôtel Nikki, le prix des chambres, qui oscillait avant les Jeux entre 33 et 48 000 FCFA, selon leur standing, est passé de 50 à 75 000 FCFA. Hamidou Moussi estime même que ses collègues font du « dumping social » en offrant des services facturés moins chers que les siens.

Aujourd’hui, Robert Oreja aimerait que son pays « soit moins frileux. Le Niger a comme un complexe mais nous avons prouvé que nous pouvons organiser des événements », estime le président de l’ANPTH. Ibrahim Boubacar abonde dans son sens : « Nous voulons mettre un plan marketing en place, contacter tous les ministères pour leur dire que les infrastructures sont là et aller vers un tourisme de congrès ».

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