Les Gharbawas du Maroc : une cérémonie-spectacle pour se rafraîchir les os


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Drapeau du Maroc
Drapeau du Maroc

Le Festival de l’Imaginaire, organisé par la Maison des Cultures du Monde de Paris, présente les 23, 24 et 25 juin prochains, au Théâtre Equestre Zingaro d’Aubervilliers, une veillée hors du temps. Dirigées par la confrérie soufi des Gharbawas, de l’Ouest du Maroc, ces trois nuits alterneront transes, lamentations chantées et jeux animaliers. Les personnes trop émotives en profiteront, ces soirs-là, pour se faire un plateau-télé…

Le rituel présenté dans le cadre de ce festival n’est pas vraiment un spectacle. Cette veillée – ou lila, de l’arabe leila qui signifie « la nuit » – est d’habitude organisée au Maroc chez des particuliers, à leur demande, en différentes occasions de la vie. Un parent malade, un mariage, un examen réussi, une naissance ou une circoncision peuvent y donner lieu. Une lila est une occasion de danser, de se purifier, de pleurer, de rire, de se soigner, de redonner de l’énergie. Une expression populaire parle de « se rafraîchir les os ».

La veillée présentée à Aubervilliers regroupera sur scène quarante personnes. Seuls les trois musiciens du groupe sont des professionnels du spectacle. Le reste de la formation est essentiellement composé de fidèles appartenant à la confrérie soufi des Gharbawas. Ils vivent au Maroc, dans des villages à l’extérieur des grandes villes.

Le rituel, qui comporte plusieurs phases, commence toujours par des chants et des pleurs à la mémoire des disparus (le tahlil). Il se poursuit par une danse initiatique (le tejrid), des parades d’animaux où des lions et des chameaux se rencontrent en un ballet inattendu, et un cantique de guérison et d’unicité (le hizb). Ils s’acheminent vers les transes à travers de chants rythmés (le tesdir), puis des danses profanes de divertissement où se mêlent, à la fin, offrandes, voeux et bouffonneries. Ici, la musique et la danse sont des voies spirituelles, des modes d’expérimentation de la rencontre avec Dieu. Le recueillement et la bonne humeur se combinent en vue de recevoir et de faire circuler la baraka, que l’on pourrait traduire de façon simplifiée par « bénédiction ».

Avec le temps, les cérémonies perdent leur raison d’être

L’origine de ces cérémonies est mal connue, comme l’explique Chérif Khaznadar, Directeur de la Maison des Cultures du Monde : « Ces cérémonies seraient nées à la mort de Sidi Mohamed ben Aïssa, dit Cheikh el Kamel, fondateur au XVe siècle à Meknes de la confrérie des Aissawas. Les Gharbawas, qui sont en fait des Aissawas vivant dans le Gharb, région rurale de l’Ouest du Maroc qui leur a donné leur nom, ont maintenu le rituel originel. Les confréries de la ville, elles, se sont policées et en ont gommé certains éléments tels que les jeux animaliers, ou le partage d’un veau ou d’un agneau en fin de cérémonie. Quant aux transes, elles ne sont plus pratiquées avec la même intensité« .

L’urbanisation a ainsi encouragé un éloignement de la tradition : « Certaines confréries ont muté jusqu’à devenir des orchestres de spectacle professionnels. C’est l’ultime phase d’une évolution où ces cérémonies deviennent des spectacles et perdent leur raison d’être. »

Les croyances liées à ce rituel ne sont pas non plus tout à fait élucidées. « Etant né dans une zone géographique d’échanges et de circulation, on sait qu’il a subi les influences de traditions arabo-musulmanes, berbères et d’Afrique Noire », explique Chérif Khaznadar. « Mais on ne retrouve les jeux animalier dans aucun autre rituel de tendance soufi. On peut penser qu’il s’agit là de restes de rituels chamanistes. On ignore tout autant pourquoi les spectateurs doivent absolument s’abstenir de se vêtir de couleur sombre ou noire ». Peut être parce que ces lila, commencées après la dernière prière du soir et terminées à l’aube, symbolisent le passage de l’obscurité à la lumière ?

Par Nathalie Bentolila

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