Les Francofolies de La Réunion : toutes les musiques, mais avant tout le nouveau Maloya !


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Le Festival Francofolies de La Réunion, qui se tenait à St Pierre, dans le sud de l’île, du Vendredi 8 au Dimanche 10 mars 2019, a réuni quelque 20.000 spectateurs enthousiastes, et de tous âges : de 2 à 92 ans d’après nos observations ! Pop, électro, jazz, folk, ou chanson française : les styles les plus divers de musique, pour un éventail très large de public ! Mais, pour ouvrir chaque soirée, et au sein même de la programmation, avant tout du Maloya, qui est la musique traditionnelle réunionnaise, et qui est en pleine explosion créatrice depuis quelques années !

Les Francofolies ont animé pendant 3 soirées la ville de St Pierre, dans le Sud de La Réunion, sur le grand terrain de la Ravine Blanche, en bordure de la mer, soleil couchant premier spectacle de chaque soir… Et si le festival se veut délibérément éclectique, réunissant tous les styles de musique, pour plaire à tous les publics – ados, familles, jeunes branchés, fondus de jazz ou de pop, etc. – il accorde chaque année une place de choix au Maloya, cette musique traditionnelle de l’Île de la Réunion, qui est en pleine explosion depuis une vingtaine d’années, et qui voit naître de nouveaux groupes pleins de talent.

Christine Salem ouvrait le bal, vendredi soir, accompagnée de pas moins qu’un orchestre symphonique – quand le maloya n’est accompagné généralement que de percussions – tambour « roulèr », hochet plat « kayamb », arc musical (berimbau) « bob », percussion « pikèr » (gros tube de bambou) et percussion métallique plate et carrée « sati ». En effet, l’Orchestre de la Région Réunion, dirigé par Laurent Goossaert, plus familier de Mozart ou de Beethoven, s’est lancé depuis quelques années dans des collaborations originales avec des artistes de Maloya : après Maya Kamaty et Labelle, place cette année à Christine Salem. Afrik vous avait déjà présenté cette artiste majeure de l’île, lors de la parution de son album « Lambousir » (L’embouchure) en 2011.

Christine Salem a épousé le Maloya à l’adolescence, par rébellion : « A l’école on me disait que mes ancêtres étaient Gaulois. Or je suis noire. J’ai posé des questions à la maison, et on m’a expliqué l’histoire de l’esclavage sur l’île, dont personne ne m’avait jamais parlé… », nous confiait-elle au lendemain de son concert. Christine se lance donc avec passion dans le Maloya, musique directement héritée des anciens esclaves, hommes et femmes que l’on faisait venir du continent africain ou de Madagascar, pour travailler dans les plantations de canne à sucre…

Mêlant chant, musique et danse, le Maloya, à l’instar du blues, raconte le quotidien : chronique sociale, dénonciation des injustices subies, ou simplement petites histoires du vécu quotidien, le Maloya fut interdit pendant des siècles par le pouvoir blanc en place – car jugé trop subversif. Interdit de radio et de télévision au XX° sièce, ce n’est qu’à l’éclosion des radios libres, en 1981, que les Réunionnais purent entendre du Maloya sur les ondes, puis peu à peu, à la télévision. Aujourd’hui, le Maloya a plus que de droit de cité, et on l’entend échappé de la radio par une fenêtre un matin au réveil, ou bien, comme derrière la plage de St Pierre en ce samedi 9 mars après-midi, joué par un groupe, chanteurs, musiciens et danseurs/danseuses, qui posent une corbeille à terre et régalent un public familial…

Samedi soir pour la deuxième soirée des Francofolies c’était le jeune groupe Loryzine (L’Origine) qui était à l’honneur. Formation d’une demi-douzaine d’amis d’enfance et de cousins, âgés en moyenne de 25 ans, originaires de St André dans l’Est. Le groupe est mené par Luciano, beau gosse à la moustache à la Clark Gable et au teint cuivré, qui sur scène dégage une joie de chanter et de danser qui contamine le public – comme toute la joyeuse bande ! « On a fait notre première scène en 2008, et c’est le festival Sakifo (autre gros festival musique de la Réunion, annuel en juin, ndlr), qui nous a lancés : depuis, nous avons tournée en Australie, à Zanzibar, à Mayottte… », nous explique Luciano, heureux. Comment des jeunes de 20 ans en viennent-ils au Maloya, aujourd’hui ? « On est arrivés là par les « servis kabaré » (soirées privées de Maloya exécutées dans un cercle familial et amical, et destinées notamment à honorer les ancêtres en musique, ndlr). On en profitait pour chanter et jouer de la musique avec mes amis. Et on nous a encouragés… ».

Chez Loryzine, les paroles sont très loin de la mémoire de l’esclavage : c’est un Maloya festif, tel qu’il se développe depuis quelques années dans les jeunes formations. Telle chanson parle de la joie d’aller pêcher en mer – une passion pour Luciano – mais toujours dans le traditionnel style « en répons » du Maloya – le chanteur chante, les musiciens répondent en choeur : exemple « Pou allé navigué » – Réponse du choeur : « Navigué, navigué… ». Et toutes les chansons sont chantées en créole, comme le Maloya l’exige, même si nos jeunes sont désormais passés par l’école et maîtrisent tous parfaitement le français, contrairement à leurs aînés des décennies passées….

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Samedi toujours, la jeune formation Saodaj’ nous offrait un Maloya « féminisé » : car si traditionnellement les plus grandes voix du Maloya étaient des hommes – Granmoun Lélé, Lo Rwa Kaf, Firmin Viry, Danyel Waro,… – , la leader de ce groupe est une jeune femme, Marie Lanfroy, blondeur qui démontre que le Maloya s’est affranchi de son histoire, pour devenir la musique de tous les Réunionnais, de toutes origines, sans perdre pour autant son identité. Et c’est toujours en créole que la blonde Marie chante son « Maloya nomade » comme elle le dénomme, même si elle chante en français d’autres chansons de sa composition toujours, non basées sur des rythmes maloya. Saodaj’, c’est donc du Maloya ouvert à tous les vents du monde, et accompagné aussi bien d’un didgeridoo aborigène australien, que du traditionnel berimbau/bo, ou d’un clavier électrique…

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Dimanche soir, Zanmari Baré nous offrait un Maloya poignant, s’accompagnant parfois du hochet plat en bois « kayamb » tout en chantant. Véritable découverte pour nous qui ne le connaissions pas, et qui avons été envoûtée par sa voix d’une expressivité et d’une intensité dramatiques réservées aux géants de la chanson tels que Brel ou Ferré, famille à laquelle appartient bien Zanmari Baré ! Seul sur scène et accompagné d’un seul piano, Zanmari nous offrait ses chansons-poèmes, chansons sociales parfois qui dénoncent une société égoïste – car la chanson authentique est sociale par essence – et qui laissaient le public concentré, captivé, à l’écoute, accueillant avec la même gravité ces mots forts et cette musique dense… Immense artiste, qui s’appuie sur le Maloya pour le transcender, et nous offrir un chant universel – mais chant en créole, comme à l’origine…

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Une quinzaine d’artistes étaient ainsi invités pour ces trois soirées, parmi lesquels Cali, Clara Luciani, Jeanne Added, Hubert-Félix Thiéfaine, les rappeurs Bigflo & Oli, ou la chanteuse de jazz haïtienne Mélissa Laveaux. Mais chaque année, le festival Francofolies, ainsi que son frère aîné le festival Sakifo (né en 2003 quand Francofolies a 3 ans), festivals créés tous deux par le passionné Jérôme Galabert, ces deux événements, qui sont aussi les plus gros événements musicaux de La Réunion, sont pour le public réunionnais venu en famille, l’occasion de célébrer leur musique « nationale » : le Maloya, sur laquelle ils dansent avec passion, tous âges confondus, des fillettes de 8 ans aux grand-mères de plus de 75 ans !

L’occasion pour tous de découvrir de nouveaux talents de la scène Maloya, et, qui sait, peut-être ces festivals donnent-ils à des artistes en herbe l’énergie et la foi de se lancer, pour offrir au public leur Maloya à eux, approprié et réinventé. Car tel le blues, le rock ou la chanson française, le Maloya est une musique enracinée dans des décennies d’Histoire, mais qui se réinvente toujours. Un classique, qui ne mourra jamais

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