Les enjeux de la réconciliation nationale ivoirienne


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Parmi les défis les plus importants auxquels est confrontée l’alliance politique au pouvoir en Côte d’Ivoire, la réconciliation nationale demeure la priorité des priorités. Elle est au centre de toute l’activité politique et devient un enjeu politique national, qu’exploite à merveille l’ancienne majorité présidentielle pour tenter d’exister politiquement. De fait, elle engendre des enjeux stratégiques majeurs au niveau politique, économique et social.

Au niveau politique, les actions menées par la Commission Dialogue Vérité et Réconciliation (CDVR) ont beaucoup de mal à convaincre et à produire les résultats attendus. La CDVR ne dispose toujours pas de budget de fonctionnement depuis son installation en septembre 2011, en dehors des 2 milliards alloués par l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) en 2011. Ce manque de moyens, irrite fortement l’administration américaine, selon La lettre du continent, dans son numéro 638 de juin 2012. Pour réussir donc cette mission qui parait périlleuse, les membres de cette commission et le gouvernement multiplient les initiatives en faveur des personnalités proches de Laurent Gbagbo. Pour ces derniers qui ont compris l’intérêt qu’ils peuvent tirer de cette situation très confortable pour eux, ce besoin indispensable de réconciliation nationale souhaité par ce nouveau pouvoir, devient une « arme » politique et stratégique. Ils la manipulent aisément en imposant sans cesse de nombreuses contraintes au pouvoir en place, qui espère toujours y parvenir en multipliant des rencontres secrètes et officielles. Tout cela amuse beaucoup les partisans de la Ligue des mouvements pour le progrès (LMP) et Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) qui se demandent bien à quoi tout cela peut bien servir. Peut-on vraiment réconcilier des acteurs politiques qui ont pour l’instant tout intérêt à maintenir des zones d’ombre dans ce processus de réconciliation ? Ces incertitudes leur permettent d’avoir un moyen de pression sur ceux qui souhaitent cette réconciliation pour plusieurs raisons.

Au niveau politique, pour ces cadres LMP, demander la libération des camarades emprisonnés en Côte d’Ivoire et surtout leur chef à la Haye, est une stratégie qui permet de mettre la barre très haut pour ouvrir les négociations. En réalité, l’absence de ces camarades détenus, ouvre de nombreux espaces politiques et des opportunités à saisir. Chaque partie a donc des intérêts à exploiter, tout en ménageant les fougues des militants de base, pour qui la réconciliation serait une forme de trahison. Dans ces circonstances, il serait peut-être souhaitable que cette réconciliation commence d’abord à l’intérieur de chaque parti politique. Puis ensuite, au sein des différentes alliances politiques (LMP et RHDP). Entre ceux qui sont pour et contre la réconciliation d’une part, et d’autre part, entre les membres des différentes alliances politiques, afin d’aplanir les vieux contentieux qui demeurent toujours en dépit de ces alliances de circonstances. Comment peut-on réconcilier différentes familles opposées, si à l’intérieur de chaque famille, la réconciliation reste un sujet tabou. Au RHDP par exemple, on ne peut pas dire que ce soit la lune de miel.

Sur le plan économique, ceux qui rechignent à favoriser la réconciliation nationale, ont également compris que cette situation d’incertitude maintient toujours un climat d’insécurité et engendre des doutes et inquiétudes chez de nombreux investisseurs nationaux et étrangers. Toutes les formes d’échecs de ce nouveau pouvoir sont des victoires politiques pour ces cadres LMP, qui semblent aussi pris en otage entre les promesses de retour au pouvoir qu’ils tiennent à leurs militants pour les maintenir en état de dépendance, et la réalité qui contredit ces promesses démagogiques.

Au niveau social, l’insécurité et le sentiment d’insécurité créés par la difficulté à réussir cette réconciliation, génère des tensions dans le pays ; notamment en zone rurale où les nombreuses réalisations faites par le pouvoir en place sont peu perceptibles. De ce fait, il est toujours possible de continuer à manipuler ces populations, déjà meurtries par divers traumatismes. Il y a peut-être un déficit de communication sur les actions gouvernementales, notamment à l’intérieur du pays où les représentants de l’Etat restent encore pour beaucoup d’entre eux, des acteurs-politiques incertains qui n’observent toujours pas la neutralité qui s’impose.

Nous sommes donc dans une situation bloquée. D’une part, des refondateurs qui se font désirer en tentant d’exploiter politiquement cette opportunité qui s’offre à eux. Et d’autre part, le pouvoir qui a besoin de cette réconciliation pour rétablir la sécurité dans le pays, rassurer les investisseurs et restituer un climat social apaisé. Mais combien de temps encore le pouvoir va-t-il tenir ? Peut-il vraiment se passer de ces refondateurs qui jouent également leur survie politique en étant trop exigeant? A moins que les actions de développement économique et social du gouvernement imposent de fait cette réconciliation.

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