Les cuisinières solaires en Afrique


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Un four solaire (illustration)
Un four solaire (illustration)

Cuire les aliments grâce aux rayons du soleil. Il y a 13 ans, Abdoulaye Touré imaginait au Sénégal la première cuisinière solaire pour lutter contre la rareté des combustibles en milieu rural. Aujourd’hui, plus de 250 modèles sont en service à travers le pays. Interview d’un inventeur passionné et militant. 

Cuire les aliments sans feu grâce aux rayons du soleil semblait il y a peu dans les campagnes sénégalaises une prouesse de puissant sorcier. Lorsque Abdoulaye Touré, directeur d’école dans la région rurale de Matam, décide de monter sa première cuisinière solaire, tout le monde le prend pour un fou. Treize ans plus tard, il est détaché par le président de la République pour vulgariser son invention. 250 modèles sont actuellement en service dans le pays. D’expérimentations en démonstrations, il a amélioré son prototype pour le rendre pratique et performant. Il peut désormais cuire n’importe quel plat en moins de deux heures et reste plus de trois fois moins cher qu’un four classique.

Afrik : Comment vous est venu l’idée d’inventer la cuisinière solaire ?

Abdoulaye Touré : J’étais directeur d’école à Sinthiou-Garba (Nord-est du Sénégal, frontière mauritanienne sur les bords du fleuve Sénégal, ndlr). Nous n’avions pas de bois pour faire la cuisine. Les femmes étaient obligées d’utiliser des bouses de vaches comme combustible, ce qui est vecteur de maladies. Il s’agissait là d’un problème concret pour lequel il fallait mettre ses connaissances en oeuvre. Je savais qu’avec l’énergie solaire on pouvait faire beaucoup de choses en concentrant les rayons du soleil sous l’effet de serre. Même un élève de première peut comprendre le principe. J’ai créé mon premier prototype en 1990.

Afrik : Comment la population a-t-elle réagit à votre initiative ?

Abdoulaye Touré : Au début on me prenait pour un fou. C’était très difficile. On se cachait – ma femme, un ami mauritanien et moi – pour expérimenter la cuisinière. Quand nous avons réussi à cuire nos premiers poulets, nous n’en avons pas cru nos yeux. Mais la cuisson était très lente et pouvait mettre plus de trois heures. Il fallait maintenant réfléchir pour replacer le four dans un contexte réel d’utilisation. En 1992, j’ai refusé la direction de douze classes pour prendre la direction de trois classes en brousse, à Gouyar-Sarr, afin de poursuivre mes expériences. C’est alors que nous avons commencé à développer et à diffuser le four. Nous en avons construit et distribué plus de 100. Les trois-quarts du village en étaient équipés. Grâce aux femmes, les premières utilisatrices, nous avons découvert les contraintes réelles du four liées aux habitudes culinaires et aux coutumes.

Afrik : Comment sont construites les cuisinières solaires ?

Abdoulaye Touré : Je travaille toujours avec la population, de façon à opérer un transfert direct de technologie dans les villages. Quand je viens dans un village, j’arrive avec un four pour faire la démonstration, ensuite je leur montre comment en construire un eux-mêmes. Pour une bonne cuisinière solaire, qui peut vous durer 10 ans, il faut compter aux alentours de 50 000 F CFA, main d’oeuvre comprise. Alors qu’il faut compter entre 150 000 à 200 000 F CFA pour une cuisinière classique.

Afrik : Comment ça marche techniquement ?

Abdoulaye Touré : C’est un four qui capte les rayons solaires pour les transformer en chaleur. Il s’agit de concentrer les rayons dans une caisse en aluminium, le foyer, logée dans une autre caisse plus grande et isolée avec des éléments séchés, résidus de coton, de paille ou de coques de menuiserie, pour que l’enveloppe externe ne chauffe pas. Un couvercle en double vitrage au dessus du foyer capte une première fois les rayons du soleil. Et un réflecteur – un panneau recouvert de papier argenté- capte une seconde fois le soleil pour rendre le four plus performant. Nous sommes passés d’une température de 110° à une température de 180°. Les derniers modèles montent même au-delà des 200°. Il s’agit à chaque fois d’améliorations techniques.

Afrik : Avez-vous déjà reçu des prix pour votre four ?

Abdoulaye Touré : J’ai reçu le 1er prix du président de la République de l’invention et de l’innovation en 1998, le prix du Cipéa (Centre international pour la création de l’entreprise en Afrique, ndlr) en 1999. Et le 1er prix de la Techno-foire à Tambacoumba (Sénégal oriental) en 2001.

Afrik : Avez-vous reçu du soutien de la part des autorités sénégalaises ?

Abdoulaye Touré : A l’issue des différentes expérimentations, j’ai élaboré un programme cohérent pour implanter les fours solaires au Sénégal. Quand j’ai présenté mon projet à Dakar, j’ai été détaché du ministère de l’Education nationale par le président de la république pour que je puisse vulgariser l’utilisation des cuisinières. J’ai des demandes en Casamance, dans les régions du Sénégal oriental et dans la région de Thiès. La Mauritanie, le Niger et le Burkina sont également intéressés. Il y a beaucoup de projets en suspend, mon agenda est devenu difficile à maîtriser. Et je n’ai que ma propre voiture pour me déplacer. L’essence est à ma charge. Je vais bientôt faire la demande d’un véhicule de fonction aux autorités.

Afrik : C’est vous qui assurez tout les séminaires de formation ?

Abdoulaye Touré : Les fours sont devenus trop populaires, je ne peux plus tout faire moi même. Ce sont gens que j’ai déjà formés dans les villages qui prennent le relais. J’ai créé l’association Projet cuisinière solaire d’Afrique pour cela.

Contact
Abdoulaye Touré
BP 2004 Dakar Yoff
projetpcsa@hotmail.com
pcsatoure@yahoo.fr

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