Les conflits : un lourd handicap financier pour l’Afrique


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L’Afrique sub-saharienne a-t-elle intérêt à arrêter les conflits et donc sa fragilisation ? Oui, dirait-on facilement. Dans une recherche récente, nous avons a pu montrer que cette fragilisation compliquait davantage la mise en place des meilleures institutions (Kodila-Tedika et Bolito-Losembe, 2014). Malheureusement, l’Afrique sub-saharienne est l’une des régions du monde où une bonne partie de ces Etats sont fragiles : vingt-deux Etats sur un total de quarante-huit états sont classés par la Banque Mondiale comme étant fragiles (European Report on Development, 2009).

Une nouvelle recherche des économistes de la BAD, Ncube, Jones, et Bicaba (2014), vient confirmer la réponse affirmative. Ces économistes ont regardé le problème sous l’angle purement économique tout en considérant la fragilité sous l’angle de l’exposition aux conflits. Ceux-ci entrainent des coûts directs largement mesurés : les sorties des capitaux financiers, les décès, les accidents, les maladies, et des déplacements massifs. Il existe aussi des coûts indirects : perturbation ou contraction de l’activité économique ou récession économique, réallocation des dépenses publiques de santé et d’éducation au secteur militaire et recul des revenus publics. Ces coûts se traduisent aussi par l’augmentation du chômage, particulièrement parmi les jeunes, l’augmentation de la probabilité du crime et l’appel à l’extrémisme. On constate aussi l’expansion de l’illégalité, avec la culture de la drogue qui remplace de fois des régions importantes. A côté de ces coûts, il y en a aussi d’autres qui sont difficilement mesurables : des citoyens sont souvent traumatisés longtemps après la fin des conflits. Le processus du développement se trouve inévitablement freiné sinon stoppé.

Ncube, Jones, et Bicaba étudient le coût économique de fragilité en utilisant des données macro-économiques (1980-2010) pour quelques Etats fragiles en Afrique. Leur travail montre que le PIB per capita, au cours de la période d’analyse, pour les Etats fragiles correspond presque à la moitié de celui des Etats non fragiles. La croissance de PIB per capita, est positive (environ 1% par an) pour les Etats non fragiles. Cependant, la croissance de PIB per capita pour les Etats fragiles s’est établie à -0.4% par an, soit une croissance négative durant la période d’analyse.

Les estimations de ces auteurs vont plus loin. En effet, la durée de reprise après une exposition à la fragilité est estimée entre 12 à 33 ans. Ils prouvent que les Etats fragiles perdent une occasion de doubler leur PIB initial per capita après une période de 20 ans. En second lieu, après 20 ans de fragilité, les coûts économiques cumulatifs de fragilité au Libéria, au Sierra Leone et au Burundi se sont respectivement élevés à 31.8 milliard USD, 16.0 milliard USD et à 12.8 milliard USD

Ces chiffres sont très inquiétants. Que faut-il faire alors ? A l’heure où l’Afrique suscite de l’espoir, il est utile de faire entendre l’écho de ces chiffres dans tous les milieux, afin de faire émerger une conscience collective qui s’oppose aux conflits et promouvoir un espace démocratique susceptible de résoudre le problème mais également donner à toutes les forces vives la possibilité de proposer de nouvelles idées. En effet, un État fort est celui qui garantit la paix, la sécurité, les droits et les libertés et évite par ricochet ce gaspillage.

L’importance de l’opinion publique et de la démocratie pour y arriver vont de soi. Dans un régime démocratique, il est supposé une séparation des pouvoirs de facto et de jure et la nécessité du consentement populaire pour une série des questions ou problèmes de première importance, notamment la résolution des conflits. Ceci, toutes choses étant égales par ailleurs, rend difficile par exemple l’engagement dans une aventure militaire si le consensus populaire nécessaire n’est pas atteint. Aussi, les dirigeants démocratiques sont redevables aux électeurs, informés notamment par les médias indépendants et libres sur les coûts humains et financiers. L’opinion publique peut focaliser l’attention sur l’arbitrage entre les coûts économiques des conflits et d’autres besoins sociaux, poussant à la hausse la question de responsabilité des électeurs ou de la population. L’anticipation des élections futures peut dissuader les entrepreneurs politiques, tant le coût politique d’un conflit militaire serait nocif pour les chances de briguer un second mandant.

Le débat ainsi lancé, tant par la liberté médiatique que par l’opinion publique dans la société, peut stimuler la naissance de nouvelles idées, qui peuvent facilement permettre aux décideurs politiques de résoudre le problème par des compromis. Conséquence : la culture du compromis va prévaloir. Ce qui se transmet d’une génération à une autre, consolidant en conséquence la paix, la sécurité, les droits et les libertés. Un tel héritage n’est pas la caractéristique des régimes autoritaires.

Peut-on donc éviter ces coûts économiques considérables aussi régulièrement pour un continent qui est en manque de financement étant donné ses multiples besoins? Pour arrêter cette fragilisation, il faut bien que l’homme africain arrête de réduire la démocratie aux simples élections, souvent tronquées d’ailleurs mais de se l’approprier et de la vivre pleinement en tenant compte de ses ambitions.

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