Les Chinois à Alger


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Pour la première fois de sa courte histoire, l’Algérie doit faire face, avec les Chinois, à une immigration étrangère. De plus en plus implantés dans les secteurs économiques nationaux, formels et informels, les Chinois commencent à susciter le débat.

Avec notre partenaire Le Gri-Gri international

Comme son voisin marocain ou comme le lointain Sénégal, l’Algérie vit désormais à l’heure chinoise au point que la presse locale n’hésite plus, au risque de verser dans une sinophobie inquiétante, à parler de « déferlante » voire « d’invasion ». Il faut dire qu’en 2004, la majorité des grands chantiers de construction (logements, barrages, ports, routes,…) ont ainsi été « raflés » par les 18 groupes chinois de BTP présents en Algérie, dont le géant public China State Construction & Engineering Corporation (CSCEC). Montant du butin : au moins 720 millions de dollars. A cela il faut ajouter le contrat décroché par China National Petroleum Corporation (CNPC). Cet autre poids lourd chinois vient ainsi de remporter, au nez et à la barbe des grands groupes occidentaux, le contrat de reconstruction d’une raffinerie à Skikda (Est du pays) pour un montant de 390 millions de dollars.

« Les Chinois sont compétitifs et ils travaillent vite », explique un officiel algérien, qui précise que les relations économiques entre les deux pays se sont accélérées depuis la visite à Alger, en février 2004, du Président Hu. « Peut-être qu’ils travaillent bien mais, surtout, ils comprennent vite à qui il faut distribuer des enveloppes », raille de son côté un banquier algérois. Et d’ajouter avec une moue dubitative : « C’est la première fois depuis longtemps que ce pays fait face à une immigration étrangère et je ne sais absolument pas comment la société va réagir. »

La main d’œuvre employée par ces grands groupes est en effet importée de Chine au grand dam de nombreux hommes politiques qui ne comprennent pas que l’on fasse appel à des « zitrongers » alors que le pays souffre d’un taux de chômage supérieur à 30%. Pire, radio-trottoir, accuse les groupes chinois d’employer des prisonniers pour diminuer leurs coûts. « C’est faux. Il s’agit de travailleurs honnêtes », s’est du coup insurgé, et à plusieurs reprises, l’ambassadeur de Chine à Alger.

Manifestations contre les mauvaises conditions de travail

Honnêtes, peut-être, mais pas commodes, sûrement. Depuis plusieurs mois, les Algériens assistent mi-scandalisés, mi-hilares, à des émeutes provoquées par des travailleurs chinois et le plus souvent violemment réprimées par la police, surtout lorsque les manifestants encerclent l’ambassade de Chine. En février dernier, à Tiaret, dans l’Ouest des pays, les émeutiers ont même barré des routes et mis le feu à leurs cantonnements avant d’occire plusieurs cadres du groupe qui les employaient. Les raisons d’une telle violence ? Des salaires versés en retard, des parties en devises jamais transférées aux familles restées au pays et des conditions d’hébergement déplorables.

« Des actes d’anarchie », a reconnu le gouvernement chinois qui a présenté ses excuses officielles. Les meneurs ont été rapatriés et des Algériens ont du coup été recrutés. Mais les incidents n’ont pas cessé. La présence de plusieurs milliers de travailleurs chinois, au moins dix mille sans compter les clandestins, fait par contre les affaires du secteur privé algérien, qui y voit une main-d’œuvre corvéable à merci. « Des pauvres gars travaillent toutes la journée, et le soir ils se cassent le dos dans les chantiers des villas des généraux », déplore le banquier qui dresse un parallèle avec le début des années 1990, où la bonne société algéroise exploitait des centaines de clandestins venus d’Afrique sub-saharienne.

Quant aux autorités, elles s’inquiètent avant tout de l’impact de la présence chinoise sur le commerce local. Dans toutes les grandes villes du pays, les quartiers où le trabendo était florissant sont en train de changer de physionomie avec l’installation permanente de commerces chinois qui, peu à peu, contrôlent des pans entiers du secteur informel.

Mustapha Boudhine

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