Les artistes authentiques meurent pauvres (ou très endettés)


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PRETRE nom toujours masculin : Fonctionnaire du divin, ministre de l’Eglise catholique. Les prêtres ont su prévenir la pédophilie courante chez leurs confrères occidentaux en se mariant souvent, en entretenant plusieurs amantes à tour de bras et en faisant des enfants qui ont le malheur de leur ressembler systématiquement. ? Les prêtres sont avec les mendiants les seuls à vivre officiellement de la charité d’autrui. Ils ne paient pas d’impôt, chassent les démons, et délivrent des tickets pour le paradis. Pour autant la position de missionnaire n’est pas une sinécure. Les premiers étrangers à débarquer au pays étaient des missionnaires, ce sont eux qui ont instruit nos pères et éduqué nos mères. Il n’est que de lire l’admirable Le vieux Nègre et la médaille de Ferdinand Oyono ou bien les œuvres successives de Mongo Beti, lorsqu’il décrit la présence coloniale au Cameroun, pour s’en convaincre. Après le départ des missionnaires, les prêtres camerounais ont pris le pouvoir, mais n’ont pas substantiellement modifié la nature des relations entre eux-mêmes, représentants de l’autorité divine et « le peuple de Dieu ».

En Afrique, les prêtres ne connaissent pas le chômage et n’ont aucun scrupule à vivre de la charité des vieilles femmes illettrées, pliées en quatre, dont les effrayants problèmes quotidiens sont aggravés par cette ignorance sans nom qui leur fait croire que seule une divine solution pourrait par exemple alléger leurs ennuis de santé.
Les miracles du Christ, Lui-même les avait définis comme de la petite bière par rapport à ceux nombreux qui seraient réalisés après lui. Des thaumaturges inspirés font des choses plus grandes, nous en mettent plein la vue, ainsi que Lui-même l’avait annoncé. Quant au mérite actuel de la religion, il est surtout de valoriser des contre-valeurs : la pauvreté, la lâcheté, l’assujettissement de la femme, l’amour sans préservatif, la repentance, et de présenter l’espérance comme la réalité présente et ultime. Il ne fait point de mal de se tromper de temps en temps, de faire des erreurs, sans être obligé de s’en excuser, le mieux toujours c’est évidemment d’être préparé à les assumer.

La religion n’est ni un obstacle ni une chance, elle ne sert que ceux qui y croient. La « religiosité n’est pas la foi », elle n’est pas l’interprète de Dieu dont elle n’a par ailleurs reçu aucune accréditation. On peut ne pratiquer aucune religion et être un homme juste et bon, mais au final, la religion est bien un produit culturel importé. Dieu lui préexiste dans notre culture. Mais croire ou ne pas croire, cela reste une question assez personnelle, qui de plus ne peut pas être tranchée ici-bas ; les doutes sont de toutes parts, chez ceux qui ont la foi comme chez ceux qui n’en ont pas. Il vaut mieux se fier à son tempérament ou à ses intérêts propres.
Et sur le point de savoir ce qui d’entre la foi et les œuvres est le plus important, la santé du catholicisme prouve que seules les « œuvres » sont décisives. Au vrai, la puissance de l’Eglise catholique romaine tient aujourd’hui davantage dans ses trésors culturels et littéraires que dans les dogmes, l’imagerie pieuse et les enseignements de la foi. La différence entre ceci et cela est que la chapelle Sixtine et ses peintures de Botticelli, la Basilique St Pierre, les œuvres de Michel Ange, la Pinacothèque, ou les bibliothèques du Vatican n’ont pas d’équivalent dans le monde alors que le christianisme peut être supplanté par l’islam, le judaïsme ou le bouddhisme sans que l’humanité ne perde par ce fait un élément essentiel de sa personnalité culturelle. L’Eglise catholique survit donc grâce à l’art d’artistes inspirés et la générosité sans limite des croyants les plus humbles.

L’abondance nuit à l’inspiration

De manière générale, Ce n’est pas le dénuement (entendu comme manque d’argent) qui fait que les artistes sont pauvres, mais c’est leur caractère qui les rend tels et il est impossible d’y rien changer sans préjudicier à leur talent et à leurs productions. Les pauvres créent, mais la culture n’est pas vraiment peuple…Ce sont les élites, les mécènes, qui apprécient les arts et la culture, les conservent, les valorisent, les commentent savamment.

Les artistes sont des esprits fondamentalement généreux, portés à secourir leur prochain et ne regardant ni à l’effort ni à la dépense, qualités qui sont toutes des moyens sûrs d’appauvrissement dans un monde où nos efforts et notre fortune sont en permanence sollicités. De nos jours, c’est « business as usual » et ceux qui sont présentés comme les plus doués ont souvent des gestionnaires de fortune compétents.

Mais à vrai dire la donne ne change pas véritablement, ceux qui créent ne sont pas toujours ceux que l’on voit sous les feux de la rampe… Dans une société structurée par les rapports marchands, le succès devrait être discrédité comme une mesure du talent. Les vrais artistes resteront toujours ceux que l’on ne comprend pas, ceux que l’on insulte, ceux qui évoluent dans les marges et ne craignent pas de mourir pauvres et méconnus.

A quoi pourrait-on comparer Mongo Beti ?

Mongo Beti alias Eza Boto : pseudonymes d’Alexandre Biyidi Awala. Fait rarissime dans la république camerounaise: un farouche dénonciateur de la colonisation et des régimes successifs qui se sont succédé depuis l’indépendance a été jugé digne de mériter de la patrie. Ecrivain engagé, doté d’une verve critique exceptionnelle, avec des accents voltairiens, polémiste redoutable et insulteur inventif, c’est sans aucun doute l’intellectuel camerounais le plus incisif, le plus impressionnant, un personnage hors normes.

Voici ce qu’il disait du président Biya : « Otage d’une secte mystique étrangère », « Résident d’Elf-Aquitaine », un anti-travailleur « qui empêche les travailleurs de ce pays de travailler », « un homme d’une médiocrité à pleurer […] un illustre inconnu […] tout venant du citoyen […] un anonyme des anonymes […] qui de sa vie n’a fait preuve d’aucun don transcendant. Il n’a été le protagoniste ni même le deuxième couteau d’aucun combat mémorable … Il ne s’est trempé dans aucune épreuve susceptible de marquer une conscience. Hormis les humiliations auxquelles son prédécesseur le soumettait comme par jeu » (Mongo Béti, 1986).

Paul Biya sait encaisser et ne sait pas garder rancune aux morts. Lors de ses obsèques, sa famille s’est vigoureusement opposée aux hommages officiels. La mort marque la fin d’un combat, accepter un hommage posthume de ses adversaires n’aurait pas été renier les idées pour lesquelles il s’est battu. Il est sans conteste le plus grand écrivain camerounais, d’autres surdoués fleuriront, il n’est pas un génie indépassable, mais il a ravi une fois pour toutes le prix du meilleur premier roman. « Ville cruelle » a en effet été le premier « premier Roman » camerounais. Il n’avait que 23 ans ! Il est donc une sorte d’emblème, une autorité de principe.

L’atypisme du personnage tient à la fois à son écriture étincelante et à son engagement politique dénué de compromissions et d’ambition personnelle. Il est le premier à avoir publiquement alerté l’histoire sur l’immensité de la perte qui avait été celle de Ruben UM NYOBE, qu’il a contribué à emblématiser. Il a milité pour des causes souvent inattendues : l’environnement, la libération de Titus EDZOA, pourtant convaincu par la justice et l’opinion publique de détournements de fonds publics.

Pour Tierno Monénembo, « Mongo Beti est un cas à part : c’est le loup solitaire, le dernier des Mohicans, le plus beau de nos factieux, la fraction saine de notre cerveau malade. Il émerge d’une autre galaxie, répond d’une autre ère géologique ».

Il n’a laissé ni successeur ni imitateur et l’Etat RDPC qui l’a laissé mourir sans dialyse dans un minable hôpital camerounais, comme un pauvre, fait semblant de l’oublier alors que les mots de l’illustre écrivain sont souvent repris par ceux qui nous gouvernent.

Ces « apprentis » sorciers

Si l’expression a été popularisée par Paul Biya qui nommait ainsi ceux de ses opposants accusés d’avoir fomenté les émeutes de février 2008, il convient de rappeler que Paul Biya lui-même avait été ainsi traité par Mongo Beti vingt années plus tôt, in Cameroun : Une dictature militaire déguisée, peuples noirs peuples Africains (n° 63-66 / 273-274) « Qui gouverne au Cameroun ? Question posée avec pertinence naguère dans un ouvrage qui fit du bruit en son temps. Question tragiquement d’actualité, plus que jamais. Selon plusieurs témoignages concordants. Tous d’excellente source, Paul Biya, l’ami bien connu de François Mitterrand, n’existe pas (…) Celui-ci vit d’ailleurs le plus souvent à Mvomeka, son village natal. D’où cette succession de « bavures » jamais élucidées(…)Le prétendu colloque préparatoire à une conférence nationale, organisé par Hogbe Nlend, qui se dit assuré de la neutralité (sic) bienveillante (?) de Paul Biya, est totalement bidon. Ou plutôt c’est le nouveau gadget de Biya et de ses conseillers élyséens pour gagner du temps, selon une stratégie du bunker devenue désormais la seule ressource de ces apprentis sorciers en plein désarroi. »

On pourrait comparer le tombeau de Mongo Beti à la statue de Molière à l’Académie française, ainsi pourrions-nous, dix ans après sa mort ajouter cette épigraphe sur sa sépulture : « Rien ne manque à ta gloire, tu manques à la nôtre »… L’on a voulu faire des Camerounais un peuple sans pères, sans maîtres, la tentative a échoué puisqu’il existe des fils, des disciples, des suivants décidés à faire prospérer les valeurs éternelles que défendait le grand écrivain.

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