Le terrorisme peut-il vaincre la démocratie ivoirienne ?


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Lâchés par le discours officiel d’une opposition du FPI qui a compris qu’à défaut de participer effectivement au jeu démocratique, il valait mieux raison garder et ne pas se jeter dans une guerre pour rien – voire dans une guerre pour rire – , les derniers partisans des Escadrons de la Mort de Laurent Gbagbo s’attaquent sans relâche à la sécurité des habitants de la Côte d’Ivoire, espérant ainsi créer cette psychose des profondeurs qui paralyserait la nouvelle émergence du pays d’Houphouët-Boigny. En s’attaquant tout récemment à la centrale thermique d’Azito, aux postes de l’armée à Bonoua, comme précédemment aux camps d’Akouedo et d’Abengourou, aux villes de la frontière ivoiro-libérienne, comme aux localités qui longent la frontière ivoiro-ghanéenne, les anciens Escadrons de la Mort reconvertis en terroristes à l’encan nous incitent à nous poser une question qui brûle nécessairement toutes les lèvres : le terrorisme peut-il vaincre la jeune démocratie ivoirienne ? Pour répondre à cette question, en la présente tribune, nous devons nous interroger au préalable sur l’essence profonde du terrorisme et celle de la démocratie ; nous devons ensuite examiner les arguments idéologiques et stratégiques de l’engeance armée qui refuse mordicus de reconnaître la défaite évidente de Laurent Gbagbo aux présidentielles ivoiriennes de novembre 2010 ; nous devons enfin confronter lesdits arguments des néo-terroristes de l’aile extrémiste de la Refondation à ceux de la nouvelle majorité politique du RHDP qui gouverne effectivement la Côte d’Ivoire depuis la défaite puis la chute de Laurent Gbagbo. A ces seules conditions, une réponse objective à la question examinée par le présent propos paraîtra raisonnablement envisageable, sans pour autant que nous souscrivions à l’art suspect des prophètes médiatiques dont l’Afrique regorge.

D’emblée, touchons à l’essence des concepts en jeu, pour cerner les réalités qu’ils nomment. Qu’est-ce donc que le terrorisme ? C’est l’usage partiel ou total de la violence armée pour harceler une société, un Etat, un gouvernement ou toute autre communauté humaine afin d’intimider, de blesser, de tuer, pour faire triompher une cause que l’on défend ou pour faire échec à une cause que l’on combat. L’objectif visé du terrorisme, c’est donc le règne de la terreur, cette peur-panique qui paralyse les esprits, tétanise et chloroformise les corps, se traduisant par un repli des individus et des groupes dans leurs ilots de survie. Ceci se traduit enfin par une population livrée aux miasmes de la peur du lendemain et de l’angoisse déprimante face au présent. Une société terrorisée est une société bloquée, incapable d’inventer et de réinventer, de générer des projets et d’émerger en toute modernité dans la compétition des communautés humaines contemporaines. La terreur, en transformant la mort en banalité, transforme la vie en morgue permanente. Réduit à survivre, l’homme terrorisé ne vit plus. Il vit de mourir et meurt de vivre, dans une lassitude famélique qui le plonge dans un fatalisme obscur. Telle est manifestement la finalité recherchée par les stratèges de la déstabilisation de la Côte d’Ivoire contemporaine : ayant perdu la bataille électorale et la bataille militaire initiales du 28 novembre 2010 au 11 avril 2011, ils sont entrepris de tenter au forceps de remporter la bataille psychologique, celle de la confiance au processus de modernisation de la Côte d’Ivoire. Quoi de plus contraire à l’esprit de la démocratie que le terrorisme des Escadrons de la Mort reconvertis en hiboux des forêts frontalières ?

Définie en général comme le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple, la démocratie peut être plus pragmatiquement définie comme l’organisation pacifique et consensuelle de la concurrence en vue de l’acquisition, de l’exercice, de la conservation ou de la transmission du pouvoir politique. Saisie de la sorte, elle requiert un consensus des forces sociopolitiques en compétition autour d’une règle du jeu qui puisse servir de référence à l’arbitrage des conflits d’intérêts qui nécessairement apparaîtront au fil de l’action. Evidemment, un tel consensus suppose qu’aucune des forces en présence ne s’empare du monopole de la violence au détriment des autres, de telle sorte que la seule forme de violence qui soit normale découle de la défense des conditions intangibles de la concurrence pacifique qui constitue, à travers la recherche des suffrages populaires par les partis en présence, la colonne vertébrale de la démocratie. En démocratie, la force est mise au service du droit, et non l’inverse, le droit au service de la force. Or que s’est-il passé en Côte d’Ivoire, quand les Ivoiriennes et les Ivoiriens ayant délibérément choisi de changer de président de la République se sont vus opposer les armes agressives de la Garde Républicaine du Général Dogbo Blé et des milices pro-Gbagbo ? Le camp de la Démocratie, de fait, était devenu celui de l’opposition victorieuse aux élections. Le Camp de la Terreur, celui des caciques de l’ancien régime du FPI de Laurent Gbagbo. L’âme de la République était désormais au cœur même de la nouvelle majorité politique victorieuse des élections. La question cruciale qui se posait alors était la suivante : fallait-il laisser la force des armes l’emporter sur la force des urnes ou fallait-il mettre la force des armes au service de la voie des urnes ? En d’autres termes, les démocrates ivoiriens auraient-ils dû assister les bras croisés à la mort de la liberté qu’ils avaient si chèrement conquise en organisant ces élections présidentielles consensuelles d’Octobre-Novembre 2010 ? Les démocrates avaient le choix entre la servitude volontaire et le sacrifice pour la liberté. Et l’on sait que c’est au prix de ce courage et de la capacité de mobilisation des citoyennes et citoyens ivoiriens menacés de spoliation électorale, mais aussi du savoir-faire stratégique d’Alassane Ouattara et de Guillaume Soro que la Côte d’Ivoire est de nouveau debout.

Examinons donc ensuite les arguments idéologiques et stratégiques de l’engeance armée qui refuse mordicus de reconnaître la défaite évidente de Laurent Gbagbo aux présidentielles ivoiriennes de novembre 2010. Indiquons concomitamment les objections évidentes que ces arguments ne sauraient manquer de soulever.

Le premier de leurs arguments est presqu’un refrain : Ouattara et Soro seraient l’incarnation de la Françafrique, leur leader lmpiste Gbagbo étant celle de la résistance panafricaniste. Pourtant, qui ignore la fausseté de cet argument ? Elus véritables du peuple ivoirien, les dirigeants actuels de la majorité du RHDP sont les plus légitimes de toute l’histoire de la Côte d’Ivoire après Houphouët-Boigny. L’implication de la France, au finish, du côté de la démocratie est donc un fait sans précédent qu’il conviendrait de mettre au crédit des stratèges du RHDP qui inaugurent ainsi une jurisprudence de haute portée dans la relation franco-africaine car l’Histoire retiendra que ce sont bien Alassane Dramane Ouattara et Guillaume Soro qui firent combattre, pour la première fois de son histoire, la France aux côtés d’une opposition électoralement victorieuse contre un despote africain. Mieux encore, en quoi Gbagbo, l’ami autoproclamé de Bolloré, le financier des campagnes présidentielles françaises, l’ami des extrémistes du Front National français, le protégé des sulfureux Dumas et Vergez, peut-il se targuer d’être le plus anti-français des Ivoiriens ? Autant fuir la pluie pour se cacher dans la rivière !

Le deuxième des arguments récurrents des extrémistes armés de la Refondation porte sur les événements de septembre 2002. Ils prétendent que de la même façon que le MPCI de Guillaume Soro aurait foutu le mandat 2000-2005 de Laurent Gbagbo en l’air, de même, il faudrait que le RHDP aujourd’hui au pouvoir boive le calice de la déstabilisation jusqu’à la lie, en guise de réponse du berger à la bergère. Mais qui ne voit pas la légèreté intellectuelle affligeante de cet argument revanchard ? Les extrémistes armés de la Refondation oublient le déficit de démocratie qui a présidé à l’accession étriquée et par effraction de Laurent Gbagbo au pouvoir en octobre 2000, avec le soutien majeur des socialistes français au pouvoir en ce temps-là. Aux termes d’une élection « calamiteuse » – dixit Gbagbo lui-même – , l’enfant de Mama s’est accaparé du pouvoir. Mais non content de ce rapt pseudo-électoral où le Général Guéi se fit rouler dans la farine avant de se faire assassiner vulgairement deux ans plus tard, le FPI de Laurent et Simone Gbagbo reprit le flambeau funeste de l’ivoirité, redoublant d’ardeur dans la destruction de l’éthique spirituelle de la nation ivoirienne. C’est cette dérive identitaire, doublée d’une arrogance violente et d’un mépris cynique des Africains de Côte d’Ivoire tout comme des Ivoiriens du Nord et du Centre du pays, qui a conduit Gbagbo à La Haye.

Le troisième des arguments des désespérés qui harcèlent sporadiquement les FRCI, c’est l’invocation du contentieux électoral 2010, notamment du refus de la solution du recomptage comme rupture du pacte démocratique issu des Accords de Ouagadougou (2007). Or, voici encore la mauvaise foi des extrémistes du FPI mise à nu : comment peut-on invoquer la solution du recomptage quand on sait que le pouvoir Gbagbo a procédé, en vue de son autoproclamation comme victorieux du second tour en novembre 2010, à l’annulation des votes de sept régions électorales du Nord et du Centre de la Côte d’Ivoire ? Qui aurait encore la bassesse d’ignorer que si ce n’était qu’affaire de recomptage, le FPI n’aurait pas eu besoin de soustraire sept régions du pays du décompte électoral final ? Au demeurant, de décembre 2010 à mai 2011, on a vu des Refondateurs de tous poils camper derrière la défense de la sacro-sainte décision du Conseil Constitutionnel, au nom d’un légalisme qui ne tarda pas à se révéler à géométrie variable. En effet, quand son président Yao N’Dré revenant du Ghana et revenant sur sa décision, ledit Conseil Constitutionnel avoua s’être trompé en déclarant Gbagbo élu le 3 décembre 2010, combien de nos légalistes Refondateurs se plièrent à l’instance suprême d’arbitrage de la Constitution ?

Le quatrième des arguments rebattus par nos extrémistes reconvertis des Escadrons de la Mort, c’est celui de leur capacité à porter militairement le fer contre les FRCI, dans un mano a mano strictement ivoiro-ivoirien qu’ils appellent de tous leurs vœux. L’une des versions de cet argument consiste à dire que le Président Ouattara, tout comme la rébellion du MPCI-Forces Nouvelles, n’auraient eu aucun succès militaire face aux FDS de Gbagbo sans l’intervention de la France et de l’ONU. N’est-il pas facile de voir en quoi la naïveté d’une telle argumentation est affligeante ? Il n’y a pas de politique nationale efficace sans politique extérieure conséquente. Loin d’être né de la dernière pluie, le Président Alassane Ouattara a largement montré qu’il l’a compris depuis belle lurette. Aucune guerre efficace n’est menée sans base arrière hors du territoire de l’ennemi. La France sous les Nazis, s’appuie sur l’Angleterre, les USA, les colonies d’Afrique, pour écraser Hitler. L’ANC en Afrique du Sud s’appuiera sur la Zambie, la Namibie, le Zimbabwé, l’Angola, pour affronter militairement le régime de l’Apartheid. Laurent Gbagbo en 2000 s’appuie sur les socialistes français pour être internationalement reconnu ; en 2002 le même Laurent Gbagbo en appelle aux Accords de défense franco-ivoiriens pour combattre ses compatriotes rebellés du MPCI ; de 2002 à 2012, les extrémistes armés de la Refondation continuent de s’appuyer sur des alliances miliciennes au Libéria, sur des complicités gauchisantes au Ghana et peut-être même des complicités obscurantistes au Nord-Mali, sans oublier les mercenaires biélorusses de l’armée de l’air de Gbagbo en 2004, etc. Comment le pouvoir FPI qui s’est régulièrement appuyé sur des forces étrangères pour peser politiquement en Côte d’Ivoire, peut-il qualifier ses adversaires victorieux d’ « hommes de l’Etranger », quand ils le battent à plate couture sur le terrain de la mobilisation stratégique de la communauté internationale ? L’amnésie ne saurait faire office d’argumentation en politique.

Qu’il plaise donc aux lectrices et lecteurs de la présente tribune d’apprécier maintenant la conclusion qui me paraît s’imposer de ce qui précède : dans la bataille que le terrorisme des extrémistes de la Refondation livre contre la jeune démocratie ivoirienne incarnée par la majorité légale et légitime du RHDP, la force de la raison et la raison de la force sont dans les mains des élus véritables du peuple ivoirien. L’avenir est résolument sous leur responsabilité. Ils sont mis en demeure de réussite et en ont manifestement conscience, à en juger par leurs premières réalisations nationales. L’examen scrupuleux des quatre arguments rebattus par la propagande extrémiste en montre la vacuité intégrale. Je l’ai dit ailleurs et je le redis ici : avoir la lâcheté de faire la guerre pour rétablir l’ivoirité ne vaut pas le courage d’avoir fait la guerre pour l’abolir et redonner à la Côte d’Ivoire son rang et sa noblesse dans la féérie des nations émergentes. A ce compte, c’est la démocratie qui s’avère indéboulonnable en Côte d’Ivoire, pour le bonheur des Ivoiriennes et des Ivoiriens dont tout observateur de bonne volonté s’accordera à dire qu’ils ont franchement retrouvé cet espoir que dix années de Refondation avaient complètement asséché. La démocratie peut et doit vaincre le terrorisme en Côte d’Ivoire. Telle est la promesse d’humanité de ce grand pays !

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