Le riz guinéen : la denrée du riche


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Le prix du riz en Guinée atteint les sommets depuis plusieurs mois. Il culmine en ce moment à quelque 60 000 francs guinéens, une véritable fortune pour la majorité de la population du pays. Le gouvernement a mis en place une stratégie en avril dernier pour renverser la vapeur, mais le remède serait plus mauvais que le mal.

Le riz guinéen vaut son pesant d’or. Depuis plusieurs mois, le pays ouest-africain manque encore plus de tout, y compris de l’aliment de base, dont le prix ne cesse de s’envoler. Les premiers à souffrir de ces soubresauts sont les Guinéens, près à tout pour se procurer la céréale. Le gouvernement a tenté de résorber la crise, mais, selon certains, il n’a réussi qu’à envenimer la situation. En tentant de faire concurrence aux commerçants, les autorités les auraient en fait poussés à revoir à la hausse leurs tarifs. Au grand dam de la population. « Le prix d’un sac de riz de 50 kilos vaut en ce moment environ 60 000 francs guinéens (gnf). Et quand on sait que pour nourrir une famille il faut environ trois sacs et que le salaire moyen avoisine les 150 000 gnf, autant dire qu’il ne reste rien. Tout le monde souffre de la situation, qu’on soit du secteur public ou privé », commente Mohamed, un fonctionnaire de 43 ans.

Convois de riz braqués

Tout est bon pour se procurer la précieuse céréale. Manifestations, mais aussi pillages. Pour ce qui est des vols, il est d’ailleurs difficile de savoir s’ils ont été motivés par le désespoir ou la perspective juteuse de revendre la marchandise, ou les deux à la fois. Toujours est-il que, selon Boubah, dans la commune de Matam, une « cargaison de riz a été littéralement ‘pillée’ » et, ailleurs, des magasins assaillis. Et le média de citer l’exemple de convois dévalisés dans le pays, la semaine dernière, et notamment dans la capitale. « Au port autonome de Conakry, des jeunes se sont attaqués à deux camions remorques qui se dirigeaient au grand marché de Madina. Le premier, qui ne contenait que de la farine, a été épargné de justesse. Tandis que le second camion a été pris pour cible par les loubards qui ont réussi à vider tout le riz, déchirant certains sacs et scandant, selon des témoins de la scène : ‘Nous n’avons pas de chef de quartier, nous avons faim’ ».

S’ils ont tenu à préciser qu’ils n’ont pas de chef de quartier, c’est sans doute pour expliquer qu’ils n’avaient pas d’autres moyens d’avoir du riz à un prix raisonnable. En effet, depuis le début du mois d’avril, les chefs de quartiers distribuent à leurs concitoyens un ou deux sacs de riz par mois, en fonction de la taille de la famille, à environ 26 500 gnf, un prix deux à trois fois moins cher que celui du marché. Une initiative du gouvernement et payée par le Président en personne. Lansana Conté avait en effet promis d’importer un million de tonnes de riz pour combler les besoins des consommateurs, le tout payé de « sa propre poche ».

La guerre du riz

Les autorités espéraient ainsi couper l’herbe sous le pied des commerçants en les obligeant à revoir leurs tarifs à la baisse. « Avant la mesure du gouvernement, le prix du sac sur le marché tournait aux alentours de 46 000 gnf. Aujourd’hui, il monte à près de 60 000 gnf », explique, sous couvert d’anonymat, un proche d’une grande institution économique internationale. Mais il constate que les commerçants n’ont pas d’autre choix que de faire monter les prix, face à la dépréciation du gnf. « Ils importent le riz avec des devises qu’ils achètent très cher, et la céréale elle-même n’est pas donnée. Alors, pour rentrer dans leurs frais, ils sont obligés de fixer des prix élevés », commente-t-il, en reconnaissant que ces fluctuations « sont insupportables pour la population ».

Pour ne pas être lésés par le « riz du gouvernement », d’aucuns estiment que les marchands ont attendu que les stocks du gouvernement se tarissent pour mettre le leur sur le marché et augmenter les prix. Ceux qui ont opté pour cette stratégie y gagnent, puisque l’approvisionnement des quartiers aurait parfois été divisé par cinq. « Auparavant, les quartiers recevaient 150 000 tonnes par mois. A présent, certains ne se retrouvent qu’avec 50 à 60 tonnes, ce qui n’est pas assez pour satisfaire tous les habitants », souligne notre source. C’est cette pénurie qui pousse les Guinéens à se tourner vers les marchés, noir ou réguliers.

Les coupables de détournements en prison

Qui est responsable de la pénurie ? La polémique bat son plein dans le pays. Les autorités, par le biais des médias, accusent les chefs de quartiers de détourner le riz distribué par l’Etat pour se ravitailler plus que de raison ou pour le revendre. Les chefs de villages assurent de leur côté qu’ils ne sont que des boucs-émissaires, que c’est la livraison de la céréale par le gouvernement qui fait défaut et que des proches du pouvoir s’arrangent pour que leur entourage soit plus copieusement, et en priorité, fourni par rapports aux autres. Et Boubah de commenter que « tout le privilège est accordé à la commune de Kaloum, nerf central du pouvoir, quant au ravitaillement continu ».

Pour souligner sa fermeté quant aux abus, les autorités ont précisé qu’elles ne laisseraient passer aucune fraude. Le ministre de la Sécurité Moussa Sampil a déclaré, jeudi dernier, que « tous ceux qui seront reconnus coupables de détournement de riz iront en prison », rapporte Aminata. Deux personnes ont déjà été arrêtées.

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