Le premier empire coranique africain


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Mosquée d'Agadez
Mosquée d'Agadez © Dan Lundberg

Le Macina a été le premier empire coranique d’Afrique. De 1818 à 1853, il a occupé l’actuel Mali, et a réuni, sans heurt, plusieurs ethnies. Fondé par Cheikhou Amadou ou encore Seekou Aamadu, cet empire, a connu un grand rayonnement dans la région.

Macina, ce nom ne vous dit pas grand chose. Vous êtes loin de vous douter qu’il s’agissait d’un des plus importants empires de l’actuel Mali et surtout, le premier empire coranique africain. Situé dans la boucle du fleuve Niger, dans l’actuel Etat du Mali, tout ce qui se déroulait dans cet empire devrait se conformer aux préceptes du Livre Saint. Au centre du Macina, un homme : Cheikhou Amadou. Pour un territoire composé de différentes populations que sont les Peuls, les Dogons, les Nooron, les Banmanan, les Sorogo, les Somono, les Biva et les Songay. Et de marchands, d’agriculteurs, de pêcheurs et d’artisans qui ont tous vécu, en harmonie.

Né Amadou Hâmmadi Boubou, Cheikhou Amadou maîtrise très tôt le Coran. Sa victoire sur les animistes coalisés lui permet d’acquérir l’adhésion complète de tous les groupements musulmans à son parti. Alors, son nom devient le symbole de la grandeur, de la protection et Ousmane Dan Fodio (ou Ousmane Dan Fodia, musulman lettré qui, à l’Est, dans l’actuel Nigeria, fonde au début du XIXe siècle un immense empire peul), lui donne le titre de Cheikhou (guide spirituel).

Un homme charismatique

Un devin avait prédit que lorsqu’un Ngourori prendrait le pouvoir au Macina, ce serait la fin de la dynastie des Ardos dans la région. Voilà pourquoi le chef du Macina, Ardo Ngourori, a été très vite écarté du pouvoir. Son cousin Ardo Amadou le remplace, pour une sorte de régence. Dans la même période, Amadou Hâmmadi Boubou, présentait ses visées musulmanes avec une telle adresse que tous les croyants qui désiraient voir l’Islam se répandre embrassaient sa cause. Ces poussées religieuses dérangèrent très vite, l’animiste Ardo Amadou.

Un jour, quelques talibés (élèves qui apprennent la religion du Prophète) d’Amadou s’étaient rendus à la foire qui se tenait dans un village de la région du nom de Simay pour y faire des quêtes. Les voir, horripila le prince héritier du Macina, Ardo Guidado (qu’on dit turbulent). Le jeune homme envoya ses sujets « retirer de force, une couverture à un des talibés pour qu’il s’asseye dessus », racontent Hampâté Bâ et Daget dans L’empire peul du Macina, 1818-1853 . Et, lança-t-il : « tant que Ardo restera vivant sur le Macina, un noirceur de planchettes ne commandera pas le territoire ». A la fin du foire, le prince héritier continue sur sa lancée et demande à Cheikh Amadou de quitter le village. Mais celui-ci ne lui envoya comme réponse à sa requête, qu’un de ses partisans (Ali Guidado), chargé de récupérer la couverture prise à un de ses élèves. Mais Ardo Guidado refuse d’obtempérer et pris d’une rage violente, Ali Guidado le transpercera de sa lance. Fou de rage, l’empereur Ardo Amadou, père de la victime, a tenu à en finir avec Cheikhou Amadou. Cette vengeance débouche sur la bataille de Noukouma.

1 contre 100

Cheikhou Amadou n’avait à sa disposition que 1 000 combattants alors qu’en face, Diamogo Séri et Faramoso, deux chefs de guerre du camp adverse, possédaient 100 000 hommes. En chemin, la peur s’empare des hommes du marabout qui lui font comprendre qu’ils se sont trompés en le suivant. Pour les rassurer, il leur demande de prier Dieu : « Nous sommes tous pour lui, il sera donc pour nous ». Il renchérit en leur parlant de la victoire du Prophète sur les « idôlatres coalisés » plus nombreux, mais qu’il vainc avec « 313 hommes ». Ses paroles revivifiantes eurent leur effet et sa petite armée se sentit prête à affronter l’ennemi.

Amadou Hammadi Boubou (Cheikhou Amadou) réunit 81 de ses hommes ce 21 mars 1818. Pour apaiser leurs dernières craintes, il leur promit d’y adjoindre 231 autres combattants et, avec lui, atteindre le fameux nombre 313 pour attaquer l’ennemi. Au début de la bataille, les hommes d’Amadou comprirent que la meilleur façon de vite et de bien s’en sortir, était de capturer ou de tuer Diamogo Séri, pour vaincre par capitulation. Ainsi, quand la première attaque se déclencha, ses 40 cavaliers n’avaient à cœur que de trouver le campement du chef de l’armée. Au plus fort de combat, ils le repérèrent, foncèrent sur lui pour l’enlever et comprenant la tactique, le chef de guerre du clan adverse ordonna à ses hommes de déplacer le camp, vers l’arrière. Ceux-ci, en masse, crurent à un ordre de repli de la part de leur chef et se mirent à capituler en masse, permettant ainsi à la petite armée de Cheikhou Amadou d’en profiter pour les anéantir. C’est le début d’une série de victoires qui conduiront Cheikhou Amadou à balayer, en deux mois, la coalition qui devrait l’abattre.

Naissance de la Dina

La Diina est un Etat ethnique peul, fondé par les Peuls du clan Bari pour la défense du genre de vie des Peuls. Elle est née à l’issue de la victoire peule de Noukouma, et s’est vite étendue dans le delta aux zones à dominante peule. Macina a donné son nom à l’empire, parce qu’elle en est la principale province. La capitale et le tribunal militaire sont à Hamdallay. Cheikhou Amadou n’a pas voulu porter seul, l’exercice du pouvoir sur ses épaules, parce qu’il redoutait les responsabilités. De ce fait, il demande à une centaine de marabouts de l’aider en lui soumettant leurs idées. Ceux-ci lui présentent des projets et Cheikhou Amadou convoque les auteurs des 40 projets les plus intéressants. Ces projets répondaient aux préceptes coraniques. Les 40 marabouts prirent comme nom, le « grand conseil », à qui il donna un pouvoir absolu.

Ainsi, l’empire du Macina est doté d’une solide administration théocratique et le livre Saint est consulté à tout moment. Il fait se regrouper en commissions, par région d’origine et sans distinction de race, le grand conseil. Et leur demande de refondre les projets retenus et de les mettre en concordance avec les lois islamiques. Ce grand conseil nomme à la tête de chacune des régions, un militaire, assisté d’un conseil religieux, judiciaire et technique. Parmi les 40 du grand conseil, Cheikhou Amadou choisit deux hommes en qui il a particulièrement confiance et en fait ses conseillers personnels. Il discutait d’abord avec ceux-ci, de tous les projets qu’il proposait aux délibérations du grand conseil.

Uniformiser les unités de mesure

Au moment de la création de l’empire, un recensement des patronymes avait abouti à un classement précis. On y notait, 120 familles du groupe Diallo, 100 du groupe Ba, 130 du groupe Sidibé et 85 du groupe Sangaré. Tous les peuls appartiennent à l’un des quatre groupes caractérisés par un nom dit « yettore » qui peut varier suivant les Etats et les régions. Ainsi, Diallo a pour équivalents : Dial, Ka, Kâné, Dikko. Ba a pour équivalents : Ba, Bal, Baldé, Bâch, Mbacké, Boli, Diagité, Diagayété, Nouba, Dia. Sidibibé a pour équivalent : Sô. Et Sangaré a pour équivalent : Bari.

Cheikhou Amadou a eu l’idée de développer plusieurs initiatives pour mieux rassembler son empire. Sur le plan du commerce par exemple, il a unifié les mesures sur tout le territoire de la Dina. Pour les tissus, la mesure de longueur choisie était le « kala », c’est-à-dire la coudée augmentée de cinq doigts qui faisait environ 50 cm. Pour les grains, l’unité de mesure utilisée est le « muddi », sensé contenir dix poignées et le lait se voit attribuer le « galmaré » correspondant à la valeur de cinq et dix cauris (les cauris ont longtemps été la monnaie d’échange en Afrique). L’unité administrative est le village, pouvant comporter plusieurs quartiers ou agglomérations distinctes. Le village était toujours commandé par un homme de condition libre et lettré en arabe. Il portait le titre d’ « amiru », suivi du nom du village. Plusieurs villages formaient un canton, et plusieurs cantons, une province. Le chef d’un campement, quartier ou agglomération peule portait le titre d’« oro wwro ». Cet homme avait pour but, de surveiller les prairies, les mares et les passages fréquentés par le bétail.

Les chefs pouvaient être destitués par le grand conseil, dans la majorité des cas. Mais, auparavant, ils devaient passer devant une commission de discipline devant laquelle ils avaient le droit de se défendre (eux-mêmes) ou de se faire défendre. Le coupable, pouvait, selon la gravité de sa faute, être éloigné de son commandement pour un temps, ou être déplacé, parfois destitué. La destitution pouvait comporter séquestration des biens, en cas de meurtre, concussion ou détournement de biens publics ou une indemnité de renvoi si la destitution a été prononcée pour des raisons politiques.

Problème de succession

Toutes les expéditions militaires étaient accompagnées de marabouts. Ils avaient pour mission de faire des prières en cas de danger et surtout, ils veillaient à l’application de la justice en cas de victoire. Chaque fois que Cheikhou Amadou vainquait, il imposait un lourd impôt à la tribu défaite, la rattachait à son empire et imposait la conversion (souvent) au peuple. Ainsi, son royaume s’est agrandi et de par les esclaves amassés, son empire est devenu plus puissant, plus prospère.

Après trente ans de faste, l’empire a commencé par montrer des signes de fragilité. Le premier élément qui l’a rendu chancelant, est une bataille. Celle qui l’opposa aux Massassi où la victoire lui a coûté très cher. Cette guerre avait décimé les troupes de Cheikhou Amadou. Il ne dut sa victoire à la Pyrrhus, qu’à une armée amie, portée à son secours. Le second élément et très décisif qui a été à la perte de cet ensemble de territoires, est le problème posé par la succession du fondateur. Le grand conseil n’avait pas codifié un système précis de transmission du pouvoir.

De son vivant, Cheikhou Amadou a désigné son fils aîné pour lui succéder. Mais pour ses notables, si l’Etat est musulman, il fallait se conformer aux écrits et travaux de Mahomet en la matière. Or, Mahomet n’a pas désigné son successeur de son vivant. C’est le consensus de ses compagnons qui a permis de désigner les premiers califes. Finalement, les notables de Cheikh Amadou ont voulu trancher entre Baa Lobbo (premier fils de Bookari Ham, frère aîné de Cheikh Amadou) et Amadou Cheikh, fils de Cheikhou Amadou. Tous ces éléments ont affaibli cet empire qui s’effondrera en 1853, huit ans après la mort de son fondateur Cheikhou Amadou.

Ouvrages consultés :

L’empire peul du Macina, 1818-1853, de Amadou Hampâté Bâ et Jacques Daget, aux Nouvelles Editions Africaines.

Un empire peul au XIXème siècle. La Diina du Maasina, de Bintou Sanankoua, aux éditions Karthala ACCT.

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